(Québec) Mettre la main sur des trousses de tests rapides de dépistage de la COVID-19 relève du parcours du combattant pour des entrepreneurs. Plus de sept semaines après avoir autorisé l’utilisation de ces tests aux entreprises, à peine une soixantaine d’entre elles ont été en mesure de se qualifier pour en obtenir. Un faible nombre attribuable à la lourdeur administrative du processus, selon les organisations patronales et les experts.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a confirmé à La Presse avoir reçu — en date du 1er avril — 141 demandes d’entreprises à travers la province pour obtenir une trousse de tests rapides de dépistage. Seulement 59 ont été approuvées depuis et 29 ont été rejetées, « car le besoin ne correspondait pas à l’usage souhaité ». Les autres demandes sont toujours en cours d’analyse.

« Je peux imaginer que des gens qui commencent [ce processus] peuvent perdre patience ou arrêter parce qu’il faut vraiment pousser fort pour aboutir », lâche le président-directeur général de Lallemand, Antoine Chagnon. Son entreprise, qui se spécialise dans le développement et la commercialisation de levures et de bactéries à des fins agroalimentaires, emploie 750 travailleurs au Québec.

Lallemand a lancé l’utilisation de tests rapides de dépistage dans trois de ses sites, à Montréal, à Salaberry-de-Valleyfield et à Mirabel, il y a deux semaines. « On était prêt bien avant », assure M. Chagnon.

Malgré le fait que Québec ait indiqué vouloir étendre leur utilisation, une infime partie des quelque 4,56 millions de tests rapides envoyés par Ottawa servent.

La Presse rapportait il y a un peu plus d’une semaine qu’environ 60 000 tests ont été utilisés, soit 1,3 % des stocks.

Québec a annoncé le 17 février que les entreprises pourraient se doter d’un stock de tests rapides afin d’éviter des éclosions et des fermetures. Il est nécessaire d’adresser une demande au MSSS, qui sera soumise à une analyse. Il faut enfin convenir d’un « protocole d’utilisation adéquat » avec la Santé publique.

« On était prêt au début mars. On s’est fait dire qu’il fallait faire une demande officielle sur le site du Ministère, ce qu’on a fait le 3 mars, mais on a seulement pu avoir la réponse finale qu’on était admissible le 26 mars. Et on a eu accès aux tests seulement le 1er avril », relate M. Chagnon.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Antoine Chagnon, PDG de Lallemand

Ça bloquait tellement, le Ministère était tellement lent à répondre qu’on a décidé d’acheter [environ 1000 tests Panbio] pour être prêt à commencer le plus vite possible quand on aurait l’autorisation.

Antoine Chagnon, PDG de Lallemand

Lallemand a écoulé ses stocks et utilise maintenant les tests fournis par Québec.

Un travailleur du Bas-Saint-Laurent, où la troisième vague de la pandémie bat son plein, a confié à La Presse que l’entreprise qui l’emploie « s’évertue » à obtenir une trousse de tests rapides depuis des semaines, sans succès. « Nous nous perdons dans les dédales administratifs et les formulaires », a-t-il expliqué.

Ce dernier a demandé à garder l’anonymat puisqu’il n’est pas autorisé à s’exprimer au nom de l’entreprise. Après avoir soumis une demande au CISSS de sa région, l’établissement a fait suivre un document qui tient sur huit pages expliquant les « considérations préalables à l’usage » des tests rapides. On y dénombre plus d’une vingtaine de critères d’approbation qui doivent tous être remplis.

« L’encadrement est excessivement contraignant », estime la Dre Marie-Pascale Pomey, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, à qui nous avons demandé d’examiner le formulaire. « C’est un paternalisme vraiment mal placé, c’est comme si les gens étaient incapables de s’autoréguler », lance-t-elle.

Acte médical « non justifié »

La Dre Marie-Pascale Pomey montre particulièrement du doigt l’obligation que les tests rapides de dépistage, qui permettent d’avoir un résultat en 15 minutes, doivent être exécutés par des professionnels de la santé. « Honnêtement, ça ne se justifie pas », souligne-t-elle.

