La prise de colchicine peut-elle vraiment contribuer à éviter un séjour à l’hôpital, ou même la mort, chez les personnes atteintes de la COVID-19 ? Impossible de le dire pour le moment, a conclu un comité d’experts mandaté par le ministère de la Santé. Une « trop grande prudence » inappropriée dans les circonstances, déplorent les chercheurs qui ont étudié les propriétés de cet anti-inflammatoire.

« On ne peut pas conclure sur l’efficacité de la colchicine », a indiqué jeudi la Dre Michèle de Guise, vice-présidente scientifique à l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS). Le comité formé d’une vingtaine d’experts a ainsi jugé « prématuré » d’appuyer l’usage de ce médicament anti-inflammatoire pour traiter les personnes atteintes de COVID-19.

L’INESSS s’est penché sur les résultats préliminaires de l’étude COLCORONA dévoilés la semaine dernière par l’équipe du DJean-Claude Tardif, de l’Institut de cardiologie de Montréal. Ces chercheurs tentent de déterminer si la colchicine, un anti-inflammatoire peu coûteux utilisé notamment en cardiologie, peut prévenir la « tempête inflammatoire » observée chez certains patients atteints de la COVID-19 et ainsi réduire le risque de complications. Quelque 4500 volontaires ont été recrutés dans six pays. Tous étaient âgés de plus de 40 ans, avaient reçu un diagnostic positif et présentaient au moins un facteur de risque de complication, comme le diabète.

L’étude a ainsi comparé pendant 30 jours un groupe qui a reçu un traitement à la colchicine à un autre groupe qui a reçu un placebo. Pour l’INESSS, les données ne montrent pas de différence statistiquement significative concernant la mortalité et le recours à la ventilation mécanique entre les patients des deux groupes. Dans le cas des hospitalisations, les patients du groupe qui a pris de la colchicine ont été un peu moins souvent hospitalisés que les autres (4,5 % comparé à 5,9 %), mais la différence, même si elle est jugée significative, est aussi qualifiée de « fragile » par l’INESSS.

Quand on regarde les résultats, ils sont dans un intervalle de confiance tellement large. La vérité se trouve quelque part dans ces intervalles.

La Dre Michèle de Guise, vice-présidente scientifique à l’INESSS

Les experts de l’INESSS se sont également dits préoccupés par les effets secondaires indésirables observés chez les patients qui avaient pris de la colchicine. Si certains ont souffert d’effets prévisibles d’ordre gastro-intestinal (surtout des diarrhées), un certain nombre (dans une proportion de 5 pour 1000) ont subi une embolie pulmonaire – un effet « inattendu », note la Dre de Guise.

Ce qui ne permet pas de conclure nécessairement que les risques de prendre de la colchicine surpassent les bénéfices potentiels, dit le DLuc Boileau, président de l’INESSS. « Il y a des conséquences à prendre de la colchicine, dit-il. Ce n’est pas une grande surprise, mais ce n’est pas anodin. Notre préoccupation concerne les embolies pulmonaires – il y en a eu quatre ou cinq fois plus dans le groupe qui a pris le médicament. Est-ce la colchicine qui en est la cause ? Pas nécessairement. Mais c’est une question à laquelle on doit répondre, et on ne peut pas le faire avec les informations que nous avons actuellement. »

« Estomaqués »

Mais les deux chercheurs derrière l’étude COLCORONA, le DJean-Claude Tardif et le DGuy Boivin, ont plutôt l’impression que l’INESSS fait preuve d’une « trop grande prudence », inopportune dans la situation pandémique actuelle.

Par exemple, le comité de l’INESSS indique qu’à la lumière des résultats, il faut que 70 personnes reçoivent le traitement pour qu’une seule hospitalisation « potentielle » soit évitée. « Et pour cette hospitalisation, relève le DBoileau, on ne sait pas comment ça se traduit en nombre de jours à l’hôpital. »

Le DTardif ne voit pas la chose du même œil. « À mon avis, c’est bien mal regarder le problème. On arrive à 300 000 Québécois qui ont la COVID-19. Admettons que la moitié de ces gens [satisfont aux critères d’admissibilité pour la prise de la colchicine], ça fait au moins 2000 hospitalisations qui ont été prévenues ! »

Quant aux doutes soulevés sur l’innocuité de la colchicine, les chercheurs se disent tout simplement « estomaqués » par les conclusions de l’INESSS. Les embolies pulmonaires observées ne sont pas reliées à la prise de colchicine, assure le DTardif, qui cite plusieurs études en appui à son analyse.

On a une molécule peu dispendieuse, qui revient à 8 $ pour un traitement de 30 jours.

Le DGuy Boivin

« Oui, il y a des effets secondaires, comme de la diarrhée. Mais ce n’est pas une diarrhée sévère qui engendre de la déshydratation », insiste le DGuy Boivin.

Prudence et réserve

Aux médecins qui décideraient néanmoins de prescrire la colchicine à leurs patients atteints de la COVID-19, l’INESSS conseille de « faire preuve de prudence » et de « bien expliquer [à leurs patients] la balance des risques et des bénéfices potentiels dans un contexte de décision partagée ».

Un avis dont le Collège des médecins et l’Ordre des pharmaciens du Québec ont pris note. Dans une infolettre transmise jeudi après-midi, les deux organismes invitent leurs membres « à faire preuve de réserve face à l’utilisation de la colchicine dans le traitement de la COVID-19 ». L’Ordre des pharmaciens « réitère à ses membres la consigne de ne pas délivrer de la colchicine qui serait prescrite à titre préventif pour un éventuel diagnostic de COVID-19 ».

L’INESSS estime qu’il lui faut attendre d’autres résultats avant de se prononcer sur l’efficacité du médicament et n’écarte pas la possibilité d’accueillir un traitement à la colchicine si de nouveaux éléments sont portés à son attention, par exemple après la publication de l’étude dans une revue scientifique où les résultats seront révisés par des pairs. Ce qui pourrait prendre encore plusieurs semaines.

Pour le DTardif, il s’agit d’une occasion manquée. « Je ne comprends pas qu’on dise qu’on préfère attendre la publication des résultats dans un journal américain », dit-il.

Évidemment qu’on va publier notre étude ! Mais c’est en ce moment que les gens sont malades.

Le DJean-Claude Tardif

« Il y a beaucoup de médecins qui vont prescrire la colchicine », prédit le DTardif. « Au lieu de dire aux gens à risque de complications : enfermez-vous à la maison, buvez de l’eau, prenez du Tylenol et espérez que vous n’avez pas pigé le mauvais numéro et que vous vous retrouverez à l’hôpital… On a un médicament efficace, peu coûteux, qui vient d’une plante et qui est connu depuis 200 ans. C’est mieux que du tocilizumab à 3500 $ l’injection. »