(Québec ) Plus d’une quarantaine d’infirmières au soutien à domicile de l’est de Montréal fulminent alors qu’elles doivent rembourser des milliers de dollars de « prime COVID » versés par erreur depuis le début de la pandémie. Elles dénoncent une situation « dénuée d’empathie » alors que leur rôle « est méconnu et négligé ».

« C’est frustrant », lance au bout du fil Josée Rioux. L’infirmière auxiliaire au soutien à domicile du CLSC Mercier-Est–Anjou s’est faite la porte-parole du groupe d’infirmières visées par la demande de remboursement pour dénoncer la situation. « On veut être reconnues pour le travail réalisé », martèle-t-elle.

Elle estime qu’au moins 45 de ses collègues doivent remettre à l’employeur quelque 3000 $, selon leur calcul. Le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal leur a versé par erreur la prime de « disponibilité à temps complet » offerte par Québec pour favoriser la présence au travail, de mai à novembre derniers.

Le CIUSSS a confirmé à La Presse qu’il s’agissait d’une « malheureuse erreur de codification [du] système administratif » et qu’une soixantaine d’infirmières et infirmières auxiliaires du service de soutien au domicile sont touchées.

Cette prime « d’assiduité » peut atteindre jusqu’à 1000 $ par mois si l’employé offre une prestation de travail consécutive. Selon l’arrêté ministériel, ces primes sont offertes aux travailleurs des CHSLD, privés ou publics, y compris les résidences privées pour personnes âgées (RPA), les ressources intermédiaires (RI) et dans « certains lieux désignés » comme des centres hospitaliers.

En solidarité avec leurs collègues, plus de 120 infirmières et infirmiers au soutien à domicile employés du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal ont également signé une lettre afin de réclamer le droit à cette prime.

Dans leur lettre, ils font valoir « l’impact positif » qu’a entraîné le versement de la prime d’assiduité — même par erreur — au sein de leurs équipes.

Nous sommes au front tous les jours, comme nos collègues [des secteurs touchés par la prime], nous contribuons à la diminution des hospitalisations, nous avons augmenté notre disponibilité à travailler et […] monnayé nos journées de congé pour être présentes au travail.

Extrait d’une lettre signée par plus de 120 infirmières et infirmiers au soutien à domicile du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal

La lettre a été envoyée en février à plusieurs députés de l’est de Montréal ainsi qu’au bureau de circonscription du premier ministre, François Legault.

« Il y a des filles qui m’ont confié que si ce n’était pas de cette prime, il y a des jours où elles seraient restées au lit », illustre Mme Rioux. « Nos routes sont énormes, des filles ont démissionné. C’est un joyeux bordel », ajoute-t-elle.

Au-delà du remboursement qui est frustrant, c’est aussi dire qu’on la veut, cette prime-là.

Josée Rioux, infirmière auxiliaire au soutien à domicile du CLSC Mercier-Est–Anjou

Les employés du soutien à domicile sont admissibles aux primes COVID de 4 % et 8 % offertes à tous travailleurs de la santé depuis le début de la pandémie. La prime d’assiduité, quant à elle, « est basée sur les besoins accentués de main-d’œuvre pour certains titres d’emploi. Cette dernière n’est pas un jugement sur la complexité ou la qualité du travail effectué par les autres salariés », écrit le CIUSSS.

Confusion et déception

Les infirmières en soins à domicile vont en RPA « pratiquement tous les jours » étant donné que le « domicile » d’un usager s’y trouve souvent. Elles ne sont pourtant pas admissibles à la prime puisque leur poste officiel n’est pas en RPA. « C’est ce qu’on a compris : si on travaille en RPA et en RI, [on avait droit à la prime]. On ne s’est pas cassé la tête plus qu’il faut. Un moment donné, au service de paye, tu fais l’erreur une fois, deux fois, mais pas pendant sept mois », argue Josée Rioux.

