Afin d’éviter de délester davantage de services, des travailleurs de la santé atteints de la COVID-19 – mais asymptomatiques – pourront travailler « sous certaines conditions », a annoncé mardi Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux. Une mesure qui a fait bondir certains syndicats.

Des travailleurs de la santé déclarés positifs et asymptomatiques pourront travailler selon « une liste de priorités, mais aussi une gestion des risques », a indiqué M. Dubé. « Ça va être du cas par cas, en fonction de chacune des situations propres à chaque région », a-t-il précisé.

La période d’isolement de ces travailleurs infectés sera réduite. Elle tiendra compte du type d’exposition, des résultats d’analyse de laboratoire ainsi que du statut vaccinal du travailleur, indique-t-on dans un communiqué. La date d’entrée en vigueur de cette mesure demeure inconnue.

Cette nouvelle mesure s’étendra à tous les travailleurs essentiels, afin que la société « continue de fonctionner de façon sécuritaire », a dit M. Dubé. Les informations à cet effet seront dévoilées dans les prochains jours.

« On est pris dans un étau où les hospitalisations augmentent, alors que de plus en plus de soignants doivent s’absenter [en raison de la COVID-19] », a illustré le ministre de la Santé.

[Lundi], environ 7000 travailleurs étaient absents et, dans les prochains jours, ce seront 10 000 travailleurs.

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Comme une grande proportion des travailleurs de la santé sont doublement vaccinés, cette nouvelle mesure « est un risque calculé », selon Christian Dubé. La décision n’a pas été prise par choix, mais elle est nécessaire pour éviter de se rendre au « dernier niveau de délestage, qui implique de faire seulement les soins critiques », dit-il. Le fait de délester davantage causerait des « dommages permanents » chez les Québécois qui ont besoin de soins, a-t-il souligné.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Le DHoracio Arruda, directeur national de santé publique

Il y a d’autres maladies que la COVID-19, a rappelé le DHoracio Arruda, directeur national de santé publique. « Si j’étais aux soins intensifs et que j’avais besoin d’un cardiologue, je préférerais un cardiologue infecté par la COVID-19 qui est peu symptomatique, a-t-il illustré. Il va s’occuper de mon cœur, parce que mon risque de mourir du cœur est plus important. »

Le réseau n’est « pas prêt »

L’annonce du ministre Dubé est « irresponsable et inacceptable », selon Julie Bouchard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec. « Le fait de ramener des professionnelles en soins qui sont positives dans le réseau, dans les milieux de travail » mènera sans doute à des éclosions dans les services de soins, a-t-elle affirmé, en entrevue avec La Presse.

Le personnel « a quand même été une source de propagation du virus au début de la première vague », indique Isabelle Dumaine, présidente de la Fédération de la santé du Québec, affiliée à la CSQ (FSQ-CSQ).

L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) est aussi préoccupée par la nouvelle mesure. « C’est incohérent, parce qu’à l’hôpital, [les employés] partagent les mêmes salles de bain, les mêmes salles de dîner. Il y a même des endroits où les mêmes aires communes sont ouvertes aux visiteurs et à tous », a dit Sandra Étienne, quatrième vice-présidente de l’APTS.

La Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) estime que « le réseau n’est pas prêt à faire face » à cette décision du gouvernement. « On n’est même pas en mesure de tester le personnel dans [son] milieu de travail », a souligné Réjean Leclerc, président de la FSSS-CSN, dans un communiqué.

Protéger « le moral des troupes »

Des mesures devront être instaurées pour éviter les excès qui causeraient des « dommages irréparables pour le moral des troupes », estime la Dre Judy Morris, présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec.

Ce que je crains, c’est qu’il y ait des endroits qui soient tellement dans le trouble qu’ils forcent un peu des gens avec des symptômes légers à revenir.

La Dre Judy Morris, présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec

La nouvelle mesure annoncée par le gouvernement sera utilisée en dernier recours, soutient de son côté François Paradis, président de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec. Une réorganisation des effectifs sera d’abord privilégiée, explique-t-il.

