Au moment où les partis de l’opposition réclament une enquête publique sur le décès de personnes âgées dans les CHSLD au printemps 2020, la protectrice du citoyen déposera ce mardi son rapport définitif sur la gestion de la crise. Parallèlement, des témoignages livrés à la coroner Géhane Kamel, qui est sur le point de terminer son enquête, soulèvent d’importantes questions sur le moment où Québec a demandé aux CHSLD de se préparer à l’arrivée de la COVID-19. Qu’a-t-on appris jusqu’à maintenant ?

De février à septembre 2020, plus de 4000 résidants de CHSLD ont succombé au Québec à la COVID-19.

Dans son rapport d’étape publié en décembre 2020, la protectrice du citoyen, Marie Rinfret, signalait déjà que, dans plusieurs CHSLD débordés par la crise, on a « manqué de temps pour distribuer de l’eau » aux résidants et que « des personnes sont demeurées alitées […] pendant plusieurs jours, parfois pendant plusieurs semaines ».

À l’enquête de la coroner Kamel, l’ex-ministre de la Santé Danielle McCann et l’ex-sous-ministre à la Santé Yvan Gendron ont déclaré que dès janvier 2020, il avait été demandé aux PDG des CISSS et des CIUSSS du Québec de mettre à jour leurs plans de pandémie et de préparer leurs CHSLD en conséquence.

Mais les procès-verbaux des réunions tenues en janvier et février entre le ministère de la Santé et tous les PDG du réseau laissent voir que ce n’est que le 9 mars qu’une « mise à jour du plan de lutte à la pandémie » a été évoquée.

Questionnés pour savoir si leur PDG avait bel et bien été invité dès janvier à préparer leurs plans de pandémie, et si oui, pourquoi leurs CHSLD étaient si mal préparés, des CIUSSS et CISSS du Grand Montréal ont demandé à La Presse de poser la question au MSSS « par respect pour le processus en cours ».

La coroner Kamel a eu le mandat d’enquêter sur des décès au Manoir Liverpool à Lévis, aux CHSLD des Moulins à Terrebonne, Laflèche à Shawinigan, Yvon-Brunet à Montréal, Ste-Dorothée à Laval et Herron à Dorval, en plus de se pencher sur le volet national de la gestion de la pandémie.

L’exercice a révélé que le 9 mars 2020, Québec a reçu des scénarios de projection de la COVID-19 de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Selon le pire de ces scénarios, le Québec aurait enregistré 35 000 hospitalisations par semaine alors que le nombre total de lits de soins aigus est de 18 000. Cette crainte de voir des hôpitaux submergés de cas a incité le gouvernement à y concentrer sa préparation.

Des questions sur les directives

La coroner Kamel a soulevé plusieurs questions sur certaines directives émises en début de crise. Le 18 mars 2020, M. Gendron écrivait par exemple que les transferts de patients des CHSLD vers les hôpitaux devaient « être évités ». Une directive suivie à la lettre par plusieurs établissements, a affirmé la coroner Kamel.

Plusieurs représentants du ministère de la Santé ont affirmé que « cette interdiction n’était pas ferme ». Mais pour Mme Kamel, cette directive a plutôt été « appliquée comme la Bible ».

Le 18 mars 2020, Québec recommandait aussi aux médecins de se tourner vers la télémédecine, dont la facturation a été autorisée. La ministre McCann a affirmé au coroner que dans son esprit, la télémédecine, « ce n’était pas pour les CHSLD ». La coroner Kamel a toutefois noté que dans plusieurs des CHSLD, les médecins avaient opté pour la télémédecine en mars 2020.

Le Dr Vinh-Kim Nguyen, qui a travaillé en CHSLD, a ébranlé la coroner en évoquant le mot « euthanasie » pour parler du décès de certains résidants. Au plus fort de la crise, a-t-il dit, certains patients avaient été placés sous protocole de détresse respiratoire alors qu’ils « n’avaient pas à se rendre jusque-là ».

Le Dr Réjean Hébert est venu rappeler que le Québec a été de loin la province canadienne ayant présenté le plus fort taux de décès en CHSLD durant la première vague.

Le débat des masques

Des experts de l’INSPQ et le Dr Horacio Arruda ont expliqué pourquoi ils n’ont recommandé le port du masque d’intervention (dit « de procédure ») dans les milieux de soins qu’au début d’avril 2020 et pourquoi le port du masque N95 a longtemps été limité aux interventions générant des aérosols. Le Dr Arruda a affirmé qu’il se « fiait aux experts » de l’INSPQ, et qu’il « tenait compte de la réalité », comme le manque de masques.

Une experte de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, Geneviève Marchand, a critiqué le fait que l’INSPQ ne mette pas assez l’accent, encore à ce jour, sur la transmission par inhalation. Selon elle, il y avait dès le début de la pandémie « suffisamment de données et d’information au niveau de la science » pour juger que la transmission par inhalation était « plausible ». Plus de 40 000 travailleurs de la santé ont été contaminés par le virus au Québec à ce jour.

La position de l’INSPQ, déjà brièvement présentée, sera encore plus détaillée lors du témoignage du Dr Jasmin Villeneuve, prévu le 29 novembre. Il s’agira d’un des derniers témoignages de l’enquête qui se terminera le 6 décembre. La coroner Kamel vise à terminer la rédaction de son rapport au printemps 2022. En tout, elle aura entendu près de 70 témoins.

La commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, doit aussi remettre son rapport définitif d’enquête d’ici la fin de l’année. Dans son rapport préliminaire, Mme Castonguay parlait de la première vague de COVID-19 dans les CHSLD comme de « l’une des pires crises que le Québec moderne ait jamais connues ».