Un groupe complotiste québécois qui s’est organisé sur les réseaux sociaux en une multitude de cellules locales pour « mettre en accusation » le personnel des sites de vaccination pour crimes contre l’humanité est sur l’écran radar de la Section antiterrorisme et mesures d’urgence du SPVM, a appris La Presse.

Dans une lettre envoyée à différents employés de CIUSSS de la région montréalaise, le commandant de la Section antiterrorisme et mesures d’urgence, Martin Desbiens-Côté, signale avoir été informé que le « groupe conspirationniste », nommé SOS-Québec, ferait le tour des sites de vaccination pour remettre un document de « mise en accusation » aux responsables.

SOS-Québec réunit environ 10 000 membres dans un groupe privé qui contrôle les abonnements « afin de ne pas être infiltré ». Le groupe a déjà distribué des « lettres d’accusation » semblables aux policiers dans plusieurs postes de quartier et en région. Ses membres filment ces évènements et diffusent ensuite les vidéos sur différentes plateformes.

Ce groupe, ayant une tendance anti-vaccin, anti-gouvernement, anti-loi, anti-police, etc., distribue une lettre sous forme de mise en accusation. Dans le cas qui vous concerne, il s’agira possiblement d’une lettre qui parle de vaccins illégaux et de génocide moderne.

Extrait de la lettre du commandant Desbiens-Côté envoyée à différents employés de CIUSSS de la région montréalaise

La lettre en question, obtenue par La Presse, affirme que le vaccin contre la COVID-19 est une « thérapie génique » expérimentale « interdite selon le Code de Nuremberg ». « Nous vous demandons de cesser votre participation à ces crimes odieux », dit la lettre, destinée aux administrateurs des sites de vaccination. Le Code de Nuremberg est une liste de critères établis après la Seconde Guerre mondiale pour déterminer les conditions auxquelles doivent satisfaire les expérimentations médicales sur les êtres humains pour être considérées comme acceptables. Il indique notamment que les participants aux études cliniques doivent donner un consentement préalable libre et éclairé au sujet des risques qu’ils courent.

Un des principaux administrateurs de SOS-Québec, Ronald Marenger, affirme dans une vidéo que la lettre ciblant les policiers vise à faire penser à ceux qui la reçoivent qu’ils risquent d’aller en prison parce qu’ils feraient appliquer des mesures illégales.

M. Marenger a déjà été arrêté et accusé en 2017 d’avoir proféré des menaces envers du personnel du système judiciaire de l’Outaouais. Il avait écrit sur sa page Facebook qu’il voulait provoquer une prise d’otages au palais de justice de Gatineau et avait tenu des propos menaçants à l’égard de deux travailleuses de la Direction de la protection de la jeunesse, selon le quotidien Le Droit. La Presse a tenté de le joindre sans succès jeudi par téléphone et sur l’internet.

Le groupe SOS-Québec compte aussi parmi ses membres un homme utilisant le pseudonyme « Djayf Doucet », qui a déjà été rencontré par les enquêteurs de la Sûreté du Québec. Il se vantait récemment d’avoir organisé une manifestation devant la résidence du premier ministre François Legault, dont il prétendait avoir obtenu l’adresse illégalement grâce à des sites d’évaluation de crédit. L’adresse s’est révélée erronée.

Le Service de police de la Ville de Montréal, qui demande d'être informé si des CIUSSS reçoivent la visite de membres de SOS-Québec, précise que ses militants sont pacifiques et calmes. Deux CIUSSS de la métropole ont confirmé avoir reçu l’avertissement du SPVM, mais affirment n’avoir reçu aucune visite des militants antivaccins à ce jour. « Nos agents de sécurité dans tous nos sites sont aux aguets », a indiqué le porte-parole du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Carl Thériault.

L’avertissement du SPVM survient alors que les groupes antimasques focalisent de plus en plus leur combat contre la campagne de vaccination.

Mercredi, la Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple, qui a organisé plusieurs rassemblements contre les mesures sanitaires l’été dernier, a fait parvenir à François Legault une lettre par huissier reprenant le même argumentaire selon lequel le vaccin est une « thérapie génique » dont le déploiement serait contraire au Code de Nuremberg. La Fondation demande au premier ministre de signer une « déclaration de reconnaissance de responsabilité » dans laquelle il engagerait sa « responsabilité civile personnelle » envers tous les Québécois qui subiraient des effets indésirables liés au vaccin.

Le cabinet du premier ministre a indiqué à La Presse qu’il n’accorde « aucune importance » à la demande de la Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple. « M. Legault, comme les leaders politiques à travers le monde, continuera de suivre les recommandations d’experts et de scientifiques reconnus, professionnels et dévoués, qui ont comme objectif, tout comme nous, de sauver des vies », a déclaré l’attaché de presse du premier ministre, Ewan Sauves.

« Il y aura toujours une partie de la population qui sera opposée à la science et à l’administration des vaccins. C’est un phénomène qui existait déjà avant la COVID-19, mais la pandémie aura permis de le rendre plus visible », a ajouté M. Sauves.

Ces personnes sont dans leur droit de refuser le vaccin, mais il est évidemment regrettable de voir des gens adhérer et croire aussi fermement à des théories du complot.

Ewan Sauves, attaché de presse du premier ministre du Québec

Une longue vidéo publiée par la Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple, dans laquelle trois avocats affirmaient que certaines mesures du décret gouvernemental sont illégales, a par ailleurs dû être retirée par la Fondation, jeudi, après que le Barreau du Québec eut relevé que deux des avocats, un Ontarien et un Français, n’ont pas le droit d’exercer dans la province. « Par conséquent, [ils] ne peuvent émettre ou donner des avis et des conseils juridiques à la population du Québec », explique le Barreau.

Discours « farfelu »

« Le discours sur la thérapie génique est farfelu », affirme la chercheuse Ève Dubé, anthropologue médicale spécialiste des maladies infectieuses, qui étudie le mouvement antivaccin pour l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). « Il ne colle pas à la réalité scientifique. »

« C’est inquiétant, mais ce n’est pas étonnant que le mouvement antimasque ou négationniste de la pandémie récupère le discours antivaccin. C’est une tendance qui existe depuis longtemps au Québec, mais qui n’était pas aussi bien organisée et financée qu’aux États-Unis, où les figures de proue jouissant d’une grande notoriété vendent des traitements alternatifs, donnent des conférences et monétisent leurs propos », explique-t-elle.

Ce qui change, c’est la capacité de réseautage. Avec les réseaux sociaux, ces mouvements ont une capacité de recruter de nouveaux adhérents qui est de plus en plus préoccupante.

Ève Dubé, anthropologue médicale spécialiste des maladies infectieuses, qui étudie le mouvement antivaccin pour l’Institut national de la recherche scientifique

Facebook et Google ont récemment annoncé qu’ils élimineraient les discours trompeurs au sujet de la vaccination qui apparaissent sur leurs plateformes. Ils ont déjà retiré des milliers de publications considérées comme de la désinformation.

Le SPVM recommande dans sa lettre aux CIUSSS de ne pas « confronter » les éventuels militants qui se présenteraient dans les sites de vaccination, et de ne pas « argumenter » avec eux. « Cela risque de prolonger leur présence, de leur donner de bons clips vidéo », souligne le commandant Desbiens-Côté.

« Ça ne donne rien d’engager le dialogue avec ces groupes, affirme Ève Dubé, parce qu’ils sont de toute façon très convaincus de ce qu’ils avancent. Il faut cependant s’assurer que leurs allégations soient réfutées », ajoute-t-elle.