« Je continue à penser que c’est un risque calculé », soutient le premier ministre François Legault

(Québec) Francine Boyer, Québécoise de 54 ans, est morte d’une thrombose cérébrale après avoir reçu une dose du vaccin d’AstraZeneca, une première au pays, a annoncé mardi le directeur national de santé publique du Québec, le Dr Horacio Arruda. Un évènement tragique, mais rare, qui ne change en rien la stratégie de vaccination en place, ont assuré les autorités.

En soirée, Alain Serres a en effet confirmé « avec une énorme peine » la mort de son épouse, survenue le vendredi 23 avril à l’Institut-hôpital neurologique de Montréal (IHNM), établissement du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

Le couple avait reçu sa première dose ensemble le 9 avril dernier, a relaté M. Serres dans un communiqué de presse qui a été diffusé sur les réseaux sociaux. « Au cours des jours qui ont suivi, Mme Boyer a ressenti une grande fatigue accompagnée de maux de tête. Elle s’est alors rendue à l’hôpital le plus près, puis, comme [son état] se dégradait, elle a été transférée à l’Institut-hôpital neurologique. Francine [a succombé à] une thrombose cérébrale », a-t-il notamment raconté.

Même s’il a reçu le vaccin au même moment que sa femme, M. Serres dit n’avoir subi « aucun effet secondaire à la suite de l’inoculation ». La famille de Mme Boyer encourage toutefois les personnes qui reçoivent un vaccin à « rester alerte » aux symptômes ou aux réactions inhabituelles et, en cas de doute, à communiquer avec Info-Santé, au 811.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE SERRE & FINNEGAN

Francine Boyer

Pour la suite, la famille indique qu’elle souhaite « vivre son deuil en toute intimité » sans être importunée. Aucune autre information ne sera donc donnée en ce sens. « Les personnes qui souhaitent obtenir plus d’information ou des renseignements médicaux en égard aux réactions post-vaccination » peuvent toutefois joindre l’INHM ou la Santé publique, conclut M. De Serres, en remerciant au passage le public pour sa compréhension et ses messages de soutien.

Originaire de Saint-Rémi, Mme Boyer laisse dans le deuil, en plus de son mari, ses deux fils et ses deux petits-enfants, ainsi que sa mère, ses frères et ses soeurs.

« On savait que ça risquait d’arriver »

Le premier ministre François Legault s’est dit « triste qu’une femme de 54 ans, en pleine forme, soit décédée parce qu’elle a été vaccinée ». « C’est dur à prendre », a-t-il laissé tomber en conférence de presse. « Dans la balance des inconvénients, je continue à penser que c’est un risque calculé. Mais quand on pense à cette femme, sa famille et ses proches, je leur offre toutes mes sympathies, c’est dur. »

Selon le DArruda, il s’agit du premier décès au Canada lié au vaccin d’AstraZeneca, dont l’utilisation est limitée aux 45 ans et plus au Québec.

« C’est un évènement qui est rare, et on savait que ça risquait d’arriver », a-t-il affirmé, rappelant que le risque de thrombose est estimé à un cas pour 100 000 doses. « Quand on voit ce genre d’histoire là, ça nous touche, puis on aurait rien que le goût de faire un hug à la famille en comprenant qu’elle n’est pas allée se faire vacciner pour mourir, mais c’est rare, puis on ne peut pas le prévoir, mais le vaccin demeure encore, pour l’ensemble du Québec, un grand bénéfice. »

À la fin de mars, Québec avait suspendu l’administration du vaccin d’AstraZeneca aux moins de 55 ans en raison de quelques cas de thromboses recensés en Europe. La semaine dernière, le gouvernement a abaissé l’âge d’admissibilité à 45 ans à la suite d’un avis de son comité d’immunisation, alors que d’autres provinces ont plutôt opté pour 40 ans.

Le décès par thrombose rapporté mardi, « pour le moment, ne devrait pas changer notre stratégie » de vaccination, a indiqué le DArruda.

« C’est triste, mais c’est quelque chose auquel on s’attendait. Et dans la mesure où on va être capables de continuer à vacciner, c’est le genre de risque que, malheureusement, on doit prendre. Je pense que c’est la bonne chose à faire », a renchéri le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé.

Pour l’heure, plus de 400 000 personnes ont reçu le vaccin d’AstraZeneca au Québec. Trois personnes sont sous observation : l’une ayant fait une thrombose a subi un traitement et est en train de récupérer, alors que deux autres cas de thrombose sont analysés pour déterminer si le vaccin d’AstraZeneca est en cause. Le DArruda a réitéré que le vaccin « va sauver plus de vies », et que le risque de complications, voire de décès, est plus élevé en cas d’infection au virus. Depuis le début de la pandémie, on rapporte 193 morts chez les 50-59 ans ayant contracté la COVID-19.

