Vacciner dans les CHSLD, c’est « de la petite bière » ! Le véritable défi sera d’administrer, au printemps, 400 000 doses par semaine. Et c’est à quoi se prépare, calmement, Daniel Paré, le nouvel homme fort de la vaccination au Québec.

« On a seulement une goutte dans l’océan de personnes vaccinées, illustre-t-il. On a 1 %, 1 % et demi. Dans le fond, la grande campagne, ça sera beaucoup plus au printemps et à l’été. »

Daniel Paré, joint pour cette entrevue dans l’automobile qui le ramène de Montréal à Québec après sa première conférence de presse à titre de directeur de la campagne de vaccination contre la COVID-19 au Québec, nous raconte les évènements qui l’ont propulsé, en 48 heures, d’un poste de président-directeur général d’un établissement de santé en région à la prise en charge de la plus grosse opération de vaccination que le Québec ait connue.

Aux commandes du centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Chaudière-Appalaches, il en avait déjà plein les bras quand il a reçu l’appel d’un sous-ministre du ministère de la Santé et des Services sociaux, début décembre, qui lui a demandé de prendre la relève de Jérôme Gagnon, qui devait se retirer pour des raisons de santé.

Quand j’ai eu l’appel, et j’ai bien compris la situation, j’ai été surpris. Mais, en même temps, je suis un gars qui veut servir. Je n’ai pas hésité.

Daniel Paré, directeur de la campagne de vaccination contre la COVID-19 au Québec

Daniel Paré a accepté sur-le-champ, sans même consulter la femme qui partage sa vie depuis de nombreuses années. « Je sais ce qu’elle tolère et je sais ce qu’elle ne tolère pas, explique-t-il. C’est la beauté d’être avec la même conjointe depuis longtemps. »

Deux jours lui ont suffi pour transférer certains dossiers à celui qui le remplace au CISSS, le PDG adjoint, Patrick Simard.

« Ça ne me surprend pas qu’il soit parti s’occuper de la campagne de vaccination en pleine crise parce que Daniel, c’est d’abord un gars qui est disposé à servir, un gars qui est au service de sa population », confie M. Simard, qui le connaît depuis sept ans.

Selon lui, M. Paré a tout ce qu’il faut pour mener à bien cette opération : l’expérience de la gestion et de la planification, le sens de l’organisation, la connaissance du réseau, la capacité de rallier les gens et la culture de terrain.

Le terrain, c’est d’ailleurs sa « marque de commerce ».

« J’aime descendre au niveau du terrain pour entendre ce qui se passe, reconnaît le gestionnaire de 54 ans. Pour moi, c’est une façon d’évaluer parfois les décisions qu’on prend en comité de direction, en haut. »

Organisé et terre à terre

Sa nomination est bien accueillie dans le milieu. « On cherchait quelqu’un de fort sur la logistique et qui connaît bien le réseau de la santé », et le choix s’est arrêté sur Daniel Paré, témoigne une source gouvernementale. « C’est un homme pragmatique, axé sur les résultats. »

Au ministère de la Santé, on le décrit comme « un homme de peu de mots », mais qui, lorsqu’il prend la parole, « n’hésite pas à dire les choses telles qu’elles sont, même si ça ne fait pas l’affaire du politique ». « Il n’est pas du genre à improviser. Il est très organisé et terre à terre. »

M. Paré a été nommé PDG en 2015 par l’ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette, sur recommandation du conseil d’administration et d’un comité de sélection. « Ce gars est habitué à gérer des chicanes de clochers », « et les clochers sonnent fort » dans cette région, souligne M. Barrette.

Il a la capacité d’unir tout le monde, et c’est une qualité réelle.

Gaétan Barrette, ancien ministre de la Santé

Dans le groupe des PDG, il « fait partie des performants », selon lui. « C’est un gars pragmatique et fort dans l’organisation », ajoute-t-il. « Il a donné des résultats dans plusieurs dossiers », comme l’aide médicale à mourir et le soutien à domicile.

