(Québec et Ottawa) L’engagement du premier ministre François Legault de donner une première dose de vaccin à tous les adultes québécois qui le désirent d’ici la fête nationale est compromis, reconnaît le directeur national de santé publique, le DHoracio Arruda. La campagne sera retardée avec la décision de ne plus administrer le vaccin d’AstraZeneca aux personnes de moins de 55 ans jusqu’à nouvel ordre.

Les personnes plus âgées ne seront pas non plus forcées de l’accepter. Les autorités ont l’intention de les prévenir avant le jour de leur rendez-vous s’il est prévu qu’on leur administre ce vaccin. Elles pourront donc choisir à l’avance de se le faire injecter ou non. Et Québec s’attend à des refus, même s’il recommande toujours le vaccin aux 55 ans et plus.

« On va s’organiser pour que les gens puissent savoir ce qu’ils vont avoir, parce qu’on est conscients des préoccupations. Ce sera un consentement éclairé. Je pense que c’est important dans le contexte de respecter l’opinion des gens », a assuré le DHoracio Arruda en entrevue.

Lundi, Québec a décidé de suspendre l’utilisation du vaccin d’AstraZeneca « par mesure de précaution », après avoir reçu de nouvelles recommandations du Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI).

Le DHoracio Arruda soutient qu’il a joué un rôle dans ce changement de cap. Et ce, même s’il soupçonnait en conférence de presse, le 16 mars, que les doutes entourant le vaccin d’AstraZeneca étaient « tout simplement un faux signal ».

Il a demandé au cours des derniers jours au Comité sur l’immunisation du Québec de surveiller de près la situation au Royaume-Uni concernant un lien possible entre ce vaccin et certaines complications comme la formation de caillots sanguins (thrombose) chez les moins de 55 ans. Quelques cas avaient déjà été rapportés. « Je leur ai demandé de me faire signe s’ils sentent un signal. Et ils m’ont fait signe ce week-end. Alors j’ai interpellé mes homologues de Santé Canada, le CCNI, Dre Quach qui en est la présidente, en leur disant : ‟Écoutez, ça m’inquiète. Vous ne pensez pas qu’avec ce signal-là, on devrait être prudents et retirer l’utilisation du vaccin en bas de 55 ans ?” »

C’est clair que ce week-end, j’ai beaucoup poussé sur le Canada, sur les autres provinces pour dire : je pense qu’on ne peut pas attendre avant de retirer. Je ne me sentais pas à l’aise. Quand le vaccin est bon, je suis capable de dire qu’il est bon et on le donne. Mais quand je commence à avoir des doutes, moi, je m’excuse, je pense qu’il faut être transparent.

Le DHoracio Arruda, directeur national de santé publique

Cette suspension donnera des munitions aux « antivaccins », convient-il, « mais on ne peut pas se permettre, si on veut garder la confiance du public, de mettre les affaires en dessous d’une couverte ».

Comme l’explique le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), « l’Agence européenne des médicaments évalue actuellement un potentiel lien entre certaines complications de santé et le vaccin d’AstraZeneca chez les personnes âgées de moins de 55 ans l’ayant reçu ».

Cette agence « considère toujours que ce produit est sûr et efficace, mais la possibilité d’un lien entre le vaccin et des troubles de la coagulation et de thrombose veineuse cérébrale ne peut être totalement écartée pour l’instant ».

Le MSSS rappelle que « de très rares cas sont survenus dans les semaines suivant l’administration du vaccin AstraZeneca dans certains pays européens, la majorité chez des femmes de moins de 55 ans ». On parlerait de 1 cas sur 100 000.

C’est suffisant pour que l’administration de ce vaccin soit « temporairement suspendue en attendant que les évaluations des experts soient terminées », affirme le MSSS.

Aucune thrombose liée au vaccin d’AstraZeneca n’a été déclarée au Canada. Jusqu’à maintenant, 111 000 doses de ce vaccin ont été administrées au Québec — et environ 500 000 dans l’ensemble du pays. Le Québec a environ un millier de doses de ce vaccin en sa possession en ce moment.

L’interruption est décrétée alors que le Canada s’apprête à recevoir, cette semaine, 1,5 million de doses du vaccin d’AstraZeneca des États-Unis, dont 339 600 pour le Québec, dans le cadre d’une entente de prêt conclue avec Washington, qui n’a pas encore donné son feu vert au vaccin. Le Canada a une entente avec AstraZeneca pour la livraison de millions de doses au cours des prochains mois.

Le DHoracio Arruda, tout comme le CCNI, recommande toujours le vaccin pour les 55 ans et plus. « Le risque d’avoir une complication de la COVID est plus grand que le risque d’avoir un effet secondaire du vaccin, résume-t-il. Mais ce qui est clair, c’est qu’on ne forcera personne à le recevoir en haut de 55 ans. »

Le DArruda reconnaît que le calendrier de vaccination est chamboulé et que l’objectif de vacciner tous les adultes avec une première dose d’ici le 24 juin est compromis. « Ça retarde un peu la vaccination », affirme-t-il. « Par rapport à notre planification, 300 000 doses, c’est un enjeu. Et l’autre élément, même si on les a, les 300 000 doses, et même si on dit qu’on peut les recommander, si la population n’est pas au rendez-vous, si les gens ne veulent pas l’avoir… C’est sûr que je pense que ça va avoir un impact. »

Le MSSS dit assurer un suivi auprès des personnes de moins de 55 ans qui ont déjà reçu une dose du vaccin d’AstraZeneca, en particulier les travailleurs de la santé.

Le risque de développer une thrombose — formation d’un caillot sanguin — se présente de 4 à 14 jours après l’administration du vaccin.

Deuxième changement de cap

La pause de l’utilisation du vaccin a été officiellement recommandée à l’échelle nationale par le CCNI. Plusieurs provinces, dont l’Alberta, l’Île-du-Prince-Édouard et le Manitoba, n’ont pas hésité à suivre ce conseil elles aussi.

Le changement de cap du CCNI est le deuxième à survenir en très peu de temps. Essentiellement, en l’espace d’un mois à peine, on est passé de non pour les 65 ans et plus à oui pour les 65 ans et plus, puis à non pour les moins de 55 ans.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

La Dre Caroline Quach

C’est vrai que le vaccin a eu des hauts et des bas, c’est comme des montagnes russes. […] Mais si on regarde son efficacité globale, il prévient les hospitalisations et les décès, pour les personnes âgées de 55 ans et plus, et en particulier celles de 70 ans et plus.

La Dre Caroline Quach, présidente du Comité consultatif national de l’immunisation

Les gens qui se verront offrir le vaccin d’AstraZeneca dans les prochains jours ne devraient pas le refuser, selon la Dre Quach. Âgé de 64 ans, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a reçu ce vaccin devant les caméras le 18 mars.

« On essaie toujours de soupeser les risques et les bénéfices. Pour une personne à risque, entre recevoir ce vaccin ou attendre pendant encore deux mois, alors que la COVID-19 continue de se propager, il me semble qu’accepter le vaccin [AstraZeneca] en ce moment est la meilleure option », a ajouté la Dre Quach.