Un « moindre mal »

La mesure annoncée mardi est un « moindre mal », selon Paul G. Brunet, président-directeur général du Conseil pour la protection des malades. Le fait d’abandonner des patients est plus risqué que faire travailler des employés atteints de la COVID-19 munis des mesures de protection nécessaires, selon lui.

Il est hors de question qu’un employé malade approche un résidant, affirme toutefois Line Vincelli, directrice et propriétaire de la Résidence Outremont, à Montréal. « Je viendrai remplacer [les employés] moi-même, s’il le faut », s’exclame-t-elle au bout du fil.

« Accepter qu’un collègue infecté vienne travailler à leurs côtés, ce ne serait vraiment pas correct de faire ça à mes employés, poursuit Mme Vincelli. Ils risqueraient d’être infectés et d’infecter leur famille. On ne peut pas faire ça, c’est inacceptable. »

Mme Vincelli déplore que des mesures plus strictes n’aient pas été mises en place pendant le temps des Fêtes, afin d’éviter d’en venir à une telle décision.

Une mesure imparfaite, mais nécessaire

Pour sa part, le Regroupement québécois des résidences pour aînés accueille favorablement cette nouvelle mesure. « En ce moment, la plupart de nos membres sont doublement ou triplement vaccinés et il y a très peu d’hospitalisations parmi les résidants infectés », indique Marc Fortin, président-directeur général de l'organisme, en entrevue avec La Presse.

« Dans la perspective où on manque de personnel et qu’on ne peut pas tomber en bris de service, c’est la moins pire des décisions », soutient-il.

L’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec est du même avis. Il s’agit d’une mesure de dernier recours, « certainement imparfaite, mais devenue nécessaire » pour éviter des ruptures de services dans plusieurs ressources intermédiaires à travers le Québec.

L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires a également salué cette nouvelle mesure, qui pourrait « permettre d’alléger les mesures d’isolement pour le personnel de la santé pour [lui] permettre de continuer de travailler selon une liste de priorités et de conditions », a-t-on indiqué dans un communiqué.

De son côté, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, dit ne pas être en désaccord avec la mesure proposée, pourvu que cela soit conforme au code de déontologie et que des balises « appropriées et limpides » soient mises en place, a-t-elle déclaré en soirée sur Twitter.

Avec la collaboration d’Alice Girard-Bossé, La Presse

Les agences de placement tendent la main

Les agences de placement, qui ont des centaines d’employés disponibles pour travailler, sont prêtes à aider le réseau de la santé. « Nous avons été écartées des solutions à la pénurie de main-d’œuvre sur des bases purement contractuelles, et aucunement sur des bases de rapidité de réponse ou de qualité de service », a affirmé Richard Mercier, porte-parole du Regroupement des agences de placement du domaine de la santé, dans un communiqué. Un peu plus de 830 infirmières, préposées aux bénéficiaires et infirmières auxiliaires pourraient venir donner un coup de pouce dès maintenant, soutient le regroupement. Les agences se disent prêtes à contribuer à la situation et trouvent anormal que le gouvernement fasse appel à l’armée ou à des organisations caritatives, alors qu’elles ont des ressources disponibles. « Nous ne demandons pas de traitement de faveur. Nous demandons seulement l’équité pour que nous puissions, nous aussi, offrir des professionnels de la santé prêts à travailler dès maintenant », a-t-il indiqué. La Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) est du même avis. « Nous avons demandé au gouvernement depuis plusieurs mois d’intégrer le personnel des agences privées dans le réseau public pour venir prêter main-forte au personnel », soutient le conseiller à l’information de la fédération, Hubert Forcier. Québec a-t-il l’intention de recourir aux agences ? Au moment d’écrire ces lignes, nous n'avions pas reçu de réponse du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec n’avait pas répondu aux questions de La Presse.

Alice Girard-Bossé, La Presse