Faut-il ouvrir la vaccination sans rendez-vous à plus de Québécois ? Devant une campagne de vaccination avec les doses d’AstraZeneca qui ralentit dans le Grand Montréal, des experts et des médecins appellent les autorités à se prononcer rapidement. Déjà, la Santé publique envisage la possibilité d’offrir ce vaccin « à d’autres catégories d’âge ».

« L’enjeu actuellement, c’est qu’on ouvre à un groupe d’âge, puis il y a un gros rush, et ça s’épuise. Mais dans l’intervalle, on attend et on perd du temps, en voulant absolument que les autres régions rattrapent Montréal. Il ne faut plus niaiser comme ça », affirme Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM).

Jeudi, La Presse a révélé que le ralentissement force les établissements à trouver toutes sortes de stratégies pour attirer des personnes de 55 ans et plus dans les cliniques sans rendez-vous, allant jusqu’à accrocher des passants au hasard. À Laval, mercredi, on avait vacciné 250 personnes en fin d’après-midi, alors qu’il y avait 2200 places disponibles, avec ou sans rendez-vous, pendant la journée. « Il n’y a pas un chat », a d’ailleurs résumé la directrice de la vaccination, Isabelle Parent.

Pour Mme Da Silva, il est « dramatique » d’en arriver là, en pleine troisième vague et alors que les variants continuent de se propager.

Sur papier, le gouvernement a raison d’être satisfait, mais le problème, c’est que ça pourrait aller plus vite. On pourrait encore s’améliorer.

Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Jeudi, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a soutenu que d’autres groupes d’âge pourraient être ajoutés bientôt, annonçant du même coup que la vaccination de la population générale pourrait être ouverte à la fin mai.

D’une certaine façon, il est « compréhensible » que le gouvernement Legault joue de prudence, vu les délais dans la livraison des doses du vaccin de Moderna depuis quelques semaines, affirme Roxane Borgès Da Silva. « L’approvisionnement est une clé, c’est vrai, mais il reste que si on a les doses, il n’y a pas d’excuses à avoir », insiste-t-elle toutefois.

Une solution ou une autre

Spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital général juif, le DMatthew Oughton est du même avis. « Après les immenses files d’attente de la semaine dernière, on doit se poser la question clairement : est-ce qu’on a comblé les besoins des gens de 55 ans et plus qui voulaient venir à la base ? Si oui, ça veut dire qu’on devrait ouvrir à d’autres groupes prioritaires », lance-t-il.

Si c’est un enjeu d’accessibilité aux cliniques sans rendez-vous, il faut rapidement repenser nos mesures de transport et de mobilité.

Le DMatthew Oughton, spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital général juif

À ses yeux, une autre approche à étudier serait de proposer des unités mobiles complètes de vaccination, comme l’ont fait les bus de la Société de transport de Montréal (STM) qui ont servi d’unités de dépistage le printemps dernier. « L’avantage, ça serait qu’on pourrait aller directement dans les quartiers où il y a une forte prévalence de personnes âgées de 55 ans et plus, et où le virus est très présent », dit le DOughton.

Certes, les processus seraient « plus complexes », étant donné que les vaccins doivent être conservés sous certaines conditions, mais l’opération n’est pas impossible pour autant, soutient ce dernier. « Plusieurs pays le font. Sur le fond, le principe est brillant. On amène le service à la population, et non l’inverse. »

Roxane Borgès Da Silva, elle, estime qu’il serait judicieux de donner « plus d’autorité et de latitude » aux directions de santé publique régionales. « À Montréal et à Laval, elles sont sous tension parce qu’elles savent que ça peut déraper et partir en fou tous les jours, avec les cas de variants. Ça prend une planification adaptée », plaide-t-elle.

À quand la deuxième dose dans les CHSLD ?

Au-delà de la campagne populationnelle de vaccination, la deuxième dose se fait par ailleurs attendre dans bien des centres d’hébergement au Québec, affirme la Dre Sophie Zhang, coprésidente de la Communauté de pratique des médecins en CHSLD (CPMC).

Si on exclut les tout premiers établissements à avoir reçu le vaccin, il y a très peu d’usagers qui ont reçu leur deuxième dose. Pourtant, ils ne sont que 40 000. Au rythme où on va actuellement, tout ça serait faisable en une seule journée.

La Dre Sophie Zhang, coprésidente de la Communauté de pratique des médecins en CHSLD

Pendant ce temps, de nombreux centres sont de nouveau aux prises avec des éclosions, rappelle Mme Zhang. « On voit des cas réapparaître en Beauce et à Belœil, notamment. Ça nous inquiète », avoue-t-elle. À Saint-Georges, plus de 40 cas de COVID-19 ont été recensés en quelques jours au CHSLD Champlain, où une forte majorité des résidants ont reçu leur première dose.

« Au début, avec la pénurie de vaccins, on comprenait qu’on préfère vacciner plus de monde. Je comprenais tout à fait, mais actuellement, avec le nombre de doses disponibles, je pense qu’on aurait pu ajuster certaines choses dans la stratégie vaccinale », conclut la Dre Zhang.