Dans une déclaration écrite transmise à La Presse, le CUSM a confirmé « le décès d’une personne dans un de ses hôpitaux, possiblement lié au vaccin AstraZeneca ». « Cependant, des tests pour confirmer cette possibilité sont en cours. Pour des raisons de confidentialité, nous n’avons rien d’autre à ajouter pour le moment. »

Sans commenter ce cas précis, le chef du département de médecine du CUSM, le DMarc Rodger, explique que, selon les études, si en moyenne un cas de thrombose survient pour chaque tranche de 100 000 doses du vaccin d’AstraZeneca, environ le tiers des patients touchés en mourront. Alors que le Québec a administré 400 000 doses du vaccin d’AstraZeneca, il fallait donc s’attendre à enregistrer environ quatre cas de thrombose et un décès.

Des traitements existent

Le DRodger explique que le vaccin d’AstraZeneca cause des thromboses particulières, principalement au niveau des veines cérébrales. Les symptômes de telles thromboses sont des maux de tête, un changement de vision, des faiblesses ou une perte de sensation. Des tests précis existent pour discerner ces cas de thrombose causés par le vaccin. Et des traitements spécifiques existent aussi, note le DRodger.

Le spécialiste rappelle qu’une personne qui contracte la COVID-19 court plus de risques de faire une thrombose qu’une personne qui reçoit le vaccin d’AstraZeneca. Un patient ambulatoire atteint de la COVID-19 a 1 % de risques de faire une thrombose. Le risque augmente à 5 % chez les patients admis à l’hôpital et de 15 % à 20 % chez ceux aux soins intensifs.

PHOTO FOURNIE PAR LE CUSM

Marc Rodger, chef du département de médecine du CUSM

On ne veut pas que le monde évite le vaccin. On veut que le maximum de gens soient protégés.

Marc Rodger, chef du département de médecine du CUSM

Directeur de la clinique d’anticoagulation et directeur associé de la division d’hématologie de l’Hôpital général juif, le DMark Blostein soutient que le bénéfice de recevoir le vaccin d’AstraZeneca « est grandement supérieur aux risques ».

Il indique que le vaccin de Johnson & Johnson semble aussi provoquer certaines thromboses. « C’est possiblement lié à la façon dont sont faits ces vaccins », dit le DBlostein. Les vaccins d’AstraZeneca et de Johnson & Johnson sont des vaccins dits à « vecteur viral », alors que les vaccins de Pfizer et de Moderna sont de type « ARN messager ».

Selon le DArruda, « c’est une possibilité » que le vaccin de Johnson & Johnson – dont une seule dose est requise – soit également réservé aux 45 ans et plus, car il est associé à un niveau semblable de risque de thrombose que le produit d’AstraZeneca. Il attend l’avis du Comité sur l’immunisation. Des livraisons de doses du vaccin de Johnson & Johnson sont attendues bientôt.

« Couverture médiatique disproportionnée »

Selon le DRichard Marchand, microbiologiste-infectiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal, il est aussi évident que « le risque de thrombose lié à la COVID-19 est de loin pire qu’avec le vaccin » d’AstraZeneca.

Le DMarchand rappelle aussi qu’une femme de 30 à 35 ans qui fume et prend la pilule anticonceptionnelle a une chance sur 2500 de faire une thrombose.

Le DMarchand, qui a lui-même tenu à recevoir le vaccin d’AstraZeneca il y a deux semaines, rappelle « qu’aucun vaccin n’a un risque zéro ». Il juge que « la couverture médiatique des thromboses liées au vaccin d’AstraZeneca est disproportionnée par rapport aux risques », notamment par rapport à ce qu’on a vu avec d’autres vaccins dans le passé.

Les risques en chiffres

Thrombose après l’injection du vaccin d’Astrazeneca
1 sur 100 000
Thrombose après un vol de plus de quatre heures
21,48 sur 100 000
Thrombose chez les femmes qui prennent la pilule contraceptive
90 sur 100 000
Caillots sanguins chez les patients hospitalisés en raison de la COVID-19
5000 sur 100 000

Les symptômes à surveiller

Les personnes ayant reçu le vaccin d’AstraZeneca ou COVISHIELD devraient obtenir immédiatement des soins médicaux si elles présentent les symptômes suivants :
essoufflement
douleur à la poitrine
enflure des jambes et douleur abdominale persistante
apparition soudaine de maux de tête graves ou persistants qui s’aggravent
vision trouble survenant plusieurs jours après la vaccination
contusions (à un endroit autre que celui du point d’injection) apparaissant quelques jours ou plus après la vaccination
Source : Santé Canada