Un courriel envoyé par le service de la paye à certaines employées au soutien à domicile, en juin dernier, a alimenté la confusion. On avise qu’une « portion des montants » liée à la prime d’assiduité n’a pas été versée et qu’après « analyse du paiement des primes », une correction sera apportée.

Le CIUSSS n’a pas fourni à La Presse de précisions sur ce courriel envoyé à certaines travailleuses, malgré notre demande en ce sens.

Le 29 janvier dernier, Josée Rioux et ses collègues ont reçu une lettre du CIUSSS les avisant que la prime d’assiduité leur avait été versée du 10 mai au 7 novembre alors que leur secteur d’activité « n’est pas éligible ». On écrit que les « détails des modalités de récupération » des montants leur seront acheminés « dans les prochains jours ».

« On n’a aucune nouvelle de personne », déplore-t-elle.

Le CIUSSS nous a précisé que la récupération des sommes se ferait « de façon échelonnée afin de minimiser l’impact pour elles », a fait valoir le porte-parole Christian Merciari, dans un courriel. « Nous avons également mis en place les vérifications nécessaires afin qu’une telle situation ne se reproduise plus », a-t-on ajouté.

Selon Alain Barré, professeur agrégé au département des relations industrielles de l’Université Laval, « il y a manifestement eu une erreur […], mais l’erreur ne crée pas le droit de recevoir cette prime-là ». Il affirme cependant que le remboursement doit se faire selon les modalités de la convention collective.

Le président du Syndicat des professionnels en soins (SPS) de l’Est-de-l’Île-de-Montréal–FIQ, Denis Cloutier, comprend « que personne n’est content », mais rétorque que l’employeur a les mains liées par le décret ministériel.

Il explique que l’employeur a avisé le SPS de l’erreur en décembre dernier. Le syndicat a négocié avec le CIUSSS pour que l’avis de récupération de la prime ne soit envoyé qu’après les Fêtes, relate M. Cloutier. Selon la convention collective, l’employeur ne peut réclamer un montant versé par erreur rétroactivement que pendant six mois. « [L’employeur] a été compréhensif », assure-t-il.

M. Cloutier affirme que des syndiqués ont avisé le service de la paye dès le printemps dernier. Certaines ont aussi communiqué avec le syndicat. « Pour celles qui nous avaient questionnés, le discours était le même : vous n’êtes pas visées par la prime », dit-il, mais il admet que le syndicat n’a pas transmis l’information à tous les membres.

« C’est gênant », dit Québec solidaire

Québec solidaire estime que la situation décriée par les infirmières au soutien à domicile est carrément « gênante » alors que « ces femmes-là se sont dévouées tout au long de la première vague, que leurs équipes étaient durement touchées par le délestage. Je trouve ça inadmissible », a lancé Gabriel Nadeau-Dubois.

Si c’est une erreur de l’employeur, bien il devrait assumer son erreur.

Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire

Québec solidaire réclame également que l’accès à la prime d’assiduité soit élargi à d’autres corps de métier, notamment les infirmières qui offrent des soins à domicile.

C’est aussi une position que défend la FIQ, a fait valoir Denis Cloutier. « Ces femmes-là devraient avoir accès à cette prime », a-t-il indiqué.

Selon Québec solidaire, les critères fixés dans l’arrêté ministériel en mai dernier « sont arbitraires » et « mettent la table pour des erreurs » comme celles-ci.

« C’est quoi, la grande leçon de cette pandémie ? C’est que le “tout aux résidences” pour les soins aux aînés, ça nous mène droit dans le mur. […] Il faut faire un virage vers les soins à domicile. Ces femmes-là, ce qu’elles font, ça devrait être ce que l’on valorise plus que tout pendant et après la pandémie », affirme M. Nadeau-Dubois.

La Presse a demandé mardi au ministère de la Santé et des Services sociaux si des situations similaires étaient survenues ailleurs dans le réseau. Mercredi, nous n’avions toujours pas eu de réponses à nos questions.