Au premier jour des audiences de la coroner sur ce qui s’est passé au CHSLD Laflèche de Shawinigan lors de la pandémie, un fait a rapidement été révélé : des employés asymptomatiques, mais ayant été en contact avec des personnes infectées à la COVID-19, sont allés travailler parce qu’il n’y avait pas assez de personnel pour prendre soin des résidants.

Bref, soit ces personnes âgées risquaient potentiellement d’attraper la COVID-19, soit elles n’allaient pas être nourries, a résumé lundi matin la coroner en charge de l’enquête.

« C’est cru, mais c’est ça », a laissé tomber Me Géhane Kamel lors d’un témoignage.

Elle a été mandatée pour tenter de déterminer pourquoi autant de résidants de centres d’hébergement pour aînés ou personnes vulnérables y ont perdu la vie lors de la première vague de COVID-19.

Le virus a franchi les portes du CHSLD Laflèche au tout début de la pandémie : le premier cas a été identifié le 22 mars 2020.

À ce moment, les personnes contaminées étaient des travailleurs de la santé, mais rapidement des résidants ont été touchés, a témoigné la Dre Marie-Josée Godi, qui est la directrice régionale de la santé publique pour la Mauricie et le Centre-du-Québec.

Le premier employé infecté a reçu le résultat de son test le 22 mars. Or, il avait travaillé les 16 et 17 mars. Il avait mal à la gorge, mais on lui a dit de travailler en mettant un masque. Il a été retiré du boulot le 19 quand il a commencé à tousser.

Au départ, il n’y avait pas beaucoup de tests de dépistage et des priorités avaient été établies, a rapporté Dre Godi. Elle a souligné à maintes reprises qu’il manquait de connaissances sur la propagation de la COVID-19 à ce moment — « les connaissances étaient encore limitées », a-t-elle dit — et que seules les personnes symptomatiques étaient dépistées à la fin mars.

Puis, le 29 mars, trois employés ont reçu un résultat de test positif et cela a mené à leur retrait, ainsi qu’à celui d’autres travailleurs, de façon préventive. Ce qui a tout de suite causé un bris de service au CHSLD Laflèche, car il n’y avait personne pour les remplacer et les soins aux résidants ne pouvaient être assurés, a relaté Dre Godi.

Ce fut le moment de durs choix.

Les travailleurs de la santé qui avaient été retirés de façon préventive du travail y ont été rappelés s’ils ne présentaient pas de symptôme. Et cela, même s’ils étaient des « contacts à risque modéré ou élevé » d’une personne ayant la COVID-19.

Selon les connaissances de l’époque, ils n’étaient pas contagieux, a rappelé Dre Godi.

Une infirmière prenait alors la température de chaque employé avant qu’il ne passe le pas de la porte.

Pour les employés ayant reçu un résultat de test positif à la COVID-19, éventuellement, leur période d’isolement est passée de 14 à 7 jours, selon les directives de l’INSPQ (Institut national de santé publique du Québec), a expliqué Dre Godi.

Bref, on a pris le risque de le faire, parce qu’il n’y avait pas assez de gens au travail. « Mais une petite armée infectieuse est entrée, potentiellement », a indiqué la coroner.

« Oui », a reconnu Dre Godi. « C’était une gestion de risque », pour ne pas laisser les résidants sans soins.

Puis, début avril, un dépistage massif des employés a été fait.

De plus, des mesures avaient été prises plus rapidement qu’ailleurs dans ce CHSLD, selon Dre Godi : dès le 29 mars, les travailleurs de la santé devaient porter le masque en tout temps, et il leur avait été indiqué qu’ils ne pouvaient pas travailler dans plus d’un établissement à la fois, une situation qui a été à l’origine de la propagation du virus ailleurs.

Malgré tout, le CHSLD a été durement touché. Durant la première vague, 44 de ses résidants sont morts de la COVID-19. Et en tout, près de 80 % de ses résidants ont été contaminés — 107 usagers sur 138 — ainsi que 84 employés. Un des pires bilans de la province en matière de décès, a reconnu Dre Godi.

L’enquête de la coroner a débuté fin mars avec le CHSLD des Moulins de Terrebonne, puis avec le Manoir Liverpool de Lévis et le CHSLD René-Lévesque de Longueuil. Trois autres résidences figurent sur sa liste.

Approximativement la moitié des décès causés par la COVID-19 au Québec se sont produits dans des résidences pour personnes âgées, a rappelé lundi Me Kamel.

L’exercice est donc nécessaire, « afin de mieux comprendre les facteurs ayant contribué, dans les divers types de milieux hébergeant des personnes âgées ou vulnérables, à faire de celles-ci les principales victimes collatérales de la COVID », a déclaré la coroner en ouvrant les audiences.

Seuls les décès survenus entre le 12 mars et le 1er mai 2020 sont visés par l’enquête.