Il y a un an, tout allait basculer.

Nous ne le savions pas. Ce virus venu de Chine commençait à se propager. Mais bon, la Chine, hein, c’est loin, la Chine. Notre directeur de santé publique nous disait de ne pas nous inquiéter, de ne pas avoir peur. Son nom n’était pas encore connu de tous.

Le calme avant la tempête, sauf que nous ne savions pas que la tempête s’en venait, la tempête virale qui allait nous faire apprendre de nouveaux mots.

« Coronavirus », d’abord. J’avais de la misère à le prononcer. Ma bouche voulait toujours dire coranovirus. Le mot « pandémie » ? Je le mêlais avec « épidémie ». Viendrait ensuite le mot « confinement », qu’on ne connaissait que théoriquement. On allait le sentir dans notre chair, bientôt, très bientôt…

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Un homme qui porte un masque médical attend l’autobus, boulevard René-Lévesque, le 16 mars 2020.

Horacio Arruda nous disait donc de ne pas nous en faire, que la peur est pire, au fond, que le virus. Je ne lui en veux pas. Il n’a été ni mieux ni pire, dans ces semaines de février, que ses collègues provinciaux.

Il y a un an, tout allait basculer. Je regarde mon calendrier de la fin février 2020, cette semaine-là. Déjeuner avec un ami, réunion avec un patron, séance de remue-méninges, match du petit à l’aréna Brodeur…

La vie, quoi, la vie d’avant, quand la vie n’était pas confinée.

Je regarde cette vie d’avant, l’ancien monde, et ça me semble irréel. Je m’ennuie d’elle, on s’ennuie tous d’elle.

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Nous étions dans le déni, dans ces derniers jours de février 2020. Dans le déni du confort sanitaire relatif : jamais nous n’avions vécu de pandémie digne de ce nom, c’était du registre des images d’archives en noir et blanc, le lot de nos grands-parents, les temps anciens. La science triomphante avait à peu près éradiqué ces maux invisibles.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) montrait pourtant des signes d’inquiétude. Mais fin février 2020, j’avais encore en tête l’inquiétude de l’OMS lors de la H1N1, lors de la grippe porcine. Pour rester dans la métaphore de la tempête : celles-ci étaient passées en coup de vent, ça n’avait pas été la catastrophe annoncée par les experts. Je pensais – nous pensions – que ce virus au nom imprononçable passerait en coup de vent…

Déjà, il y a un an, des experts qui avaient fait des doctorats dans des domaines qui n’intéressaient personne débarquaient petit à petit dans la sphère publique, expliquant ce qu’on savait du mal invisible… Et ce qu’on ignorait à son sujet.

Ils allaient bientôt devenir des sortes de rock stars récalcitrantes, omniprésentes dans les médias, pour décortiquer la science des infections.

Je me ramène à ces jours d’avant la tempête, quand nous tenions pour acquis que ces pestes d’un autre temps n’étaient que ça, des maux de temps révolus. Habitués à dompter la nature, nous n’avons pas vu ce qui s’en venait.

J’ai de la difficulté à jeter la pierre aux gouvernements, même si c’était à eux de nous protéger, de nous préparer collectivement à affronter une pandémie, de prévoir le coup… Les gouvernements font écho à nos peurs, à nos valeurs, à nos inquiétudes.

Et personne ne s’inquiétait, dans le monde d’avant, de ces maux invisibles qui se répandent comme une traînée de poudre dans le monde entier. De ces virus qui deviennent pandémie. En temps de confort sanitaire, c’est un sujet d’un ennui assourdissant.

Prenez le gouvernement fédéral : après le SRAS qui a frappé l’Ontario en 2003, il a lancé une vaste enquête/simulation pour préparer le pays à une pandémie de grippe.

Le volumineux rapport a été publié en 2006 et constitue une sorte de plan de match pour affronter une pandémie. Si nous avions mis en place ses recommandations, l’onde de choc du coronavirus aurait sans doute été moins forte. On recommandait notamment de stocker une réserve de masques N95 équivalente à quatre mois d’autonomie pour tout le Canada.

Mais ce rapport a été publié dans l’indifférence générale. Aucun écho dans les médias, dans les parlements.

En France, même absence de prudence, de prévoyance. Une réserve stratégique de masques a été larguée à la faveur d’une réforme, sous prétexte que le marché pouvait en fournir aisément… Et pour faire des économies.

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Au Québec, le gouvernement a sonné l’alarme en même temps que les autres, dans la deuxième semaine de mars. Il y a un an, au seuil du monde d’après, il n’était ni mieux ni pire que les autres. Le sérieux du gouvernement, début mars 2020, a sauvé des vies. M. Legault s’est imposé en leader dans ce printemps de tous les dangers, de toutes les incertitudes, quand il a fallu expliquer aux Québécois pourquoi il était urgent de s’encabaner…

Mais fin février, dans le monde d’avant, dans les dernières heures qui ont précédé la tempête du siècle, notre gouvernement était comme les autres, sur le continent : sur le pilote automatique.

Comme nous tous.

Sources à consulter

« Comment la France est passée d’un stock d’État de 723 millions de masques FFP2 à la pénurie », LCI, 30 juin 2020

« Ottawa had a playbook for a coronavirus-like pandemic 14 years ago. What went wrong? », The Globe and Mail, 9 avril 2020