Le MSSS considère qu’il s’agit d’un acte médical. Il faut donc que le milieu de travail intéressé ait un accès aux services d’un ou plusieurs professionnels pour exécuter les tests. En entreprise, on privilégie l’usage du test rapide de marque Panbio, qui nécessite un échantillon nasal.

Dans le projet-pilote sur leur utilisation dans deux écoles de Montréal, ce sont les élèves eux-mêmes qui effectuent le prélèvement nasal. C’est une assistante de recherche qui réalise ensuite le test à l’aide de l’échantillon fourni par l’élève.

Dans le projet initial de Lallemand, on voulait également que les employés s’auto-administrent le test sous supervision d’employés formés. M. Chagnon indique en être venu « à un compromis » avec le MSSS et a finalement embauché une infirmière. Mais cela limite le nombre de travailleurs testés lors des quarts de nuit.

Lallemand est membre du consortium de dépistage rapide du CDL, qui compte dans ses partenaires Air Canada, Rogers et Suncore, notamment. Leur objectif est d’établir des protocoles fiables en entreprise pour l’utilisation des tests rapides, dont l’efficacité est moins grande que celle d’un test PCR ordinaire. Selon M. Chagnon, « dans la plupart des sites » de partenaires canadiens, les employés s’auto-administrent les tests.

« On vient responsabiliser les gens », plaide la Dre Pomey. Un groupe de chercheurs de Montréal et elle planchent d’ailleurs sur un projet de recherche avec les Fermes Trudeau où ce serait les travailleurs eux-mêmes qui feraient le test. Toujours sous supervision d’employés formés pour effectuer le suivi et l’encadrement.

Québec privilégie l’usage des tests rapides de dépistage en entreprise dans un contexte d’éclosion. Ce qui fait aussi tiquer la Dre Pomey, qui estime que leur usage doit se faire dans un contexte de prévention. « [Le MSSS] veut que ce soit un test diagnostique alors que c’est un test de dépistage », nuance-t-elle.

La présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec, Véronique Proulx, estime que l’exigence d’une infirmière est « probablement un frein » pour des entreprises qui voudraient se doter de tests. Elle indique que le processus administratif « ne semble pas simple, mais réalisable ».

« Pour certaines entreprises, c’est vraiment un outil qui est important parmi les outils qu’elles mettent en place pour faire de la prévention et pour d’autres, elles sont très à l’aise avec ce qu’elles font déjà et ne ressentent pas le besoin d’y avoir accès. C’est assez partagé », a expliqué Mme Proulx.

PHOTO FOURNIE PAR LA FÉDÉRATION DES CHAMBRES DE COMMERCE DU QUÉBEC

Charles Milliard, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec

Le président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Charles Milliard, soutient que « ça demeure un processus un peu complexe » d’avoir accès aux tests rapides. « Clairement, l’accent au gouvernement et pour tout le monde, c’est sur la vaccination », mentionne-t-il.

« L’apparition de la troisième vague remet sur le tapis l’importance d’utiliser au maximum les tests rapides qu’on a de disponibles. Il faut reconnaître que ç’a un peu été occulté par l’amélioration du système de vaccination alors que les deux doivent vivre en même temps », poursuit M. Milliard.

Interrogé sur la complexité du processus, le MSSS écrit par courriel que « les entreprises sont accompagnées du début à la fin et ont accès à des intervenants pour répondre à leurs questions ».

« Il ne faut pas oublier que pour qu’une démarche de dépistage soit efficace, elle doit être encadrée et réalisée adéquatement. Cette démarche se veut en respect des recommandations de l’avis du Comité d’experts sur les tests rapides et les normes des fabricants », indique-t-on. Ce comité a tranché à la mi-janvier que ces tests « peuvent avoir une place de choix » dans la lutte contre la pandémie, à condition d’être utilisés de façon « prudente et intelligente ».

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a affirmé la semaine dernière que l’utilisation des tests rapides n’avait « peut-être pas été aussi importante » que souhaité au Québec, notamment en raison des variants, puisqu’il est impossible de les cribler ou de les séquencer. Il a aussi assuré que leur usage « à l’échelle du Canada est à peu près au même taux » qu’au Québec.