Après 10 mois de pandémie, les personnes qui vivent seules au Québec trouvent le temps long. Avec le resserrement des mesures sanitaires et l’imposition d’un couvre-feu, beaucoup s’inquiètent pour leur santé mentale, car même si on peut être solitaire sans être isolé, le manque de contacts sociaux peut finir par faire des dégâts, avertissent des experts. Portraits de personnes confinées seules.

« C’est un cercle vicieux »

« À partir du moment où j’ai été en arrêt de travail, un peu comme tout le monde qui a perdu son travail, j’ai perdu mes repères au quotidien, raconte Alain * (prénom fictif), travailleur du milieu de la santé mentale. Le travail, ça structure ta routine. Tu es forcé de sortir de chez toi. C’est à partir de ce moment-là que ç’a été difficile. »

Quand la pandémie frappe en mars dernier, Alain est délesté de ses tâches habituelles pour travailler dans une zone COVID. Il doit alors cumuler les responsabilités de travailleur social, d’infirmier et de préposé aux bénéficiaires. Il y reste pendant toute la première vague et en ressort épuisé.

Peu de temps après son retour à son poste habituel, Alain est mis en arrêt de travail pour épuisement professionnel et se retrouve seul et confiné.

C’est un cercle vicieux. Ne plus avoir de structure, ça laisse place à des symptômes dépressifs. Ça enlève de la motivation.

Alain, travailleur du milieu de la santé mentale

« En plus, j’ai les connaissances de ce qu’il faut faire pour avoir un quotidien équilibré : faire de l’exercice, voir des gens. Mais même avec tous ces outils que j’ai la chance d’avoir, je trouve ça difficile d’organiser mon quotidien, de garder une bonne santé mentale. Je n’ose pas imaginer comment font les gens qui n’ont pas ces ressources-là », souligne-t-il.

Alain s’inquiète de l’impact des nouvelles mesures sanitaires et de l’imposition du couvre-feu. « Ça m’a démotivé de me faire enlever les activités qu’on fait le soir, comme faire une marche ou aller voir une amie après son travail, dit Alain. Ça resserre l’étau. »

« Ça fait cinq ans que t’es toute seule, ça ne change rien »

« C’est un combat de tous les jours pour ne pas tomber en dépression », dit Francine Gauthier, infirmière à la retraite de 75 ans. Mme Gauthier habite seule depuis la mort de son mari il y a cinq ans.

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Francine Gauthier

Je me fais dire : “C’est pas grave. Ça fait cinq ans que t’es toute seule, ça ne change rien.” Mais ce n’est pas vrai que ça ne change rien. On est plus anxieux, on dort mal. On prend plus d’anxiolytiques.

Francine Gauthier, infirmière à la retraite

Mme Gauthier s’estime privilégiée de pouvoir vivre son confinement dans sa maison, sans problèmes financiers. Elle essaie de sortir tous les jours pour faire une marche. Elle s’occupe le plus possible.

« Revenir s’enfermer à l’automne, ç’a été pénible, raconte-t-elle. On ne se téléphone même plus entre amis, on n’a plus rien à se dire ! »

Mme Gauthier veut briser le tabou sur la situation des personnes seules. Selon elle, les personnes seules ne parlent pas de leur souffrance de peur d’être jugées.

« Il faut que les gens arrêtent de culpabiliser de se sentir mal, dit l’ancienne infirmière. C’est difficile comme situation ! »

« La peur du jugement est très difficile à supporter, mais on ne parle pas [de notre solitude] pour se plaindre. On veut qu’on nous écoute, point, parce qu’en parler, ça soulage. On n’a pas besoin de conseils. »

« Se sentir loin de son monde »

« Le challenge, c’est de se sentir loin de son monde, constate Valéry Lajoie. Je n’ai pas de problème à vivre toute seule justement parce que j’ai un large entourage autour de moi, mais là, j’ai perdu tous mes repères. Mon cercle s’est réduit à une seule personne. »

Cette autre personne, c’est son « ami COVID », qui habite seul lui aussi, et qu’elle se permet de voir une soirée par semaine après le travail. Cette interaction sociale n’est plus possible avec le couvre-feu.

Mme Lajoie travaille habituellement en repérage de lieux de tournage, mais elle est maintenant devenue « agent COVID » sur une production cinématographique. Elle a vécu le premier confinement sans emploi, mais a pu reprendre le travail lorsque les tournages ont recommencé au mois d’août.

Elle s’estime privilégiée de pouvoir sortir de chez elle et avoir des interactions humaines « qui changent le mal de place », dit-elle.

« Les tournages, ce sont de grosses journées de 14 ou 15 heures, donc je suis contente d’arriver chez moi et d’être toute seule, raconte-t-elle. Ce sont les journées de congé qui sont difficiles. C’est une réalité vraiment étrange. »

« Au début [du confinement au printemps dernier], on s’appelait sur Zoom entre amis et on gardait contact au quotidien. Après, beaucoup de gens se sont mis à travailler aussi sur Zoom et il y a eu une écœurantite. En plus, on n’a plus grand-chose à se dire. »

Un besoin fondamental

Le manque de contacts sociaux peut effectivement être très difficile, en particulier pour les personnes seules, explique Tamarha Pierce, professeure au département de psychologie de l’Université Laval.

La connexion à autrui est un besoin fondamental. Ça permet de valider ce qu’on est en train de vivre, de comprendre des choses, d’être stimulé. Ce sont des besoins de base sur le plan psychologique.

Tamarha Pierce, professeure au département de psychologie de l’Université Laval

« Les autres sont des points de comparaison, affirme Roxane de la Sablonnière, experte en psychologie sociale et professeure à l’Université de Montréal. Quand on est seul et confiné, ça devient difficile de savoir quoi faire, de se faire valider ou invalider. Les autres ont cette fonction-là, surtout dans un contexte de grands changements sociaux comme on voit en ce moment. »

Tamarha Pierce distingue solitude émotionnelle et solitude sociale. La première est liée à des relations plus intimes, tant amicales qu’amoureuses, alors que la seconde s’exprime par un sentiment de déconnexion d’un réseau social, par l’absence d’activités et de loisirs.

Le recours aux réseaux sociaux et aux rencontres virtuelles a assurément contribué à atténuer la solitude au sein de la population. « La pandémie a montré que les contacts virtuels étaient importants, mais qu’ils ne suffisaient pas », conclut-elle.