L’hiver s’annonce dur. Très dur. Et un nouveau confinement semble inévitable pour affronter Omicron, aux yeux d’experts interrogés par La Presse. En attendant, tous s’entendent : les nouvelles mesures annoncées par Québec sont insuffisantes.

Vers un reconfinement ?

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le scénario du retour d’un confinement et d’un couvre-feu aurait été qualifié de catastrophique et d’alarmiste il y a un mois. Mais avec l’arrivée du variant Omicron, même le premier ministre du Québec, François Legault, n’a pas fermé la porte jeudi dernier.

De quoi aura l’air l’hiver au Québec avec l’arrivée du variant Omicron ? Ce sera dur. Très dur. Au mieux, on aura un hiver en deux temps, préviennent plusieurs experts. Janvier et février avec des mesures sanitaires très strictes, voire jusqu’à un reconfinement comme il y a un an.

Car les nouvelles mesures annoncées jeudi par le gouvernement du Québec ne permettront pas de contrer complètement Omicron, selon des experts.

« Ça ne sera pas suffisant », dit l’épidémiologiste Benoît Mâsse, professeur à l’Université de Montréal.

« Ça ne va que freiner la hausse, pour gagner du temps pour la vaccination, dit M. Mâsse. Malheureusement, il faudra redresser la barre plus d’une fois. On sait ce que ça veut dire. Ça ne sera pas facile à faire passer. On a déjà couru 30 km d’un marathon, et on demande un autre effort. Ça va être dur pour le moral. »

Comme nouvelles mesures sanitaires, Québec a annoncé jeudi un objectif de réduction des contacts sociaux de 50 %, une réduction de capacité des restos et des salles de spectacle, le retour au télétravail, une limite de 10 personnes pour un rassemblement privé et une rentrée scolaire reportée en janvier.

« Les mesures [annoncées jeudi] risquent de ne pas être suffisantes », pense aussi Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Des signes inquiétants

En une semaine, le nombre de cas par jour est passé de 1982 à 3631 (vendredi dernier). Si la tendance se maintient, il n’est pas impossible de voir 10 000 cas de COVID-19 par jour au Québec au début de janvier, pense Benoît Mâsse.

Autre signe (encore) plus inquiétant : le nombre d’hospitalisations monte, lui aussi. En une semaine, il est passé de 251 à 347. Il y a 837 lits d’hôpital pour des cas de COVID-19 au Québec.

Est-ce dire qu’on pourrait revenir un an en arrière et devoir passer le début de l’hiver en reconfinement ? « Malheureusement oui », dit l’épidémiologiste Benoît Mâsse.

« Je ne vois pas d’autre solution avec un variant trois fois plus contagieux [que Delta] », dit la professeure Roxane Borgès Da Silva.

Le calcul est simple : si le variant Omicron est trois fois plus contagieux mais qu’on réduit de moitié nos contacts sociaux, on n’arrivera pas à réduire assez la progression d’Omicron.

Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Le virologiste Benoit Barbeau est un peu plus optimiste. Certes, de nouvelles mesures pourraient être nécessaires rapidement. Mais il doute que la situation se dégrade au point qu’il faille imposer un reconfinement avec couvre-feu. « Je ne crois pas qu’on va avoir des mesures sanitaires aussi draconiennes que l’hiver dernier », dit M. Barbeau, professeur à l’UQAM.

Capacité hospitalière

Ce scénario du retour d’un confinement et d’un couvre-feu aurait été qualifié de catastrophique et d’alarmiste il y a un mois. Mais avec l’arrivée d’Omicron, même le premier ministre du Québec, François Legault, n’a pas fermé la porte jeudi dernier. « Ce n’est pas impossible », a-t-il dit en conférence de presse.

« Personne n’a le goût d’un couvre-feu, dit la professeure Roxane Borgès Da Silva. Mais la question, c’est : comment fait-on pour protéger le système de santé ? »

Au rythme actuel de la montée des cas, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) prévoit que la capacité hospitalière de 837 lits COVID au Québec sera atteinte au début de janvier si on ne fait rien pour réduire les contacts sociaux.

En Ontario, le coprésident du comité consultatif scientifique sur la COVID-19 s’est fait poser la question jeudi sur ce qui nous attendait. Sa réponse a été claire et limpide. « Ce sera probablement la vague la plus dure de la pandémie », a dit le DAdalsteinn Brown.

La question (cruciale) de la virulence

Tous les experts en santé publique consultés par La Presse commencent par une importante mise en garde : à ce stade-ci, il est (très) difficile de prévoir avec certitude à quoi ressemblera l’hiver. Pour une raison bien simple : on ne connaît pas encore le degré de virulence d’Omicron par rapport aux autres souches du coronavirus. Autrement dit, Omicron provoque-t-il autant d’hospitalisations, en pourcentage du nombre de cas, que Delta ? C’est une question cruciale.

