(Montréal) Dans le cadre de l’enquête de la coroner sur les décès survenus dans les résidences pour aînés lors de la première vague de COVID-19, un rapport d’enquête a été déposé, mettant en lumière la négligence qu’ont subie au cours des années les résidants du Manoir Liverpool de Lévis : jusqu’à trois semaines sans bain, de la nourriture en quantité insuffisante, des lieux malpropres, des résidants « oubliés aux repas » et leurs sonnettes ignorées.

Cette portion de l’enquête publique, présidée par la coroner Géhane Kamel, se penche sur ce qui s’est passé au printemps dernier au Manoir Liverpool, à la fois résidence privée pour aînés (RPA) et ressource intermédiaire (RI). Elle fut le site de la principale éclosion de COVID-19 de la région.

Outre les décès causés par la COVID-19, la coroner a été claire qu’elle allait aussi examiner, lors de son enquête publique, le sort des résidants morts dans « des conditions parfois déplorables, négligentes, voire inhumaines ».

En débutant les audiences lundi matin, la coroner a été rapidement confrontée à un rapport d’enquête administrative, qui ne portait toutefois que sur la portion RI de la résidence.

Cette enquête a été ordonnée par le CISSS de Chaudière-Appalaches après deux reportages de Radio-Canada, diffusés en avril 2020, portant sur les conditions de vie des aînés depuis 2014 au Manoir Liverpool.

Le « rapport synthèse » de février 2021, qui a été rendu public lors de l’enquête, est accablant.

Même avant la COVID-19, les plans de soins des résidants étaient « absolument incomplets » et non suivis à la lettre et leur hygiène laissait à désirer. Plusieurs jours pouvaient s’écouler sans qu’ils ne reçoivent de bain et leur toilette était mal faite, entraînant parfois des rougeurs, des plaies et même des champignons, peut-on lire dans le rapport. L’hygiène buccale aussi était négligée : il a été noté que des résidants avaient des croûtes blanches dans la bouche. De plus, la nourriture était souvent servie froide, et les familles ont dû laver les chambres de leurs proches, car les flaques d’urine pouvaient causer des chutes.

Il s’agit d’une atteinte à leur dignité, est-il écrit dans le rapport d’enquête.

« Il ne fait, par conséquent, aucun doute que les personnes hébergées dans ces ressources ont fait les frais de l’incapacité de la direction de ce milieu à recruter et à maintenir en poste le personnel pour offrir aux usagers des prestations de qualité. »

Après cette enquête administrative, il a été recommandé au CISSS de résilier ses contrats avec le Manoir Liverpool « pour motifs sérieux ». La résidence vient d’être vendue.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Approximativement la moitié des décès causés par la COVID-19 au Québec lors de la première vague se sont produits dans des résidences pour personnes âgées.

Elle n’était toutefois pas considérée comme problématique par le CISSS, a déclaré Daniel Paré, alors PDG du CISSS, mais maintenant directeur de la campagne de vaccination contre la COVID-19 au Québec. Avec sept plaintes sur trois ans, elle « ne ressortait pas du lot ».

En avril 2020, le CISSS a toutefois envoyé du personnel sur place, pour aider avec l’éclosion de COVID-19. Malgré « ces yeux et ces oreilles sur le terrain », M. Paré a dit qu’il ne savait pas que la situation était telle que rapportée par les journalistes de Radio-Canada. « Je n’ai pas été avisé », a-t-il dit.

La coroner s’est dite inquiète du fait que malgré ses mécanismes en place, le CISSS n’a pas été en mesure de déceler les problèmes de cette résidence et a souligné qu’il a fallu que deux journalistes s’intéressent à ce dossier pour que l’on sache ce qui s’y passe.

« J’ai un extrême malaise avec ça », a lancé Me Kamel.

Pourquoi personne n’a rien vu ? a-t-elle demandé à Valérie Lapointe, la directrice de la qualité, performance et éthique au CISSS de Chaudière-Appalaches.

Je me le demande aussi, a rétorqué cette dernière en suggérant quelques pistes de réponse. D’abord, une enquête administrative, comme celle qui fut faite au Manoir Liverpool, est beaucoup plus détaillée et plus « invasive » que les contrôles et suivis usuels. « Nos systèmes ont des limites », qui ne permettent pas de voir l’historique d’une résidence, a-t-elle dit, évoquant des « démarches en silos », qui empêchaient peut-être à l’information pertinente de se rendre aux bons endroits.

Et puis, elle a parlé d’une « culture administrative du bien paraître », semblant être adoptée par les gestionnaires du Manoir Liverpool. Ils démontraient une très bonne « collaboration apparente » et faisaient de bons plans de suivi, a-t-elle soutenu.

Quant au rapport d’enquête, il fait état d’efforts — non seulement importants, mais extraordinaires — déployés lors des inspections de nature à les réduire à de simples « mascarades ».

Il ne s’agissait pas simplement de bien nettoyer les lieux avant l’arrivée des inspecteurs, mais aussi de leur faire croire au respect des normes et pratiques, est-il noté.

Contexte plus large de l’enquête de la coroner

Approximativement la moitié des décès causés par la COVID-19 au Québec lors de la première vague se sont produits dans des résidences pour personnes âgées, a rappelé à plus d’une reprise la coroner, Me Kamel.

L’exercice de l’enquête publique est donc nécessaire afin de mieux comprendre les facteurs ayant contribué à faire de ces aînés les principales victimes collatérales de la COVID, estime-t-elle.

Le premier CHSLD ayant été examiné lors des audiences fut le CHSLD des Moulins de Terrebonne, à la fin du mois de mars. Six autres résidences seront scrutées.

Seuls les décès survenus entre le 12 mars et le 1er mai 2020 sont visés par cette enquête.

Les enquêtes du coroner ne visent pas à trouver des responsables aux décès, mais plutôt à formuler des recommandations pour en éviter d’autres dans le futur.

Outre ce processus entrepris par la coroner, la protectrice du citoyen Marie Rinfret enquête sur les décès survenus en CHSLD depuis le début de la pandémie, tout comme le fait la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay.

L’enquête portant sur le Manoir Liverpool se poursuit mardi.