L’accès aux vaccins contre la COVID-19 est l’enjeu sanitaire de l’heure et prend une acuité accrue dans les pays en développement qui n’ont pas les moyens de rivaliser sur le marché international pour obtenir à grands frais les doses produites par des firmes comme Pfizer et Moderna.

La problématique représente une occasion à saisir pour la Chine, la Russie et l’Inde, qui rivalisent d’initiatives pour distribuer leurs propres vaccins à des dizaines d’États dans le besoin tandis que les pays riches se concentrent en priorité sur les besoins de leur propre population.

Cette guerre d’influence par vaccins interposés figure particulièrement haut au programme du président chinois Xi Jinping, qui y voit une manière efficace de faire avancer ses intérêts géostratégiques sur plusieurs continents.

Antoine Bondaz, spécialiste de la Chine rattaché à la Fondation pour la recherche stratégique, relève que Pékin dispose actuellement d’une « fenêtre d’opportunité considérable » en matière de vaccination dont il entend tirer le maximum.

Le régime communiste, qui a largement réussi à endiguer la propagation du virus dans ses frontières, est à l’offensive alors que plusieurs pays ne réussissent pas à trouver de doses et que la distribution prévue par le programme d’accès équitable COVAX n’a toujours pas commencé.

La Chine, qui dispose notamment des vaccins développés par Sinovac et Sinopharm, a annoncé la distribution gratuite ou la vente de doses de vaccins à plus d’une quarantaine d’États répartis entre l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine.

Le régime veut notamment envoyer le message, relève M. Bondaz, qu’il est soucieux de la situation des pays défavorisés alors que les pays riches se montrent « égoïstes et irresponsables ».

Le fait que les États-Unis avaient choisi sous la gouverne de Donald Trump une approche unilatérale en matière de recherche et de production et décidé de boycotter COVAX a facilité la tâche de la Chine, qui doit maintenant composer avec le changement de cap annoncé par le nouveau président américain, Joe Biden.

Son administration a promis au cours des derniers jours d’injecter 4 milliards de dollars de plus pour financer l’envoi de doses de vaccins aux pays pauvres. Les autres pays membres du G7, dont le Canada, ont aussi annoncé vendredi leur intention d’accroître leur contribution à COVAX.

Ces efforts témoignent notamment, selon M. Bondaz, du fait que les pays riches s’inquiètent de l’influence croissante de la Chine grâce à la distribution de vaccins.

Lynette Ong, spécialiste de la Chine rattachée à l’Université de Toronto, pense que les États-Unis « ont du rattrapage à faire ». Elle prévient qu’il ne faut pas exagérer pour autant les avancées de Pékin, puisqu’elles sont freinées en partie par l’incertitude entourant l’efficacité des vaccins proposés.

La Russie aussi

Pékin doit composer par ailleurs avec les efforts de la Russie, qui cherche aussi à élargir son rayonnement en profitant du contexte créé par la pandémie de COVID-19.

Le régime de Vladimir Poutine fait activement la promotion du vaccin Spoutnik V, qui est efficace à plus de 90 %, selon une étude parue récemment dans The Lancet. Des ententes ont été conclues jusqu’à maintenant avec une vingtaine de pays, concentrés principalement dans l’hémisphère Sud.

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Un homme reçoit une injection du vaccin Spoutnik V à Budapest, le 12 février.

Le régime hongrois de Viktor Orbán a notamment annoncé son intention d’y recourir, créant un froid avec les autres pays membres de l’Union européenne qui avaient décidé de faire front commun pour obtenir les vaccins d’intérêt au meilleur prix.

Frédéric Mérand, qui dirige le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, note que la Russie est susceptible de faire tout ce qu’elle peut pour miner la cohésion européenne. Même si la décision hongroise n’a pas une portée énorme, Moscou considère « qu’il n’y a pas de gains trop petits » sur ce plan, indique-t-il.

L’attitude du régime hongrois n’est pas la seule source de friction sur le continent européen, puisque les ratés enregistrés dans la livraison de doses du vaccin d’AstraZeneca ont aussi suscité beaucoup d’échanges musclés.

Le Royaume-Uni, qui est l’un des pays dont la campagne de vaccination est la plus avancée, espère tirer profit de la situation actuelle pour faire valoir à sa population qu’elle est en bonne position pour agir efficacement après le Brexit.

L’Inde, qui produit en quantité le vaccin développé par AstraZeneca par l’entremise de l’Institut Serum, cherche aussi par ses exportations à enregistrer des gains géostratégiques et à contrer tout particulièrement l’influence de la Chine en Asie.

Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères de l’Inde a indiqué début février à l’agence Reuters que des doses avaient été fournies à une quinzaine de pays. La possibilité de venir en aide au Canada a aussi été évoquée il y a quelques jours par le premier ministre Narendra Modi.

Antoine Bondaz note que les capacités de production de l’Inde et de la Chine constituent un atout important sur le plan géopolitique puisqu’elles leur donnent de la latitude pour agir à l’étranger sans craindre de subir les remontrances de leur propre population.