Estimant que l’entrée en vigueur de la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé au 15 octobre aurait mis en péril le réseau, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a reporté l’échéance au 15 novembre. Une décision saluée par les syndicats.

« Si on continue comme ça, on va foncer dans un mur », a dit M. Dubé en conférence de presse mercredi.

Actuellement, 22 000 travailleurs de la santé ne sont pas adéquatement vaccinés. Suspendre ces employés dès vendredi représentait un risque « trop élevé » pour le ministre. « Ce serait irresponsable de jouer avec la santé des Québécois », a-t-il déclaré, ajoutant avoir la responsabilité de « protéger le réseau ».

Au cours des derniers jours, le ministre Dubé a demandé aux PDG de tous les établissements de santé d’analyser « toutes les solutions » pour minimiser l’impact de la suspension de milliers de travailleurs refusant de se plier à l’obligation de se faire vacciner. Mais à deux jours de la date butoir du 15 octobre, « la meilleure des solutions est de reporter l’application du décret d’un mois », affirme M. Dubé.

En additionnant les travailleurs non vaccinés au personnel déjà manquant, « on se retrouve à ajouter une pression beaucoup trop forte sur le réseau et sur le personnel déjà vacciné », a expliqué le ministre. Et même s’il avait autorisé les travailleurs ayant reçu une dose de vaccin à travailler après le 15 octobre, le déficit de travailleurs aurait tout de même été de 14 000 sur les 330 000 du réseau.

Plus de 600 lits fermés

Les enjeux étaient de taille. Ainsi, la Dre Lucie Opatrny, sous-ministre adjointe à la Direction générale des affaires universitaires, médicales, infirmières et pharmaceutiques, affirme que si Québec avait maintenu sa date butoir, 600 lits de courte durée dans les hôpitaux auraient dû être fermés, ainsi que 35 salles d’opération. Déjà, 80 salles d’opération sur les 470 de la province sont fermées, note la Dre Opatrny. Et environ 150 000 Québécois patientent sur des listes d’attente.

PHOTO PAUL CHIASSON, LA PRESSE CANADIENNE

La Dre Lucie Opatrny, sous-ministre adjointe à la Direction générale des affaires universitaires, médicales, infirmières et pharmaceutiques

La Dre Opatrny ajoute que 35 % des CHSLD auraient dû réduire leurs services de façon importante. Cette donnée a « beaucoup fait réfléchir » M. Dubé.

Vous savez comment on a souffert dans ces milieux [les CHSLD] à la première vague. Moi, je ne pouvais pas me retrouver à me regarder dans le miroir demain matin et avoir pris ce genre de risque là dans les CHSLD.

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Le ministre Christian Dubé reconnaît « que cette décision peut paraître très frustrante pour les travailleurs de la santé déjà vaccinés. Et pour les utilisateurs du réseau qui veulent un environnement sécuritaire ». Mais tous les scénarios étudiés pour maintenir la date butoir « étaient trop lourds pour notre réseau ».

En repoussant la date butoir, M. Dubé veut « donner un dernier temps supplémentaire aux non-vaccinés de se faire vacciner ». Il souligne que depuis la fin du mois d’août, le taux de vaccination des travailleurs de la santé a augmenté de 5,5 % et atteint maintenant 96 %. Et il a bon espoir que ce taux augmente encore d’ici au 15 novembre.

Il croit que « l’interdiction de pratique des ordres professionnels qu’on a reçue récemment va faire réfléchir les non-vaccinés ». Pour accentuer la pression sur les travailleurs non vaccinés, certaines primes ne leur seront maintenant versées que s’ils se font doublement vacciner au cours des 30 prochains jours.

Enfin, le ministre veut accélérer l’embauche de nouveaux travailleurs, qui devront être doublement vaccinés.

Le ministre Dubé explique que s’il avait maintenu le cap, plusieurs établissements auraient dû se tourner vers le « temps supplémentaire obligatoire » (TSO) pour maintenir leurs activités. Et M. Dubé dit justement vouloir abolir le TSO. « On veut un changement de culture dans le réseau. Comme gestionnaire, je me dois d’additionner du personnel dans le réseau qui est à bout de souffle. Pas d’en soustraire », dit-il.

La décision à prendre, selon les syndicats

François Legault a défendu le choix du report. « Je pense que quand on regarde la balance des inconvénients, c’était la décision responsable à prendre », a-t-il affirmé lors d’une brève mêlée de presse à Québec. Le gouvernement Legault a écarté à plusieurs reprises ces derniers jours toute possibilité de report de la date butoir, comme le lui avaient demandé le Parti québécois et cinq syndicats en santé, la semaine dernière. Encore mardi, le ministre de la Santé maintenait la ligne dure.

Présidente de la FSQ-CSQ, Claire Montour estime que Québec « n’avait tout simplement pas d’autre choix » et que la décision du ministre est « responsable ».

Christian Dubé semble avoir été à l’écoute du message lancé par nos organisations.

Claire Montour, présidente de la FSQ-CSQ

Le son de cloche est similaire du côté de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). « Tous les établissements appliquent déjà des plans de contingence sur le terrain et ce sont nos membres qui assument la surcharge de travail, contraintes au temps supplémentaire obligatoire. On évite le chaos à court terme, mais nous ne sommes pas sorties du bois », a fait valoir la vice-présidente, Isabelle Groulx.

« C’était la chose à faire », estime pour sa part le président de la FSSS-CSN, Jeff Begley. Selon lui, le gouvernement a trop tardé en publiant son décret le 24 septembre. « Il fallait qu’il le sorte le plus tôt possible après la commission parlementaire [26 août] pour que les gens sachent à quoi s’en tenir », ajoute-t-il.

Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse

Réactions à Québec

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Marie Montpetit, porte-parole en matière de santé, Parti libéral du Québec

On a tous perdu collectivement de cet échec du ministre Dubé. Les seuls qui ont gagné, ce sont les antivaccins. […] À une semaine de l’entrée en vigueur, les ordres professionnels manquaient toujours d’information sur le décret. Ça démontre le fait que ça n’a pas été fait en collaboration avec les ordres professionnels et les syndicats.

Marie Montpetit, porte-parole en matière de santé, Parti libéral du Québec

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Vincent Marissal, porte-parole en matière de santé de Québec solidaire

En obligeant la vaccination du personnel soignant dans le réseau de la santé sans prévoir de plan de contingence, le ministre Dubé a lancé les dés et il a perdu son pari. C’est un aveu d’échec pour le gouvernement d’avoir attendu jusqu’à la toute dernière minute avant de reculer sur sa propre date butoir.

Vincent Marissal, porte-parole en matière de santé, Québec solidaire

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

L’échéance arrivait beaucoup trop rapidement ; les bris de services, déjà trop nombreux, promettaient de se multiplier dans le réseau. Ensemble, nous avons réclamé du temps pour réorganiser les services, et l’utilisation judicieuse de tests de dépistage, plutôt que l’emploi de la ligne dure, surtout que le taux de vaccination ne cesse d’augmenter.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec

En annonçant qu’il reporte d’un mois sa très mauvaise décision de suspendre sans solde les travailleurs de la santé non vaccinés, le ministre Dubé prouve qu’il n’est plus l’homme de la situation. Le système de santé québécois est inefficace depuis fort longtemps. Il est fragilisé par la crise sanitaire. Penser que de suspendre des milliers de travailleurs qui, rappelons-le, étaient testés trois fois par semaine, améliorerait les choses est grotesque.

Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec

Lisez la chronique de Patrick Lagacé : « Les antivax ont gagné »