Le gouvernement fédéral évoque un calendrier irréaliste quand il répète que tous les Canadiens qui le désirent pourront être vaccinés contre la COVID-19 d’ici septembre, et il ne pourra probablement pas remplir cette promesse avant 2022, prévient une analyste de l’Economist Intelligence Unit (EIU).

Agathe Demarais, qui a produit la semaine dernière pour le groupe de recherche anglais un rapport sur la manière dont la vaccination progressait à l’échelle planétaire, a indiqué mercredi à La Presse que le Canada avait commandé des centaines de millions de doses sans s’assurer de figurer en tête de liste pour les livraisons et devait maintenant composer avec les conséquences de sa stratégie d’approvisionnement.

« Le plus proche parallèle que l’on peut faire est que le Canada a placé d’importantes commandes, mais n’a pas souscrit à Amazon Prime et ne recevra conséquemment pas de livraison prioritaire », a indiqué Mme Demarais dans un échange de courriels.

Les difficultés de production que connaissent les sociétés Pfizer et Moderna, qui ont réduit au cours des dernières semaines les livraisons prévues de doses au Canada pour leurs vaccins respectifs, ne font qu’aggraver le problème, prévient Mme Demarais.

Les contrôles annoncés par l’Union européenne (UE) sur les exportations de doses de vaccin sont aussi de mauvais augure pour le pays, relève l’analyste, qui juge « ironique » qu’Ottawa se bute à ce problème après avoir pris soin de miser sur des usines européennes pour se prémunir contre des restrictions de même nature aux États-Unis.

Des ministres fédéraux canadiens disent qu’ils ont obtenu des assurances verbales de l’UE que les livraisons prévues au Canada ne seraient pas affectées par les récentes restrictions européennes, mais il n’y a pas de confirmation écrite à ce sujet.

Agathe Demarais, de l’Economist Intelligence Unit

Mme Demarais note que la « lenteur » avec laquelle le processus de vaccination s’est mis en branle au pays et le manque de capacité de production nationale, qui ne sera pas modifié à court terme par l’annonce de la production de vaccins de Novavax à Montréal, jouent aussi dans son analyse.

Programme Covax

Le fait que le Canada doit bénéficier du programme Covax, qui vise à assurer un accès équitable aux vaccins à l’échelle de la planète, n’est pas non plus de nature à changer la donne, dit-elle, puisque 1,9 million de doses « seulement » seront reçues par cette entremise d’ici le milieu de l’année.

Outre le Canada, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande sont les deux seuls pays riches qui figurent sur la liste de distribution préliminaire de 330 millions de doses diffusée mardi par les responsables du programme, note François Audet, qui chapeaute l’Institut d’études internationales de Montréal.

M. Audet estime qu’il est « paradoxal » qu’Ottawa soit à la fois donateur et bénéficiaire du programme et se retrouve « en concurrence » pour des doses avec des pays comme Haïti ou la République démocratique du Congo.

Le gouvernement fédéral, qui a injecté 440 millions de dollars dans Covax en septembre, devrait refuser les doses qui lui sont réservées et veiller à ce qu’elles servent « éthiquement » aux pays les plus pauvres qui n’ont aucun accès prévisible aux vaccins, prévient M. Audet.

L’attaché de presse de la ministre du Développement international, Karina Gould, a indiqué mercredi que « l’objectif premier de Covax a toujours été que le mécanisme réponde aux besoins de tous les pays ».

« Le Canada continue de travailler pour permettre à nos citoyens d’avoir accès aux vaccins et aussi s’assurer que les populations des autres pays ne soient pas laissées pour compte », a souligné Guillaume Dumas, en relevant que Covax devrait pouvoir distribuer deux milliards de doses d’ici la fin de 2021.

Horizon incertain pour les pays pauvres

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a critiqué à plusieurs reprises le fait que des pays riches se sont approprié une fraction importante des doses en production pour 2021 en concluant des ententes directes avec les producteurs plutôt que de procéder par l’entremise de Covax.

Le chef de l’OMS a prévenu que négliger la situation des pays pauvres ferait perdurer la pandémie et nuirait à la reprise économique.

L’EIU estime que des dizaines de pays pauvres ne pourront assurer une vaccination à grande échelle de leur population avant 2024 et que plusieurs risquent tout simplement de ne jamais atteindre cet objectif.

Mme Demarais souligne que les perspectives canadiennes sont nettement plus favorables, même si le pays ne réussit pas à terme à suivre le rythme de vaccination des États-Unis et de plusieurs pays européens.

L’atteinte de la vaccination de masse en 2022 est « rapide si l’on considère les standards internationaux », conclut-elle.