Une opération délicate au CUSM a permis de sauver in extremis une mère enceinte atteinte de la COVID-19 et son bébé

Vingt-cinq secondes.

C’est le temps que cela prendra au DMarc Beltempo et à son équipe de néonatalogie pour transporter le bébé prématuré des soins intensifs, où la maman aura accouché par césarienne, à la salle située 50 mètres plus loin où ils réanimeront l’enfant.

Il fait le trajet en faisant semblant de porter le bébé dans ses bras. Puis il le refait, cette fois-ci avec un chariot incubateur. La deuxième option est la plus rapide.

Et chaque seconde compte.

« C’est faisable », conclut le néonatologiste, chronomètre en main.

Nous sommes le 10 mars dernier à l’hôpital Royal Victoria du CUSM. Une équipe multidisciplinaire dont fait partie le DBeltempo élabore son plan pour sauver deux vies qui ne tiennent qu’à un fil.

Aucun hôpital au Québec n’a déjà réalisé ce qu’elle s’apprête à accomplir.

Atteinte de la forme grave de la COVID-19, une patiente enceinte de 32 semaines est arrivée en ambulance la veille, avec de grandes difficultés à respirer.

L’état de Lor Chou Tang s’est détérioré au point qu’elle a été envoyée aux soins intensifs.

Rongée par l’inquiétude, son aînée, Carman, fait un appel vidéo avec sa mère hospitalisée. La famille – qui compte déjà quatre enfants – ne peut pas venir à l’hôpital en raison de la COVID-19.

Ma mère tenait son téléphone, incapable de parler. Elle avait l’air si seule. Je ne savais pas quoi lui dire pour la rassurer.

Carman, 17 ans, fille de Lor Chou Tang

Le père de Carman, qui assiste à la scène, fond en larmes. « Je n’avais jamais vu mon père pleurer », ajoute l’ado. Elle réalise alors la gravité de la situation.

Quand le respirateur ne suffit pas

« Il fallait agir vite pour sauver la mère et le bébé », raconte le DArnold Kristof, intensiviste au CUSM.

La mère est susceptible de faire un arrêt cardiaque ou un arrêt respiratoire n’importe quand. Et si ça arrive, le bébé doit « être sorti » rapidement avant qu’il manque d’oxygène, ajoute son collègue, le DBeltempo.

Placer la patiente sous respirateur ne suffit pas, conclut l’équipe médicale. Ses poumons sont trop ravagés par le virus et le bébé pousse sur son diaphragme, aggravant du même coup ses difficultés à respirer.

L’équipe décide de tenter le tout pour le tout. En plus d’être intubée pour être ventilée mécaniquement, la patiente sera branchée à un appareil des soins intensifs – un « poumon artificiel » communément appelé l’ECMO (pour extracorporeal membrane oxygenation, en anglais, ou « oxygénateur extracorporel à membrane »).

Son sang sera envoyé à l’extérieur du corps vers l’appareil, où il sera alimenté en oxygène. Puis le sang sera redirigé dans le corps grâce à une pompe externe.

Les risques de complications sont grands. On parle d’un traitement avancé dont le recours est exceptionnel – offert dans une poignée d’hôpitaux au Québec – essentiellement à Montréal, explique le DGordan Samoukovic, responsable du programme ECMO au CUSM.

Et les risques sont aussi très élevés pour le bébé en raison des médicaments administrés à la mère pour éviter la formation de caillots sanguins.

En matinée du 10, donc, une douzaine de soignants de plusieurs départements de l’hôpital (soins intensifs, néonatalogie, obstétrique, anesthésie et programme ECMO) se rencontrent pour coordonner ce plan de sauvetage jamais tenté au Québec.

Le stress au sein du groupe est palpable. La séquence des évènements est cruciale. Chacun a un rôle précis à jouer dans ce ballet orchestré à la seconde près.

Le bébé a plus de chances de survie en naissant à 32 semaines de gestation que s’il reste dans le ventre de sa mère. « Si on place la mère sous ECMO, il faut faire sortir le bébé dès qu’elle est stabilisée », tranche l’équipe.

Le temps presse. L’état de la mère est instable. Trop instable pour l’emmener au bloc opératoire – là où se déroulent les césariennes d’habitude. « C’est trop dangereux de la déplacer », conclut le DKristof.

