Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a annoncé le 7 janvier dernier que le laboratoire Pfizer acceptait de fournir des millions de doses de vaccin supplémentaires en échange de données médicales israéliennes sur l’efficacité du vaccin. L’entente soulève toutefois de sérieuses questions éthiques, selon les experts.

Quels types de données recevra Pfizer ?

« Nous ne savons pas exactement quelles données Pfizer recevra. Ce n’est pas clair », a indiqué à La Presse Michael Birnhack, professeur de droit à l’Université de Tel-Aviv, en Israël, et directeur de l’Institut S. Horowitz pour la propriété intellectuelle.

La responsable de la santé publique au ministère de la Santé, Sharon Alroy-Preis, a déclaré que Pfizer ne recevrait que les informations accessibles au public, comme le nombre de cas, de cas graves, de décès et de personnes vaccinées. Toutefois, certains se demandent pourquoi des informations publiques et facilement accessibles auraient une telle valeur pour Pfizer.

« Si les informations échangées sont plus délicates que ce qui est annoncé, alors le gouvernement devra respecter ses obligations et donc obtenir le consentement des personnes, les informer des objectifs de la transmission des données et mettre en place des mécanismes sûrs de protection des données », indique Yanick Farmer, professeur au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et expert des questions éthiques.

Les données seront-elles anonymes ?

Selon les informations fournies par le gouvernement israélien, les données seront anonymisées. Toutefois, certaines personnes estiment que les mécanismes d’anonymisation des données peuvent parfois être déjoués par différents moyens, explique M. Farmer.

C’est ce que craint M. Birnhack. « Le système de santé israélien est public et universel. Il y a beaucoup de données médicales sur nous tous ici, donc il est facile de retracer les données jusqu’à des personnes particulières », explique-t-il. Il a indiqué que plusieurs organisations non gouvernementales avaient envoyé des lettres au gouvernement pour exiger une transparence totale.

Pourquoi fournir des données ?

M. Farmer explique qu’il est essentiel, en recherche médicale, d’avoir accès à un grand volume de données, afin d’établir des preuves scientifiques rigoureuses sur l’effet d’un vaccin, notamment. « La capacité d’obtenir ces données est donc vitale pour l’avancement de la recherche scientifique et peut bénéficier à l’ensemble de la population. Dans ce contexte, le partage d’informations médicales sur un grand nombre d’individus revêt une importance capitale », indique-t-il.

Pour Michael Birnhack, les données sont d’une très grande importance, puisqu’elles indiqueront si les vaccins sont efficaces et s’il existe des tranches de la population qui répondent mieux. « Ces données peuvent faire progresser la recherche et la science », soutient-il.

Quels sont les enjeux éthiques ?

Pour Bryn Williams-Jones, professeur et directeur du programme de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, ce partage d’informations est très problématique. « On ne peut pas donner les données à l’industrie en imaginant qu’elle va les utiliser pour le bien commun. Même si elles se disent engagées avec la communauté, ça reste des industries qui ont un mandat de croissance économique. » M. Farmer ajoute que les informations médicales sur une personne sont très intimes et concernent des aspects importants et parfois douloureux de son histoire de vie.

L’échange de données est-il envisageable au Québec ?

Le ministre de l’Économie et de l’Innovation du Québec, Pierre Fitzgibbon, a indiqué il y a quelques mois l’intérêt du gouvernement à rendre accessibles les données médicales de la Régie de l’assurance maladie du Québec aux sociétés pharmaceutiques. Selon M. Farmer, si le gouvernement souhaite aller de l’avant avec un projet de partage de données médicales, il devra mener un processus de consultation médicale extrêmement rigoureux.

« Nous avons vu, avec la fuite de données chez Desjardins, à quel point une mauvaise gestion des données personnelles peut engendrer des conséquences très négatives pour nombre de personnes. Alors le gouvernement, qui est l’institution la plus importante de notre société, doit être absolument exemplaire dans sa manière de gérer cette question et faire preuve de transparence, indique M. Farmer. Ce sera ensuite à la population, une fois bien informée, de décider si elle souhaite ou non aller de l’avant avec ce genre d’initiative. »