Ils ont nolisé des autobus entiers. Ils débarqueront par centaines, peut-être même par milliers, ce samedi midi, au Stade olympique, pour manifester contre les restrictions sanitaires imposées depuis plus d’un an au Québec.

« Nous demandons un retour à la vie normale », exigent ces opprimés du confinement sur leur page Facebook.

Quoi de plus logique que de manifester devant le plus gros centre de vaccination de la province pour réclamer un retour à la vie normale ?

Les autorités sanitaires ont été forcées de déplacer en catastrophe les rendez-vous des gens qui devaient se faire vacciner ce samedi au stade.

Quoi de plus judicieux, de la part des défenseurs du « retour à la vie normale », que de perturber le travail de ceux qui font l’impossible, justement, pour qu’on y arrive enfin ?

Manifester devant un centre de vaccination pour exiger la fin de la pandémie, c’est aussi dingue que de manifester contre les extincteurs quand la maison brûle ou contre les canots de secours à bord du Titanic.

Le plus absurde, c’est que cette manif a lieu alors que le ciel s’éclaircit au Québec… grâce à la vaccination de masse. Et, bien sûr, grâce aux mesures sanitaires, considérées comme terriblement liberticides par ces manifestants, mais respectées par la vaste majorité de la population.

Mais il y a encore plus inconcevable. Encore plus inconscient. Cette manif pour « le retour à la vie normale » se déroule alors même que la pire éclosion de COVID-19, depuis le début de cette pandémie, est en train d’étouffer un peuple, à l’autre bout de la planète.

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On croyait le pire de la pandémie passé. On avait tort. Depuis des jours, les reportages en provenance de l’Inde crèvent le cœur.

Le pays est à bout de souffle. Littéralement.

PHOTO TAUSEEF MUSTAFA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une patiente respire à l’aide d’un masque à oxygène dans une salle de banquet temporairement aménagée de façon à recevoir des malades, à New Delhi, vendredi.

Sur le terrain, les journalistes manquent de superlatifs pour décrire ce dont ils sont témoins : panique, chaos, dévastation, catastrophe, calamité, apocalypse.

Enfer. Des corps qui s’empilent. Des crématoriums de fortune dans les stationnements. Des arbres coupés dans les parcs pour brûler les cadavres.

La maladie et la mort, partout.

Des proches désespérés qui se tournent vers les réseaux sociaux pour trouver un lit d’hôpital. En vain.

Des médecins qui supplient les autorités de leur fournir de l’oxygène avant qu’il ne soit trop tard pour leurs patients. En vain.

Des malades laissés aux portes des hôpitaux débordés. Il n’y a rien à faire. Ils meurent en pleine rue.

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Depuis le début de la pandémie, l’Inde avait pourtant fait figure d’exemple auprès du reste du monde.

PHOTO ASSOCIATED PRESS

Rites funéraires à la mémoire de victimes de la COVID-19 pratiqués dans un crématorium de New Delhi, vendredi

Lors de la première vague, au printemps, le géant asiatique avait imposé un confinement strict à ses 1,4 milliard d’habitants. Pendant deux mois, les Indiens étaient pratiquement restés cloîtrés chez eux. Les vols avaient été suspendus. Les trains avaient été cloués sur place.

Le pays avait été paralysé. Son économie avait coulé à pic.

Alors, à la fin de l’été, les Indiens ont voulu tourner la page. Trop vite. Les gens sont retournés au travail, les enfants sont retournés à l’école. La vie a repris son cours.

Au cours de l’hiver, les chiffres étaient rassurants. Les Indiens ont voulu croire que la COVID-19 était derrière eux. Le gouvernement a autorisé d’immenses rassemblements politiques et religieux. À peu près tout le monde a laissé tomber les masques. Et baissé la garde.

En quelques semaines, tout a basculé.

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L’explosion a été aussi rapide que spectaculaire : 386 555 nouveaux cas et 3498 morts dans la seule journée de jeudi. Et ce ne sont que les chiffres officiels. La réalité, estiment les experts, pourrait être dix fois pire.

PHOTO TAUSEEF MUSTAFA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Crématorium de masse à New Delhi, vendredi

Le plus désespérant, c’est que l’Inde n’a pas encore atteint le sommet de la vague. Les crématoriums continueront longtemps de brûler jour et nuit. Au mois d’août, le virus pourrait avoir emporté un million d’Indiens…

Ce qui se passe là-bas est une tragédie.

Et une cruelle leçon pour le reste du monde.

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Washington a annoncé vendredi la suspension des vols en partance de l’Inde vers les États-Unis. Ottawa a fait la même chose, le 22 avril.

Ça contiendra le virus. Un peu. Mais il serait illusoire de penser pouvoir isoler entièrement cet immense pays, a rappelé la Dre Soumya Swaminathan, scientifique en chef de l’Organisation mondiale de la santé. « Le virus n’a pas de frontières. »

Plus le taux d’infection sera élevé en Inde, plus il se propagera ailleurs dans le monde, a-t-elle souligné. Et plus les risques que de nouveaux variants émergent du chaos seront grands.

Des variants qui pourraient résister aux vaccins…

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Le plus ironique, ou le plus triste, c’est que l’Inde est le plus gros fabricant de vaccins de la planète. Elle a déjà exporté des millions de doses, y compris au Canada.

Pour faire face à la crise, New Delhi a suspendu les exportations jusqu’à nouvel ordre. Seulement 10 % de la population indienne a reçu une première dose. Il faut tout faire pour l’aider à accélérer la cadence.

Parce que la seule façon d’en arriver à un retour à la vie normale, c’est de vacciner tout le monde, partout dans le monde. Et vite.