Je l’avoue d’emblée : je fais partie du club des « obsédés » de la ventilation.

Un lecteur me l’a d’ailleurs fait remarquer deux fois plutôt qu’une, en me lançant une insulte qui manquait encore à mon catalogue pourtant bien garni.

« Vous êtes une exaltée de la ventilation. »

Il n’a peut-être pas tort. Mais loin de le voir comme une insulte, je le prends comme un compliment, mon exaltation n’étant pas fondée sur du vent, mais sur des entretiens avec des chercheurs crédibles et des avis d’experts renommés. L’avis des auteurs, par exemple, d’un article publié jeudi dans The Lancet qui énonce 10 raisons scientifiques qui donnent à croire que la transmission de la COVID-19 est surtout aérienne.

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« Vrai, ça peut “faire la job” d’ouvrir une fenêtre. Mais encore faut-il qu’il y en ait une. Encore faut-il qu’elle s’ouvre », écrit notre chroniqueuse.

C’est très bien de se laver les mains, de porter le masque et de respecter la distanciation physique. Mais alors que l’on a beaucoup misé sur la désinfection des surfaces depuis le début de la pandémie, le vrai danger est ailleurs : il est dans l’air.

Le fait de le reconnaître et d’en tenir compte dans les mesures de prévention sauve des vies, observent les six experts du Canada, du Royaume-Uni et des États-Unis, qui pressent les autorités de santé publique d’agir rapidement.

Comment ? En faisant entre autres de la ventilation une obsession, si je puis dire.

CONSULTEZ l’article (en anglais)

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« Obsession. » C’est aussi le mot qu’a employé le premier ministre jeudi pour qualifier ce qu’il estime être des critiques injustifiées des partis de l’opposition au sujet de la ventilation dans les écoles.

Deux semaines après avoir révélé que la Santé publique n’avait jamais approuvé la méthodologie du ministère de l’Éducation pour mesurer la qualité de l’air en classe, Radio-Canada nous apprenait que dans 61 % des cas étudiés, le protocole de mesure du CO2 n’avait pas été respecté, ce qui a édulcoré les résultats.

CONSULTEZ l’enquête de Radio-Canada

Au lieu de s’en inquiéter, François Legault s’est encore une fois porté à la défense du ministre Jean-François Roberge. Il a dénoncé l’« obsession » des purificateurs d’air et de la ventilation dans les écoles.

« Ça fait la job d’ouvrir une fenêtre », a-t-il dit, sur un ton excédé.

Vrai, ça peut « faire la job » d’ouvrir une fenêtre. Mais encore faut-il qu’il y en ait une. Encore faut-il qu’elle s’ouvre. Et la réalité, c’est que même lorsqu’elle s’ouvre, ça ne règle pas forcément les problèmes de qualité de l’air.

Oui, ouvrir une fenêtre permet de faire baisser le taux de CO2 en classe, me dit Maximilien Debia, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« Mais ce n’est certainement pas la solution magique pour limiter les risques de transmission dans les écoles. »

Même si ce n’est pas une mauvaise chose en soi, le fait d’ouvrir une fenêtre n’assure en rien une bonne qualité de l’air, précise l’ingénieur Stéphane Bilodeau, qui a un doctorat en ventilation. « Le problème vient du fait qu’on n’a aucun contrôle sur ce qui va se passer. »

Tout dépend de la direction et de la force des vents, de la température extérieure, de l’humidité… Ce n’est pas parce qu’on ouvre les fenêtres que l’air circule. Or, pour un virus, il faut réduire la charge virale dans l’air par dilution, avec un apport d’air extérieur contrôlé ou par filtration, avec par exemple un purificateur d’air à filtre HEPA, explique l’ingénieur, membre du groupe d’experts COVID-STOP (et qui, faut-il préciser, n’est pas lui-même un vendeur de purificateurs).

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Pour le gouvernement Legault, il semble que toute critique concernant la prévention de la transmission par aérosols dans les écoles relève d’un « spin des oppositions ».

Pourtant, avant d’être politique, c’est une question de santé publique. On ne parle pas ici d’obsession partisane ou de critiques sans fondement. On parle d’abord et avant tout de la santé des élèves, du personnel enseignant et des parents.

On parle aussi d’un angle mort important dans la prévention de la COVID-19.

« Dès qu’on est dans des endroits intérieurs mal ventilés, il y a ce risque d’accumulation d’aérosols et il peut y avoir des éclosions, c’est certain », observe Maximilien Debia, qui est spécialisé en hygiène du travail et en qualité de l’air.

Obsédé lui aussi, ce professeur de l’École de santé publique ?

« Oui, je suis obsédé par la qualité de l’air ! Mon travail, c’est de m’assurer que les travailleurs n’inhalent pas des particules nocives pour leur santé. C’est assurément une obsession et je suis fier de ça. »

Pour réduire au maximum les risques de transmission, dans un monde idéal, on aurait des systèmes de chauffage, de ventilation et de conditionnement d’air dans toutes les écoles, m’explique le professeur Debia.

Mais nous ne sommes pas dans un monde idéal. Nous sommes en pleine pandémie dans un monde où un grand nombre d’écoles sont vétustes et mal ventilées. Un monde où les écoles sont un important lieu de transmission – la deuxième source d’éclosions après les milieux de travail.

À défaut d’avoir de belles écoles neuves dotées de systèmes dernier cri, il faut donc se tourner vers d’autres stratégies. L’installation d’échangeurs d’air est une bonne stratégie. Installer des unités à filtres HEPA est aussi une mesure complémentaire utile pour limiter les risques de transmission dans une classe mal ventilée où s’entasse un grand nombre d’élèves.

« C’est un équipement qui va réduire significativement la concentration d’aérosols dans la classe mal ventilée. »

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Aux experts, aux parents et aux enseignants qui réclament des purificateurs d’air depuis des mois, le ministre Roberge répète que la Santé publique ne les recommande pas et préconise plutôt des échangeurs d’air. Le hic, c’est qu’alors que le ministre disait lui-même en janvier qu’il y avait 200 classes non conformes, seulement une centaine d’échangeurs auraient été distribués trois mois plus tard. Les autres dorment encore dans des entrepôts. En pleine urgence sanitaire…

C’est ainsi qu’en pleine troisième vague, avec des variants plus dangereux, trop de classes mal ventilées n’ont ni échangeur ni purificateur. Juste de beaux tests bidon, jamais validés par la Santé publique, selon lesquels tout va bien…

À défaut de bien mesurer la qualité de l’air, ces tests révèlent très bien autre chose : il y a du laxisme dans l’air.