La pandémie aura entraîné une véritable explosion du recours aux agences privées dans le réseau de la santé. Alors que les établissements de santé ont dépensé 443 millions en 2019-2020 pour de la main-d’œuvre indépendante, cette somme a atteint 1 milliard en 2020-2021, révèlent des données du ministère de la Santé compilées à partir des rapports annuels des établissements de santé.

Ces rapports, que doivent produire les 103 établissements de santé publics et privés conventionnés du Québec, détaillent le total des heures travaillées par la main-d’œuvre indépendante, que ce soit chez les infirmières, les préposés aux bénéficiaires, les employés de l’entretien ménager, les agents de sécurité et bien d’autres titres d’emploi.

Au cabinet du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, on note que la pandémie n’est pas étrangère à la hausse importante du recours aux agences privées. Au plus fort de la première vague, plus de 12 000 travailleurs de la santé étaient absents du réseau. « Notre priorité numéro un était d’assurer les soins aux Québécois malades », résume l’attachée de presse du ministre, Marjaurie Côté-Boileau.

Celle-ci ajoute que la pandémie a accentué le besoin pour des titres d’emploi qui ne livrent pas des soins, comme la sécurité et l’entretien ménager. « Ces deux métiers comptent à eux seuls pour 51,6 % de l’augmentation des dépenses en main-d’œuvre indépendante entre 2019 et 2020 », note Mme Côté-Boileau.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Un homme s’adresse à une agente de sécurité à la clinique de vaccination du Stade olympique, en avril dernier.

Les données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) montrent que les établissements de santé ont dépensé 344 millions pour ces services en 2020-2021. Un bond de 262 % par rapport à l’année précédente.

Hausses dans tous les secteurs

Dans les dernières semaines, Québec solidaire a mandaté le chercheur Yves Lévesque pour analyser les rapports financiers annuels des établissements de santé et résumer l’ampleur du recours à la main-d’œuvre indépendante ces dernières années. Aucun titre d’emploi n’est épargné par la hausse de la main-d’œuvre indépendante.

Certaines régions ont eu recours de façon bien plus importante que d’autres à la main-d’œuvre indépendante en 2020-2021. C’est le cas notamment des Laurentides, où les coûts sont passés de 28 millions à 96 millions. La porte-parole du CISSS des Laurentides, Mélanie Laroche, note que 26 % de la hausse est attribuable aux dépenses en sécurité. « Les agents de sécurité, issus d’agences privées, devaient entre autres s’assurer du respect des mesures sanitaires sur la plupart de nos installations », dit-elle.

Mme Laroche ajoute que le CISSS a aussi dû envoyer en renfort des employés dans « des dizaines de ressources privées de la région » durant la pandémie. « Dans plusieurs cas, la mobilisation de ces employés chez nos partenaires privés a forcé le CISSS à compenser en partie leur absence par de la main-d’œuvre indépendante », dit-elle.

Un « cercle vicieux », selon Québec solidaire

Porte-parole de Québec solidaire en matière de santé, Vincent Marissal estime que le recours aux agences privées est un « cercle vicieux qui ne finit plus de finir » et qu’il est grand temps de se « sevrer des agences ». Son parti estime qu’il est possible d’y arriver en trois ans. Notamment en supprimant carrément le recours aux agences dans différents secteurs de soins. M. Marissal croit aussi que la solution passe par de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires pour les travailleurs de la santé.

Présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Nancy Bédard soutient que le recours abusif aux heures supplémentaires obligatoires, la surcharge de travail des infirmières et les décrets gouvernementaux adoptés durant la pandémie ont poussé un grand nombre d’infirmières vers le privé. « On voyait des dizaines de personnes par jour quitter le réseau pour aller au privé », dit-elle.

En avril, le gouvernement a adopté un arrêté ministériel qui interdit notamment à une infirmière qui quitte le réseau de revenir y travailler par l’entremise d’une agence pour une période de 90 jours. Cet arrêté a eu un certain effet, concède Mme Bédard, qui croit toutefois que beaucoup reste à faire.

Lundi passé, le premier ministre François Legault a affirmé que la pénurie d’infirmières dans le réseau « l’empêchait de dormir ». « Là, ça bouge. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Mais c’est épouvantable d’avoir attendu d’être rendu là avant de faire quelque chose », commente Mme Bédard.

« Depuis 2006 qu’on s’attaque au réseau à coups de restructurations. […] La solution passe par de meilleures conditions de travail. Mais aussi, il faut recréer le sentiment d’appartenance », affirme pour sa part le président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Jeff Begley.

En conférence de presse la semaine dernière, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a indiqué que la situation des infirmières est appelée à changer alors que leur nouvelle convention collective entrera bientôt en vigueur. « On n’a pas encore vu tous les avantages de la convention collective qui vient d’être signée. On n’a pas vu tout ce [qu’il y aura] comme impacts positifs pour diminuer le temps supplémentaire obligatoire », a dit M. Dubé, qui a demandé aux infirmières « d’attendre d’avoir le bénéfice de tout ce qui a été signé comme convention [collective] ».