« Le système de santé, il y a une complexité là-dedans, et ce n’est pas tout un chacun qui arrive de l’extérieur qui est capable de dealer avec ça. Daniel Paré a une expérience qui est de cette catégorie, et je pense que c’est le bon choix » pour diriger la campagne de vaccination, dit l’ancien ministre.

Norbert Morin, ex-député de Montmagny-L’Islet, abonde dans le même sens. Il l’a bien connu quand il dirigeait le CSSS de Montmagny-L’Islet. « C’est un bonheur de travailler avec ce jeune homme, assure-t-il. Il est sympathique, près de son monde. Il a l’approche facile et beaucoup d’écoute. »

Trois grands défis

Père de deux filles de 25 et 30 ans, Daniel Paré a commencé sa carrière comme inhalothérapeute à la fin des années 1980. Une profession qu’il dit avoir « adorée ». « Je suis encore membre de mon ordre professionnel, précise-t-il. J’ai d’ailleurs été président de la Société canadienne des inhalothérapeutes au début des années 2000. »

S’il s’est réorienté en gestion, après des études en administration, c’est « pour améliorer les choses ».

Comment voit-il son nouveau rôle ? « Ce qu’on me demande, c’est d’orchestrer, de gérer une opération, de bien communiquer, organiser, planifier, évaluer, et ça, c’est pas mal dans mes cordes. »

Il établit trois grands défis. Le premier : expliquer la logistique de la campagne vaccinale à la population. Le deuxième : aller chercher l’adhésion de tout le monde dans le réseau pour assurer la cohésion dans l’action qui a cruellement manqué lors de la première vague. Et le troisième : préparer dès aujourd’hui la campagne massive qui va se déployer en avril, mai et juin, aussi bien dire « demain matin ».

« Il va falloir réserver des sites, avoir des ressources humaines, bien les former, etc. », détaille-t-il.

D’ici mai, les gens de 60 ans et plus qui le désirent devraient être vaccinés. Après, la priorité ira aux travailleurs essentiels, puis à la population en général. Et c’est là que la cadence va exploser.

« Tout est mathématique, dit M. Paré. Quand je regarde le nombre de vaccins prévus : 1,3 million d’ici au 20 mars, 12 millions à la fin septembre, si vous faites le calcul, entre les deux, en six mois, j’ai 11 millions de doses à donner. Mettez ça en semaines, et vous verrez que je devrai avoir un niveau de productivité ou un nombre de personnes vaccinées par jour qui n’a rien à voir avec ce qui se fait aujourd’hui. »

Une question de logistique

Il faut quand même se rappeler que le Québec ne part pas de zéro. En 2009, 4,4 millions de doses ont été administrées en deux mois contre la grippe A (H1N1). Mais cette fois, c’est plus gros et plus complexe : les doses arrivent au compte-gouttes, les vaccins contre la COVID-19 nécessitent deux doses, la campagne va durer des mois et des mois, et plus de personnes seront vaccinées.

Aujourd’hui, le goulot, c’est le nombre de vaccins. Mais quand je vais recevoir 500 000 vaccins par semaine, le goulot va peut-être être différent.

Daniel Paré

L’arrivée d’un troisième vaccin pourrait compliquer la logistique pour les travailleurs sur le terrain.

« Ne vous inquiétez pas, on va s’assurer de le distribuer, mais ça va nous amener une complexité additionnelle parce que le volet sécurité est important pour moi. Il y a un risque d’erreur », note M. Paré, en évoquant les différentes quantités, les températures de conservation et les doses de rappel échelonnées sur plusieurs semaines. « L’épuisement des ressources en santé publique est un autre défi à prendre en compte. Donc, on va essayer de minimiser le risque. »

Les craintes de nombreux employés de la santé concernant le vaccin vont disparaître quand le nombre de cas va diminuer, croit-il.

« En mars et en avril, c’est là qu’on va voir : wow, on a vraiment une diminution ! Là, les gens vont vouloir recevoir le vaccin, la confiance sera là. Il y a un facteur humain important. Il faut écouter les gens. Ils vont avoir des questions. On va devoir répondre pour les rassurer. »

— Avec la collaboration d’Ariane Lacoursière, La Presse