Certains sont soulagés, d’autres, inquiets. Des employeurs qui offrent des services essentiels reconnaissent que le fait de faire travailler le personnel positif à la COVID-19, mais asymptomatique, pourrait leur permettre d’éviter des interruptions de service. Mais beaucoup se demandent comment y arriver en toute sécurité.

Épiceries, pharmacies, centres communautaires, camionnage, abattoirs : les assouplissements annoncés mardi pour les travailleurs de la santé pourraient s’étendre sous peu à d’autres secteurs considérés essentiels, a laissé entendre le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé.

« Est-ce qu’on va vouloir mettre à risque les autres employés ? », questionne Alain Lacasse, directeur des affaires publiques de l’Association des détaillants en alimentation du Québec. « Est-ce qu’on ne va pas mettre le feu aux poudres dans les magasins ? C’est à calculer. On n’a pas encore les modalités pour le reste des travailleurs essentiels. »

La recrudescence des cas de COVID-19 touche de nombreux employeurs du Québec. Dans les épiceries, de 10 % à 15 % des employés manquent à l’appel, selon Alain Lacasse.

Certains magasins ont moins de monde, d’autres plus, ça dépend des secteurs, mais avec le temps des Fêtes, ça a des répercussions.

Alain Lacasse, directeur des affaires publiques de l’Association des détaillants en alimentation du Québec

Le retour des employés qui ont obtenu un résultat positif pourrait cependant aggraver la pénurie de main-d’œuvre, craint-il. « C’est risqué quand même. On manque déjà de personnel. S’il y a une éclosion dans un magasin, on n’est pas plus avancé. »

Éviter les interruptions de service

Dans d’autres secteurs, le manque de main-d’œuvre est tellement criant qu’on accueille avec soulagement l’annonce gouvernementale. « On est très limite », explique Frédérick Dugas, pharmacien copropriétaire d’une pharmacie Uniprix à Montréal. « On est environ 10 employés. Sur le plan technique, surtout, si quelqu’un s’absente, ça nous met en difficulté. »

Selon le pharmacien, si des masques N95 étaient distribués à son équipe et qu’un employé était asymptomatique, cela permettrait de maintenir les services à la population.

C’est sûr qu’on n’est pas sur la corde raide comme [le milieu de la santé]. Mais quand même, on ne peut pas se permettre une rupture dans les services.

Frédérick Dugas, pharmacien copropriétaire d’une pharmacie Uniprix

L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires a d’ailleurs appuyé publiquement l’annonce du gouvernement dans un communiqué mardi.

Maintenir les services aux plus vulnérables

La situation est semblable du côté des services en itinérance de la mission Old Brewery, à Montréal. « J’ai des travailleurs dépistés et sans aucun symptôme et eux se sentent impuissants à la maison », constate Émilie Fortier, directrice des services d’urgence de la mission Old Brewery. L’organisme gère des refuges, le centre de jour de l’Hôtel-Dieu et la zone d’isolement pour les sans-abri atteints de la COVID-19, en partenariat avec la Santé publique.

Maintenant, c’est de trouver l’équilibre pour éviter les ruptures de services… On n’est pas plus avancés s’il n’y a personne pour gérer les zones d’isolement.

Émilie Fortier, directrice des services d’urgence de la mission Old Brewery

L’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec (ARIHQ) a aussi salué cette nouvelle mesure par un communiqué de presse publié mardi.

« Évidemment, nous aurions préféré ne pas en arriver là », a déclaré Johanne Pratte, directrice générale de l’ARIHQ dans le communiqué. « Mais dans les circonstances et [compte tenu de] la propagation fulgurante du variant Omicron, cet assouplissement nous apparaît nécessaire pour maintenir les services dont ont besoin les plus de 17 000 personnes vulnérables hébergées dans l’une des 1000 ressources intermédiaires du Québec. »

« Pas logique »

Tous ne s’entendent toutefois pas sur les bénéfices d’un tel assouplissement. Sylvain Ménard, président du syndicat de l’usine d’Unidindon – une filiale d’Olymel située à Saint-Jean-Baptiste –, s’oppose à cette mesure. « C’est déjà difficile de gérer les cas de COVID-19 dans les usines, donc de les faire entrer même s’ils sont positifs, je ne pense pas que ça va être possible », dit-il.

Il craint une gestion difficile des cas positifs au travail. « Qu’est-ce que ça va amener de faire entrer des gens positifs à l’usine ? Est-ce qu’ils vont ouvrir un département à part pour les personnes infectées ? », se questionne-t-il. « Pour moi, ce n’est pas logique. »

Avec la collaboration de Coralie Laplante et d’Alice Girard-Bossé, La Presse

L’envers du dépistage

PHOTO FREYA INGRID MORALES, ARCHIVES BLOOMBERG

L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux estime que de 500 à 1000 techniciens d’analyse en laboratoire manquent dans le système de santé.

Derrière les longues files de dépistage de la COVID-19 se trouvent des techniciens en laboratoire qui analysent chaque échantillon. Or, la pénurie de main-d’œuvre touche durement ce secteur essentiel.

« Dans les laboratoires, avant la COVID, c’était déjà la surcharge. Avec la COVID, c’est la surchauffe », indique Sandra Étienne, quatrième vice-présidente de L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS).

Le syndicat estime que de 500 à 1000 techniciens d’analyse en laboratoire manquent dans le système de santé. La pénurie a été accentuée par cette nouvelle vague de COVID-19.

« Les membres sont à bout de force, ils se donnent pour la santé et le bien-être de la population québécoise, mais on leur demande de faire des efforts surhumains [comme des heures supplémentaires obligatoires] », explique Sandra Étienne.

« Pas un enjeu »

Questionné au sujet du manque de personnel dans les laboratoires d’analyse pour effectuer le dépistage, le ministre Christian Dubé a soutenu que « jusqu’à maintenant, ça n’a pas été un enjeu ». Les laboratoires ont effectué « jusqu’à 50 000 analyses ces derniers jours, ce qui est un record », a-t-il fait valoir.

Une réponse qualifiée « de déni et d’incompréhension [du métier] » par Sandra Étienne.

La directrice de l’APTS considère aussi « incohérente » la nouvelle directive gouvernementale de faire travailler les employés qui ont eu un test positif à la COVID-19. De son côté, le directeur de santé publique du CISSS de Laval, le Dr Jean-Pierre Trépanier, affirme que « plus les personnes touchées [par la COVID-19] ont un rôle névralgique à jouer [comme les techniciens de laboratoire], plus ça devient critique de les maintenir en emploi ».

Environ 8 travailleurs en laboratoire sur 60 étaient absents en raison de la COVID-19 dans le CISSS de Laval mardi.