Omicron est beaucoup plus contagieux – trois fois plus transmissible que Delta, selon les dernières données en Ontario. Si Omicron est trois fois plus transmissible mais trois fois moins virulent que Delta, la situation épidémiologique ne changerait pas beaucoup. Mais si Omicron est trois fois plus transmissible et aussi virulent que Delta, il y aurait normalement trois fois plus d’hospitalisations. Et le système de santé serait vite débordé.

Comme il faut généralement une dizaine de jours pour qu’une infection de COVID-19 se transforme en cas sérieux nécessitant une hospitalisation, on aura une réponse plus complète d’ici deux à trois semaines, estiment les experts. Probablement en provenance du Royaume-Uni ou de l’Afrique du Sud.

Malheureusement, les premières données préliminaires en provenance de l’étranger ne sont pas rassurantes.

Les premières données en Afrique du Sud ne montraient pas de hausse du nombre d’hospitalisations avec Omicron, mais il s’agissait surtout de personnes relativement jeunes – l’échantillon n’était donc pas très représentatif.

Des données (très) préliminaires au Danemark font craindre le pire : le taux d’hospitalisation des cas d’Omicron y est légèrement supérieur (0,81 %) à celui des autres souches, y compris Delta (0,75 % des cas). Au Québec, environ 2 % des cas de COVID-19 nécessitent actuellement une hospitalisation.

Une étude de l’Imperial College de Londres publiée jeudi suggère aussi que la virulence d’Omicron ne serait pas très différente de celle de Delta.

20 %

Pourcentage des nouveaux cas de COVID au Québec qui sont des cas avec le variant Omicron, en date de jeudi dernier. Selon la tendance en Ontario, Omicron double son importance en pourcentage tous les trois jours. Il devrait donc devenir dominant au Québec cette semaine.

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En Ontario, une personne infectée par le variant Omicron en infecte trois autres, et une personne infectée par le variant Delta en infecte une autre (plus récentes données en date du 10 décembre). Ces taux de reproduction du virus ont lieu alors que l’Ontario est vacciné à deux doses à 77 % de sa population (y compris les 0-5 ans, qui ne peuvent pas être vaccinés), tout comme le Québec.

Un hiver en deux temps

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Personnes faisant la queue pour subir un test de dépistage de la COVID-19, samedi, à Montréal

Le scénario optimiste des experts : le variant Omicron nous fera passer un hiver en deux temps.

Selon ce scénario, on vivra janvier et février avec des mesures sanitaires plus strictes, le temps qu’on puisse vacciner 90 % des Québécois de 12 ans et plus avec une troisième dose. La fin de l’hiver (mars) sera plus facile à vivre, car une troisième dose de vaccin offre une bonne protection contre Omicron.

« Il y a une course actuellement » entre la vaccination contre la transmission d’Omicron, explique l’épidémiologiste Benoît Mâsse, professeur à l’Université de Montréal. « La question, c’est de savoir si on est capables de réduire suffisamment nos contacts pour ralentir la transmission », dit-il.

« Le plus important, c’est de diminuer le nombre de gens qu’on croise sans masque », dit la Dre Caroline Quach, pédiatre, microbiologiste et infectiologue au CHU Sainte-Justine.

Course contre la montre

Avec un variant aussi contagieux qu’Omicron, il faudrait idéalement qu’au moins 90 % des Québécois soient vaccinés à trois doses pour atteindre un niveau de protection permettant de reprendre une vie plus normale.

Environ 88 % des Québécois de 12 ans et plus sont vaccinés à deux doses. On peut présumer que la très grande majorité des 6,4 millions de Québécois doublement vaccinés prendront une troisième dose. Environ 0,5 million de Québécois (7 % de la population) ont leur troisième dose.

Si Québec est capable de faire passer le rythme de vaccination de 50 000 (le niveau actuel) à 100 000 doses par jour (le niveau maximal atteint l’été dernier) le 1er janvier, ça nous amènerait autour du 21 février pour administrer la troisième dose à tous les doublement vaccinés de 12 ans et plus. Il faut une à deux semaines pour que la troisième dose fasse pleinement effet.

Pendant cette course de vaccination contre Omicron, de nouvelles mesures sanitaires plus sévères pourraient rapidement devenir nécessaires. Peut-être aussi tôt que d’ici la fin du mois de décembre.

