Aplatir la courbe, déconfinement, complotisme, ça va bien aller. Les dizaines d’heures de points de presse de François Legault, Horacio Arruda, Christian Dubé et Danielle McCann auront, pour le meilleur ou pour le pire, enrichi notre vocabulaire. La Presse vous propose une analyse lexicale des 794 transcriptions issues des points de presse tenus à l’Assemblée nationale entre janvier 2020 et le début de septembre, dont 116 du premier ministre.

Coronavirus

C’est le 18 février 2020 qu’est prononcé pour la première fois le mot coronavirus dans un point de presse officiel à l’Assemblée nationale. Paule Robitaille, à l’époque porte-parole de l’opposition officielle en matière de relations internationales et de francophonie, prononce les mots virus, coronavirus et quarantaine dans le premier point de presse à l’Assemblée nationale consacré au coronavirus. Son allocution visait à faire le point sur la situation du bateau de croisière Diamond Princess – qu’elle qualifie d’incubateur à virus – mis en quarantaine au Japon, après que des passagers ont eu un test positif au coronavirus. La crise du coronavirus a néanmoins intégré le discours public bien avant ce moment : le 5 février 2020, François Legault demandait aux Québécois de garder leur calme face à la prolifération des gestes d’intolérance envers les communautés asiatiques.

Méthodologie

Pourquoi les points de presse à l’Assemblée nationale ? Le site web de l’Assemblée nationale donne la possibilité de télécharger les transcriptions de tous les points de presse tenus dans l’édifice. Une information qui n’est pas disponible pour les mêlées de presse et les points de presse tenus hors des murs du parlement. C’est à cet endroit que se sont tenues la plupart des conférences de presse liées à la pandémie.

Quarantaine

Alors que le mot quarantaine a été utilisé 125 fois, aucune mention n’est faite du terme quatorzaine, un terme issu initialement du langage juridique, peut-être plus représentatif des 14 jours d’isolement recommandés.

Distanciation

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

C’est quelques semaines plus tard, le 11 mars 2020, qu’aura lieu le premier point de presse officiel à l’Assemblée nationale de Danielle McCann, ancienne ministre de la Santé et des Services sociaux, et du DHoracio Arruda, directeur national de santé publique, pour faire le point sur la COVID-19 au Québec. Cela suivait l’annonce de l’Organisation mondiale de la santé qui déclarait la pandémie. Horacio Arruda y a parlé de distanciation sociale, de mesures sanitaires et de dépistage. La question de la vaccination est dès lors abordée par les journalistes, et le lendemain déjà, le DArruda explique qu’une vaccination obligatoire peut être déclarée en cas d’urgence sanitaire.

Ça va bien aller

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHVES LA PRESSE

Popularisée par Gabriella Cucinelli, Italienne établie à Québec, l’expression apparaît pour la première fois dans les points de presse à l’Assemblée nationale le 24 mars 2020. Au total, elle sera utilisée 11 fois pour rassurer les Québécois.

Anges gardiens

C’est François Legault qui utilise pour la première fois ce qualificatif à l’Assemblée nationale le 13 mars 2020. « Je veux dire un mot aussi au personnel du réseau de la santé. Vous êtes nos anges gardiens, on compte sur vous », déclare-t-il. Au total, le terme a été utilisé 44 fois pour désigner les membres du personnel de la santé, aux premières lignes dans le combat contre la pandémie.

Vagues

Dès le 25 mars 2020, on parle de deuxième vague. Et il ne va pas falloir attendre plus tard que le 11 avril pour que le DArruda mentionne l’importance d’« éviter une deuxième puis une troisième vague ».

Aplanir ou aplatir la courbe ?

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le DHoracio Arruda, directeur national de santé publique

À l’Assemblée nationale, aplanir est arrivé en premier : « Je vais avoir deux lubies dans cette période, c’est aplanir la courbe puis lavez-vous les mains », annonce le DArruda le 13 mars 2020. Mais au total, l’expression ne sera utilisée que 5 fois avant de laisser place à aplatir la courbe qui sera évoquée 33 fois, souvent accompagnée de grands gestes de la main.

Ces expressions, très imagées, illustrent les outils de communication développés par le gouvernement. « Malgré certains manquements, le gouvernement a fait un très grand effort de vulgarisation des termes et la population a fait beaucoup d’apprentissages », nous explique Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Théories du complot

De la fabrication en laboratoire aux puces électroniques dans les vaccins, les théories du complot entourant la pandémie ont été nombreuses. C’est Gabriel Nadeau-Dubois qui évoque en premier les théories du complot, le 28 mai 2020, pour souligner l’importance des enjeux éthiques et d’une démarche transparente en ce qui concerne la mise en place d’une application de traçage.