Comme la patiente a la COVID-19, un personnel minimal est mobilisé durant l’opération. « Ça a ajouté une couche de complexité, illustre le DBeltempo. Tous les gens dans la salle sont à haut risque de contamination, car ce sont des manipulations qui impliquent les voies respiratoires. »

Dès que la décision est prise, le DKristof se rue à son chevet pour lui expliquer une à une les étapes du traitement. Trop faible pour parler, la mère de famille acquiesce. « Elle était sous le choc », se souvient l’intensiviste.

En après-midi, la patiente ne peut plus attendre. L’équipe soignante enclenche alors son plan.

Une fois que la première équipe intube la patiente et la place sous ECMO, cette dernière s’empresse de quitter la salle pour céder place à la seconde, chargée de pratiquer la césarienne.

Seule la perfusionniste May Tam reste dans la pièce pour surveiller l’appareil.

PHOTO FOURNIE PAR LE CUSM

May Tam, perfusionniste aux soins intensifs du CUSM, après avoir branché l’ECMO – un « poumon artificiel » – à la patiente Lor Chou Tang, le 10 mars dernier

Tout le monde était stressé, mais en même temps, on avait confiance en l’équipe.

May Tam, perfusionniste aux soins intensifs du CUSM

Depuis mars 2020, ses collègues et elle ont placé une centaine de patients sous ECMO au CUSM, dont une quarantaine atteints de la COVID-19. Beaucoup sont morts, dont des patients aussi jeunes que Mme Tang.

« Le taux de mortalité est substantiel, indique le DSamoukovic. Mais il faut dire qu’habituellement, les patients qui ont besoin de l’ECMO sont presque morts. C’est leur dernière option. »

Dans ce plan, le bébé doit quitter la pièce le plus vite possible pour ne pas contracter la COVID-19. Mais la distance à franchir est trop grande pour le transporter directement en néonatalogie. Une salle de réanimation pour le bébé prématuré est donc aménagée à la hâte ici même, aux soins intensifs pour adultes.

« On n’a pas notre équipement usuel, d’où l’importance de la simulation », explique le DBeltempo.

Bella ne respire pas

À sa naissance, à 15 h 24, Bella ne respire pas. Le DBeltempo s’y attendait en raison des anesthésiants administrés à la mère et du stress causé par l’ECMO. L’équipe de néonatalogie lui installe un tout petit masque qui pousse de l’air dans ses poumons tout en la transportant dans le chariot vers l’autre pièce où la réanimation est complétée.

On doit absolument protéger le cerveau pour qu’il ne manque pas d’oxygène.

Le DMarc Beltempo

Bella, qui pèse un peu moins de 2 kilos, sera ensuite emballée dans une « couverture de plastique » pour la réchauffer. Une fois hors de danger, 20 minutes plus tard, elle peut être transportée à l’unité de néonatalogie.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Lor Chou Tang et son bébé, Bella. Toutes deux ont obtenu leur congé de l’hôpital Royal Victoria du CUSM.

« Tout s’est passé exactement comme on avait prévu », se réjouit le DBeltempo. Une infirmière envoie des photos du bébé à la famille confinée à la maison.

À ce moment-là, personne ne sait encore combien de jours la maman passera plongée dans un coma artificiel, branchée à l’ECMO.

Comme le papa ne parle ni français ni anglais, l’aînée, Carman, est chargée de communiquer avec l’équipe soignante. « Quand se réveillera-t-elle ? », répète l’adolescente chaque jour.

À chaque journée qui passe, l’équipe du programme ECMO « teste » les « vrais poumons » de la patiente en diminuant progressivement l’apport en oxygène de la machine. Le résultat est encourageant.

Au bout de six jours – 120 heures précisément –, la patiente n’a plus besoin du « poumon artificiel » pour respirer. L’ECMO peut être débranché. « On a eu tellement de décès aux soins intensifs à cause de la COVID, dont un patient qui est resté 60 jours sous ECMO, aussi dans la quarantaine, raconte la perfusionniste May Tam, émue. L’histoire de Mme Tang a fait un grand bien à toute l’équipe. »

De retour à la maison depuis le 23 mars avec son bébé, la maman va bien. L’aînée, Carman, lui donne un coup de main dans les tâches domestiques tout en poursuivant ses cours au cégep. De nature discrète, la famille a accepté de raconter son histoire pour insister sur l’importance de respecter les règles sanitaires. « La COVID est réelle, lance l’adolescente 17 ans. On a eu vraiment peur de perdre notre mère et notre petite sœur. »