« Vous êtes mieux de frapper avant plutôt que d’attendre d’être frappé. Notre hiver va varier, mais nous aurons une période très difficile en janvier. On va payer la note des actions de novembre et décembre », dit le DKarl Weiss, microbiologiste et spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital général juif de Montréal.

« Il faut s’attendre à vivre dans le même mauvais film que l’hiver dernier », dit Alain Lamarre, virologue et professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

Parmi les options qui s’offriront au gouvernement du Québec :

  • Retarder encore la rentrée du primaire en janvier, ou encore recommencer l’école primaire en virtuel
  • Réduire encore la capacité d’accueil des commerces et la jauge des salles de spectacle
  • Rendre le télétravail obligatoire (il est actuellement recommandé)
  • En dernier recours, imposer un confinement et un couvre-feu

Détail important : on parle ici d’un confinement comme à l’hiver 2021, et non comme en mars 2020, où il a fallu presque tout fermer. Aucun expert ne parle de revenir au scénario de mars 2020, alors qu’on n’avait pas de masques ni de vaccins et que l’on connaissait mal la maladie.

Cet hiver, les tests rapides et les médicaments antiviraux (quand ils auront été approuvés par Santé Canada) seront aussi de nouveaux outils pour aider à réduire la propagation du virus.

Que faire avec les écoles primaires ?

La question des écoles risque d’être particulièrement déchirante. Sur 1308 éclosions actives, 40 % sont dans les écoles primaires, suivi des milieux de travail (33 %), des garderies (11 %), des écoles secondaires (5 %) et des milieux de soins et de vie (4 %). Il y a un problème d’éclosions dans les écoles primaires. La vaccination des 5 à 11 ans aidera sans doute un peu, mais Omicron résiste généralement bien à deux doses de vaccin (on ne sait pas à quel moment après la deuxième dose on pourra donner une troisième dose aux 5 à 11 ans).

L’hiver dernier, Québec est parvenu à garder les écoles ouvertes durant la deuxième vague. Mais le Québec faisait face à une souche du virus beaucoup moins contagieuse (Delta, variant cinq fois plus contagieux que la souche originale, est plutôt arrivé au printemps 2021).

« Ça va être très compliqué jusqu’à la mi-février », dit la Dre Caroline Quach. La pédiatre, microbiologiste et infectiologue au CHU Sainte-Justine espère qu’on pourra garder les écoles ouvertes. « Les enfants ont besoin d’être scolarisés, on sait qu’il y a des impacts à moyen et à long terme pour eux », dit-elle.

Verre à moitié vide ou à moitié plein ?

Durant la première vague, le Québec disposait de 1600 lits d’hôpital pour soigner des cas de COVID-19. Aujourd’hui, on est à 837 lits. Québec peut augmenter le nombre de lits COVID, mais à condition de faire du délestage. Les experts consultés par La Presse doutent qu’on puisse revenir à 1600 lits. « Tout le monde est à bout, ça fait 22 mois, et on a beaucoup moins de personnel qu’au départ », dit la Dre Caroline Quach.

Quand le Québec sera vacciné à 90 % à trois doses, il sera sans doute possible de desserrer certaines mesures sanitaires. Mais ne vous attendez pas pour autant à revenir au bureau le 1er mars. Ni à reprendre votre vie exactement comme le mois dernier. Car trois doses de vaccin protègent moins bien contre Omicron que les deux doses ne protégeaient contre Delta cet automne. Et les maladies virales respiratoires comme le coronavirus font toujours davantage de dommages l’hiver que l’été.

Le portrait est donc très noir.

Et on n’a pas encore parlé des effets de la COVID longue chez une minorité de patients. « C’est un facteur inconnu qui m’inquiète », affirme la Dre Joanne Liu, pédiatre-urgentiste au CHU Sainte-Justine et professeure à l’Université McGill.

On n’a pas abordé non plus la raison pour laquelle Omicron s’est développé : parce qu’on n’a pas réussi à avoir une couverture vaccinale assez importante à l’échelle internationale, notamment dans les pays moins nantis (à peine 8 % des Africains ont reçu deux doses de vaccin). Tant qu’on ne vaccine pas toute la planète, il y a des risques qu’un nouveau variant, plus dangereux, se développe. Même après Omicron.

On a donc plusieurs raisons d’être découragés. Mais au lieu de voir le verre à moitié vide, le DKarl Weiss suggère de le voir à moitié plein.

« Il faut que les gens soient optimistes, dit le DWeiss. On n’a pas rien fait depuis la dernière année. Oui, la situation va être difficile. Mais si on avait eu Omicron l’hiver dernier sans les vaccins et avec nos règles sanitaires actuelles, on n’aurait pas 3500 cas par jour, mais bien 40 000 cas par jour et des hôpitaux submergés. »