Envoyés en éclaireurs au CHSLD Herron à la fin mars 2020, trois cadres du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal ont plutôt passé la nuit à nourrir, laver et changer des aînés, parce que tous les employés avaient déserté, a témoigné lundi la PDG du CIUSSS lors de l’enquête publique de la coroner Géhane Kamel sur les décès survenus dans certains CHSLD au cours de la première vague de la pandémie.

Quand les trois cadres sont arrivés à Herron, où 47 aînés sont morts, il n’y avait sur place que la propriétaire, son conjoint et un employé pour 133 pensionnaires. « Il n’y avait pas eu de nourriture qui avait été donnée aux patients. Ils n’avaient pas été changés. Le plancher était collant », a relaté la PDG Lynne McVey.

La dirigeante a raconté l’intervention du CIUSSS à Herron à partir de la fin mars, alors que l’établissement privé conventionné manquait cruellement de main-d’œuvre et où « les besoins de base des résidants n’étaient pas rencontrés », a-t-elle dit. La coroner et les avocats des partis ont plusieurs fois questionné Mme McVey sur la chronologie de la crise et sur les raisons qui ont motivé certaines des décisions du CIUSSS, dont celle d’appeler la police en pleine nuit le 11 avril, alors que la situation s’était pourtant améliorée.

Pas d’employés

Le 29 mars, Mme McVey raconte avoir reçu un courriel d’un médecin pratiquant à Herron. Il n’y a pas d’infirmière sur place depuis 24 h et pas de directrice des soins infirmiers. Deux jours plus tôt, elle avait été mise au courant d’un premier décès COVID parmi les résidants de l’endroit. Le lendemain, la direction de l’établissement privé demandait de l’équipement de protection et de la main-d’œuvre. La propriétaire informait aussi le CIUSSS que le directeur général de Herron est hospitalisé avec la COVID-19.

Le 29, donc, Mme Lynne McVey est préoccupée lorsqu’elle lit le courriel du médecin. Elle demande à sa PDG adjointe de mettre le cas de Herron à l’ordre du jour de la réunion de la cellule des mesures d’urgence dédiée aux milieux de vie des aînés. La même journée, 23 résidences pour aînés en éclosion demandent de l’aide au CIUSSS.

Cela n’empêche pas la PDG adjointe d’envoyer les trois gestionnaires de la cellule des mesures d’urgence en personne au CHSLD Herron. À leur arrivée, la situation est tellement chaotique qu’elles n’ont d’autre choix que d’intervenir directement auprès des résidants. Elles demandent des renforts.

Le lendemain matin, la pénurie de personnel n’est pas résorbée, ni le soir ni les jours suivants, selon Mme McVey. Au début avril, le CIUSSS envoie quotidiennement en renfort entre trois et sept personnes. À partir du 10 avril, les équipes du CIUSSS atteignent entre 20 et 60 par jour.

Le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal a envoyé deux mises en demeure à la direction de Herron, les 5 et 8 avril. Mme McVey affirme que ses équipes n’avaient pas accès à des éléments essentiels au bon fonctionnement de l’établissement, soit les listes d’employés et leur coordonnée, les listes de patients et les coordonnées de leurs familles, les clés des armoires de literie et de médicaments et un lieu sécuritaire pour que les équipes enfilent l’équipement. La PDG dit aussi que la propriétaire aurait fait savoir à une agence de placement avec qui elle faisait affaire qu’elle ne paierait pas le personnel appelé au travail par le CIUSSS.

Dans la nuit du 10 au 11 avril, alors qu’une rencontre « cordiale » avec la propriétaire de Herron venait d’avoir lieu et que les listes, les clés, et les informations requises avaient été fournies, Lynne McVey a appelé la police. Elle venait de découvrir qu’il n’y avait pas eu 13 décès, comme déclarés au CIUSSS par la résidence, mais bien 31 depuis le 13 mars.

« C’est un très grand écart. Comment ce fait il [qu’on] n’avait pas été mis au courant de ces décès ? La préoccupation que j’avais, c’était : qu’est-ce qu’on ne savait pas et qu’on allait découvrir. »

Refus de collaborer

Plus tôt lundi, la Sergente détective Andréanne Laplante du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a témoigné que les propriétaires du CHSLD Herron ont refusé de parler aux policiers qui menaient l’enquête criminelle sur la vague de décès survenu au début de la pandémie. C’est la Sergente détective Laplante qui a été l’enquêteuse principale sur l’hécatombe dans l’établissement de Dorval.

« Il y a [des témoins] qui ont refusé, je n’ai pas pu rencontrer ni les dirigeants du Herron ni les médecins. Je n’ai pas les versions de ces personnes-là », a expliqué la policière.

Elle a raconté à la coroner comment les policiers en sont venus à ouvrir une enquête criminelle sur le CHSLD. Une plainte a été déposée en plaine nuit le 11 avril 2020, alors que les décès s’accumulaient dans l’établissement. Dès le lendemain, une perquisition était menée dans le CHSLD, alors une zone rouge.

Des enquêteurs, mais aussi des experts de l’identité judiciaire et des crimes technologiques du SPVM, ont participé à l’opération. Ils ont saisi des ordinateurs, des caméras de surveillance, des dossiers médicaux, des listes de résidants et d’employés et des contacts de familles, entre autres.

Dans les semaines suivantes, les policiers ont contacté une soixantaine de témoins potentiels. Ils en ont interviewé environ cinquante. Selon Andréanne Laplante, une dizaine ont refusé l’invitation, dont les propriétaires.

Les audiences concernant le CHDLD Herron ont ouvert lundi et dureront trois semaines. Rappelons que l’enquête sur cet établissement devait se tenir l’hiver dernier, mais que la coroner avait accepté de les reporter « à contrecœur » à la demande de l’avocate des propriétaires. Celle-ci craignait une interférence avec un éventuel procès criminel. Depuis, le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a annoncé qu’il ne déposerait pas d’accusations dans ce dossier.