(Ottawa) Ils sont à la télévision, à la radio et dans les journaux pour vulgariser la pandémie depuis des mois. Ils le font bénévolement. Entre des quarts de travail qu’on devine éreintants. Et en retour, ces médecins, ces experts en santé publique reçoivent des insultes et des menaces – à un point tel que certains ont préféré se retirer dans l’ombre.

« Crisse de folle de vaches COVID-19 anxieuse. » « Reine des charognes. » « Va te cloitrer tu seule osti ou décalisse vivre en europe tabarnac de débile. » Pour Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, l’un des effets secondaires de la pandémie a été l’apparition de messages haineux.

Le fiel est souvent déversé sur les réseaux sociaux, sans grande surprise. « J’ai eu une personne qui, pendant 48 heures, m’a bombardée de messages sur Twitter toutes les cinq minutes. Toutes les cinq minutes, il m’envoyait des bêtises », relate la professeure en entrevue. Elle a pris ses distances de la plateforme, mais n’a pas fait une croix sur les interventions médiatiques.

En revanche, l’un de ses collègues spécialistes a ressenti le besoin de prendre un pas de recul. « Ça fait des mois que je ne réponds plus au téléphone. Je crois qu’on fait face à un problème de société plutôt qu’un problème spécifique à la pandémie. Assurément, je comprends mieux les Dany Turcotte et autres », indique l’expert en question, qui a requis l’anonymat afin de ne « pas leur donner [aux trolls et aux complotistes] la satisfaction qu’ils ont gagné ».

PHOTO FOURNIE PAR LE DR FRANÇOIS MARQUIS

Le DFrançois Marquis (à droite) estime que « 99 % des messages des gens sont très positifs ».

Le DFrançois Marquis, qui a ouvert les portes de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont aux médias pour montrer à la population les effets concrets de la pandémie, estime pour sa part que « 99 % des messages des gens sont très positifs ». Mais le « 1 % qui reste, des personnes frustrées qui en ont plein leur casque », est difficile à gérer, dit l’intensiviste.

Ce qui a été plus rough, c’était la perception de ce que je faisais, comme si j’étais payé par les médias, comme si j’étais devenu une marionnette du gouvernement.

Le Dr François Marquis

« Ce qui est très salvateur pour moi, c’est que je ne suis ni sur Facebook ni sur Twitter », ajoute celui que l’on voit très fréquemment intervenir dans les émissions d’informations télévisées.

Présidente du Comité consultatif national de l’immunisation, la Dre Caroline Quach s’est exposée aux critiques du Québec, mais aussi à celles d’habitants d’un océan à l’autre. « Are you sure your name is not Quack [un terme qui signifie charlatan, pour un médecin] ? », lui a ainsi demandé un anglophone dans un courriel alors que le comité qu’elle dirige sur une base bénévole se penchait sur le vaccin d’AstraZeneca.

Même la scientifique en chef du Canada, la Dre Mona Nemer, n’a pas été épargnée. « Je vous confirme que nous recevons aussi des courriels de mécontentements, mais nous interceptons la plupart avant qu’ils arrivent à Mme Nemer – question de la protéger contre cette pression négative désagréable et inutile », écrit son chef de cabinet, Luc Gauthier.

Quel avenir pour la communication scientifique ?

Il ajoute que depuis des années, Mona Nemer « milite auprès des chercheurs et d’universitaires pour qu’ils participent davantage à la diffusion des connaissances auprès du grand public » et craint que la « multiplication des campagnes d’intimidation contre ceux et celles qui prennent la parole pour expliquer la science et la rendre accessible risque de faire contrepoids à son message ».

L’Association des communicateurs scientifiques du Québec s’inquiète de cette haine qui se déchaîne contre les experts qui vulgarisent la science. Le phénomène n’est certes pas nouveau, mais la pandémie de COVID-19 l’a exacerbé, constate Laurène Smagghe, présidente par intérim du C. A. de l’organisation.

« Ça s’est accentué dans la dernière année, avec le fait que la science a été tellement au cœur de l’actualité, et sur une longue période. [...] On le déplore, on le condamne, mais malheureusement, ça ne nous surprend pas », explique celle qui est aussi rédactrice en chef du magazine de science jeunesse Les Débrouillards.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Olivier Bernard, mieux connu sous le pseudonyme de Pharmachien

Car certains ont joué dans le même film. Parlez-en à Olivier Bernard, mieux connu sous le pseudonyme de Pharmachien. En 2019, il a dû se résoudre à prendre une pause après avoir été victime d’une campagne d’intimidation. On a menacé son intégrité physique, on a appelé à porter plainte contre lui à l’Ordre des pharmaciens du Québec, on a publié l’adresse de son lieu de travail et appelé à un boycottage des livres de sa conjointe.

L’élément déclencheur ? La publication d’un texte où il soulignait l’absence de preuves scientifiques concernant l’efficacité de la vitamine C injectable contre le cancer. Inutile de dire que la flambée d’injures et d’insultes dont font actuellement état les experts en santé publique n’a rien d’étonnant pour lui non plus.

« Ça fait neuf ans que je fais de la vulgarisation, et les sujets qui m’intéressent sont ceux qui sont délicats, controversés. Là, j’ai des collègues qui m’écrivent et qui me disent que c’est terrible, ce qu’on vit en ce moment, qu’on n’a jamais vu ça, et moi, je leur réponds qu’ils viennent de réaliser ce que c’est, être là-dedans tous les jours », affirme-t-il.

Et d’ailleurs, plutôt que d’opérer un repli face aux assauts des complotistes, plusieurs jurent de continuer à sévir. « Je crois fondamentalement que la seule façon d’arriver à contrebalancer l’impact négatif des conspirationnistes, des antivaccins, des antimasques, c’est d’être aussi présents qu’eux pour donner de l’information », plaide le DMarquis.