Le témoignage de la propriétaire du CHSLD Herron devant la coroner a jeté un nouvel éclairage sur les jours qui ont mené à la crise et à la mise sous tutelle par le CIUSSS de l’Ouest-de-l’île-de-Montréal. Parfois très émotive, Samantha Chowieri a raconté comment elle avait assisté au départ de presque tout son personnel, multipliant les appels à l’aide, bien consciente que les résidants ne recevaient pas les soins de base.

« Le sentiment de cette journée-là, ça ne peut pas se décrire », a-t-elle dit.

Samantha Chowieri a pris la parole mercredi lors de l’enquête publique de la coroner Géhane Kamel. Elle était la dernière témoin. Son récit a notamment démontré l’ampleur des tensions et du manque de communication persistants entre le CIUSSS et les gens de Herron.

La propriétaire a parlé de son sentiment d’impuissance, de son soulagement lorsque des gens du CIUSSS sont arrivés le soir du 29 mars, puis du choc en apprenant qu’ils mettaient Herron sous tutelle. « Je n’avais pas d’explications. [Je ne savais pas] si c’était court terme, long terme, je ne savais pas comment réagir. »

Mme Chowieri a admis, avec le recul, que le groupe Katasa, propriétaire de plusieurs résidences pour personnes âgées, n’était pas outillé pour gérer un CHSLD.

« Ça reposait sur les épaules de trois personnes, vous n’aviez pas une structure assez forte, lui a dit la coroner. Quand je vous ai vue entrer [dans la salle d’audience], je me suis dit : le raz de marée a dû vous passer dessus. Ça n’excuse pas le manque de préparation. Mais c’est comme si vous étiez tous des pompiers recrues et qu’on vous envoyait à l’incendie du World Trade Center. On ne souhaite ça à personne. »

Les jours précédant l'hécatombe

Voici ce que Samantha Chowieri a raconté :

Le 27 mars, elle reçoit un appel du directeur général du centre, Andrei Stanica. Un résidant hospitalisé est déclaré positif à la COVID-19, un deuxième a des symptômes. On s’inquiète d’une directive du 811 demandant aux employés qui ont été en contact avec le patient de s’isoler 14 jours. Le CIUSSS est appelé.

Le matin du 28 mars, Mme Chowieri est chez elle, à Gatineau, lorsqu’elle reçoit un appel de M. Stanica. Il est malade. Elle se met en route vers Herron et contacte le CIUSSS. Elle dit à son interlocutrice « qu’on est dans le trouble, qu’on est en manque [de personnel] ». La consigne de l’isolement l’inquiète. « Je lui dis que c’est problématique et qu’on ne sait pas si on va y arriver. Si on a d’autres cas, je vais continuer à envoyer des gens à la maison. »

Elle dit que, malheureusement, on est samedi et elle sera plus en mesure de nous aider le lundi. […] C’est la situation comme ça partout. Je dis que je vais faire de mon mieux pour essayer d’arriver à lundi matin.

Samantha Chowieri, propriétaire du CHSLD Herron, à propos d'une réponse du CIUSSS

À Herron, les employés sont inquiets. « C’était la première fois qu’ils faisaient face à un cas de COVID-19. Moi aussi. »

Mme Chowieri multiplie les appels auprès d’employés et d’agences. Quand elle part ce soir-là, elle est sûre qu’elle a « comblé [les besoins] de manière minimale pour les prochaines 24 heures ».

« Je pars avec l’idée que c’était correct. J’[avais bon espoir] que ça irait bien. Ça n’a pas bien été, mais c’était ça, mon sentiment. »

Son téléphone sonne peu avant 7 h le 29 mars. Le quart de nuit a été catastrophique. Plusieurs employés ont ressenti des symptômes. Ils ont contacté le 811. Sont-ils partis durant leur quart, ou ne sont-ils jamais venus ? Elle n’a pas la réponse.

Elle appelle Brigitte Auger, directrice responsable du service CHSLD-soutien à domicile du CIUSSS. « Je lui dis que c’est une crise, qu’on a besoin de soutien, de bras, d’aide. Je suis en train de perdre beaucoup de monde. »

La propriétaire contacte des agences de placement, en vain. Elle appelle ses employés. Malades, inquiets ou isolés, ils refusent de rentrer. Elle contacte la Dre Orly Hermon, médecin attitrée, qui répond que les médecins sont en télétravail et ne peuvent pas se déplacer.

Quand elle arrive au centre vers 8 h 30, c’est le chaos.

Tout le monde venait me voir. [Les gens] étaient symptomatiques ou ne se sentaient pas bien. On n’avait pas eu d’équipement de protection dans les semaines précédentes. Ils avaient aussi une crainte pour eux-mêmes et leurs parents. J’essayais de tempérer et j’essayais de les convaincre de rester.

Samantha Chowieri

Samantha Chowieri croit avoir fait « des centaines » d’appels cette journée-là. « Je frappe des murs partout. Je suis face à l’inconnu. J’essaie de dire aux employés qu’on a besoin de donner un service aux résidants. »

En après-midi, elle contacte à nouveau Brigitte Auger. « Je lui fais part [du fait] que je suis en [rupture] de services. Que j’ai besoin d’aide. »

« Je n’arrive même pas à faire un horaire. Ça fait depuis le milieu de la nuit, peut-être la nuit d’avant que les gens n’ont pas les services essentiels », s’est-elle remémoré.

« Pourquoi ils ne sont pas venus avant ? »

En fin d’après-midi, des gestionnaires du CIUSSS arrivent en renfort. Quelques heures plus tard, Mme Chowieri apprend que le CIUSSS met Herron en tutelle. Brigitte Auger est dans son bureau, Lynne McVey, la PDG, au téléphone. La conversation est tendue. « Elle me [dit] que le centre ne va pas depuis longtemps. Elle me demande si on est là juste pour faire de l’argent. Elle parle de maltraitance. »

« On faisait appel [à eux] depuis le 27. Pourquoi ils ne sont pas venus avant s’ils avaient ce sentiment-là ? J’ai dit : “Je ne comprends pas.” »

Brigitte Auger lui aurait dit avoir l’autorité de la « sortir du centre ». Elle y est tout de même allée jusqu’au 10 avril. « C’était flou pour moi, quoi faire. […] Ma manière d’aider, c’était de ramener du staff. Je n’ai pas vu de personnel rentrer en [nombre suffisant] le lendemain. Il y avait des gens qui rentraient, mais pas [le nombre auquel] je m’attendais. »

Contrairement au témoignage de plusieurs gestionnaires du CIUSSS, il n’était pas question, selon elle, de collaboration entre le CIUSSS et Herron. Elle s’est fait dire à plusieurs reprises que Mme Auger était dorénavant responsable. Elle ne se sentait pas la bienvenue dans la salle de conférence de l’équipe du CIUSSS. Elle n’était pas invitée aux réunions de la cellule de crise. On ne répondait pas à ses courriels, dit-elle.

Son témoignage se poursuivra ce jeudi.

En chiffres

47 : Nombre de résidants morts à Herron visés par l’enquête de la coroner
Source : Bureau du coroner

34 : Nombre de témoins entendus à l’enquête publique
Source : La Presse