Couvre-feu

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

La question du couvre-feu est très rapidement abordée à l’Assemblée nationale. Dès le 16 mars 2020, le DArruda répond à une question sur le sujet, avouant ne pas être entièrement sûr de son efficacité dans un contexte de santé publique.

Contrat moral

À l’approche du temps des Fêtes de 2020, le gouvernement propose un contrat moral aux Québécois pour s’assurer de leur collaboration quant au respect des mesures sanitaires. Ce contrat moral est mentionné pour la première fois à l’Assemblée nationale dans le point de presse du 24 novembre de Dominique Anglade, cheffe de l’opposition officielle. Cette expression sera par la suite reprise à 84 occasions dans les points de presse de l’Assemblée nationale.

Le temps de parole

Au total, et à raison de 5 mots par seconde, François Legault aura passé près de 21 heures 15 minutes avec les Québécois. Le DArruda aura quant à lui mobilisé la parole durant 16 heures 12 minutes et Christian Dubé, 11 heures 12.

Dans les mots de François Legault

Quels mots François Legault a-t-il le plus utilisés dans ces dizaines de points de presse ? Sans surprise, parmi les mots le plus souvent prononcés pendant ses énoncés, en excluant les périodes de questions, on retrouve santé, cas, décès ou hospitalisation qui font état de l’avancée de la crise sanitaire. D’autres mots comme masque, mètre ou maison font référence aux mesures de confinement et de distanciation physique imposées par le gouvernement.

Pour faire état de la crise, le premier ministre semble préférer le mot virus, qui apparaît 148 fois, au mot coronavirus, présent 20 fois seulement. Il est également souvent mention de la COVID-19 (104 fois) et de la pandémie (78 fois), tandis que le mot épidémie n’apparaît qu’une seule fois. Enfin, même si le mot maison apparaît 160 fois, le premier ministre ne parlera de confinement que 13 fois et de déconfinement près d’une trentaine de fois.

À quel point ces mots resteront-ils ancrés dans le vocabulaire des Québécois ? « Ces mots-là sont très liés à la pandémie comme telle. […] S’il n’y a pas d’autres courbes, il n’y a pas de raison de parler d’écrasement de la courbe. Les mots vague ou variant, par exemple, vont rester très attachés à la pandémie, donc c’est des mots qui vont être difficiles à récupérer pour d’autres problèmes sociaux », explique Nadine Vincent, linguiste et lexicographe.

Pour elle, ces points de presse ont donné l’occasion à François Legault de développer sa personnalité de premier ministre devant le public, et de construire une relation particulière avec les Québécois.

Ce qui va rester de sa relation particulière avec les Québécois, c’est ses appels à la solidarité, ses appels à la fierté. […] C’est là-dessus qu’il [François Legault] joue beaucoup, et ça, ça va pouvoir être récupéré lors des prochaines élections.

Nadine Vincent, linguiste et lexicographe, professeure et chercheuse de l’Université de Sherbrooke

Des thématiques récurrentes

Le vocabulaire de François Legault a évolué au fil des vagues de la pandémie. Des aînés à la vaccination, quatre sujets principaux ressortent de l’analyse dans le temps des thématiques présentes dans les discours du premier ministre : la crise des CHSLD, l’avancée de la pandémie, la situation économique et les enjeux relatifs à la vaccination.

Ewan Sauves, attaché de presse du premier ministre, explique que les sujets traités par M. Legault reflètent parfaitement, au moment où ils sont abordés, le contexte dans lequel le Québec est plongé, ce qui est souvent le cas en gestion de crise.

« Dans les premiers mois de la pandémie, la crise dans nos CHSLD, le manque de personnel et le manque de ressources chez nos préposés aux bénéficiaires marquent la première vague et ce sont donc des enjeux qui sont continuellement abordés par le premier ministre lors de ses conférences de presse », écrit-il par courriel.

Il explique également que chaque fois que la situation épidémiologique s’améliore, les enjeux économiques s’imposent comme thème central : « Les périodes de déconfinement et de relâchement des mesures sanitaires permettent au premier ministre de revenir sur une de ses priorités en temps normal, c’est-à-dire l’économie », ajoute-t-il.

Enfin, il conclut en précisant : « À partir de la fin 2020, on voit que le débat entourant la vaccination devient incontournable. Les premiers vaccins sont rendus disponibles et livrés au Québec, le premier ministre souhaite dans ses prises de parole établir clairement que la vaccination contre la COVID-19 est la clé pour une sortie de crise, le fameux passeport pour la liberté. »

Avec la collaboration de Thomas de Lorimier et de Hervé Mensah