(Québec) La désorganisation des services, une mauvaise évaluation de la qualité des soins et le manque de données fiables ont « contribué au triste bilan de la première vague de la pandémie de COVID-19 pour les personnes âgées hébergées au Québec », conclut la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay.

Dans un rapport préliminaire rendu public jeudi relativement à son enquête sur la prise en charge de la pandémie, elle relève des « lacunes dans la gouvernance » qui expliquent, du moins en partie, le nombre élevé de morts durant la première vague.

En date du 30 août 2020, 5745 personnes étaient mortes de la COVID-29, dont 90 % hébergées en CHSLD, en résidence pour aînés (RPA) ou en ressource intermédiaire.

« Au début de la crise, les occasions manquées de prendre de bonnes décisions ont été nombreuses, et les conséquences de ces rendez-vous ratés, excessivement graves », écrit sans détour Joanne Castonguay, une remarque accablante pour le gouvernement Legault.

Elle estime que « l’absence ou le manque d’informations a nui à une gestion efficace de la crise ».

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Joanne Castonguay, commissaire à la santé et au bien-être

L’accès à de l’information complète et fiable sur les soins et services offerts aux personnes âgées est très limité. Or, c’est essentiel pour prendre des décisions justes et axées sur les besoins des patients.

Joanne Castonguay, commissaire à la santé et au bien-être

Elle relève que la création des CISSS et des CIUSSS, découlant de la réforme Barrette en 2015, « a semblé entraîner une perte sur le plan des données disponibles, et [que] la disparition des agences a créé une perte d’expertise pour certaines banques de données ».

La fusion des établissements « a fait disparaître l’information par installations, explique-t-elle. Ainsi, les données disponibles en 2021 ne permettent plus l’analyse des ressources financières et humaines à l’échelle des installations (ex. : dans les CHSLD publics) et des missions ou programmes à l’échelle locale. Il est donc impossible, à partir des banques de données du MSSS, de connaître précisément les ressources et les services offerts aux personnes âgées par installation des CISSS ou des CIUSSS, y compris pour les services médicaux ».

Résultat : durant la première vague, Québec ne connaissait ni l’état réel des effectifs dans chaque CHSLD ni l’état des stocks d’équipements de protection individuelle, par exemple.

Des services « désorganisés »

L’organisation des soins est « éclatée », et le manque de coordination entre les différents acteurs a miné la gestion de la crise, ajoute Joanne Castonguay.

« Les soins et services reçus par les personnes âgées sont désorganisés. Le patient doit transiger avec de multiples intervenants qui ont chacun leurs façons de faire, leurs directives et leurs objectifs. » Là encore, elle montre du doigt la réforme Barrette.

« L’adoption d’une stratégie d’intégration des soins et des services dans le cadre de la réforme […] de 2015 est un bel exemple d’implantation d’une politique qui a omis de prendre en considération l’importance d’adapter l’environnement où la stratégie serait implantée. À l’heure actuelle, une personne âgée en perte d’autonomie peut recevoir des soins à domicile de son CLSC ainsi que des services médicaux de son médecin, tous deux couverts par l’assurance maladie, et pourrait aussi bénéficier de services à domicile de la part d’une agence ou de sa RPA.

« Tous ces services devraient être coordonnés, idéalement par une seule personne, de sorte qu’il n’y ait pour le patient qu’un seul point de contact pour accéder à tous ces services. Or, chaque organisation, qu’il s’agisse du CLSC, du médecin (ou de sa clinique) ou du milieu d’hébergement, a des directions, des objectifs et des incitatifs qui ne sont pas nécessairement tous alignés », explique la commissaire.

Elle relève « certains problèmes [qui] ont émergé ou ont été exacerbés par cette même réforme, notamment la diminution de l’encadrement, la pénurie et la mobilité de la main-d’œuvre ainsi que la communication et l’évolution des ressources financières, qui n’ont pas suivi le rythme de croissance de la population âgée ».

Elle constate aussi que de 2010 à 2018, alors que les dépenses de santé du gouvernement du Québec par personne augmentaient pour les moins de 65 ans, celles consacrées aux 65 ans et plus ont diminué, essentiellement parce que les fonds qui leur sont alloués ont crû moins rapidement que la taille de ce groupe d’âge.

« On observe une dégradation quant à la disponibilité des ressources humaines (augmentation des heures supplémentaires et du recours à la main-d’œuvre indépendante), particulièrement dans le secteur des soins de longue durée, et ce, malgré une augmentation du nombre d’employés depuis 2015-2016. Rien, dans l’analyse des ressources de 2015 à 2020, ne permet d’observer une amélioration dans l’allocation des ressources destinées à cette population », tranche-t-elle.

Contrôle de la qualité défaillant

Au cours de son enquête, la commissaire a constaté des problèmes dans « l’évaluation de la qualité des soins et services reçus par les personnes âgées ».

[Il n’y a] aucun organisme officiellement responsable de compiler les résultats générés lors des différentes évaluations. Sans vue d’ensemble, il est difficile de rendre les prestataires de soins responsables de leurs actions.

Joanne Castonguay, commissaire à la santé et au bien-être

Depuis 2018, 169 CHSLD sur les 416 évalués (40,6 %) ont obtenu un rapport qui « indique une inadéquation par rapport aux cibles et aux orientations du MSSS ». Et d’une visite à l’autre, « la propension à améliorer le niveau de conformité à l’égard des cibles est décevante », estime la commissaire. Elle note que les RPA échappent aux mécanismes de contrôle de la qualité.

Or, un meilleur contrôle de la qualité « aurait permis de mieux préparer les milieux de vie et d’hébergement à la pandémie », selon elle.

Elle rappelle que plusieurs rapports ont dénoncé des lacunes dans la gouvernance, mais qu’ils ont fait l’objet de « peu d’attention dans les grandes préoccupations des gouvernements successifs ».

« À ce stade de [son] analyse », la commissaire « estime qu’il y a lieu de se demander si une meilleure organisation des soins et des services destinés aux personnes âgées, c’est-à-dire selon les recommandations maintes fois réitérées par les nombreux comités, chercheurs et experts s’étant prononcés à cet égard, aurait pu faire en sorte que les conséquences de la première vague de la pandémie sur les personnes âgées vivant en milieu d’hébergement soient moins importantes ».

« Ça prenait deux mandats », se défend Barrette

Dans un communiqué de presse laconique, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, dit accueillir « favorablement » le rapport de la commissaire et assure qu’il en tiendra compte pour améliorer les soins aux aînés.

Le député libéral Gaétan Barrette estime qu’imputer les défaillances à sa réforme est injustifié. « L’essence même de la réforme, c’est d’intégrer sous une autorité le continuum de soins. Je sais que ça n’a pas été fait [pour les services aux aînés], mais comme je l’ai déjà dit, ça prenait deux mandats pour faire ça. Moi, j’ai fait le début, et ça n’a pas été poursuivi » par le gouvernement caquiste.

« Si les gens arrêtaient de chialer et faisaient ce pour quoi on a construit ça, ça fonctionnerait mieux », lance-t-il. Selon sa collègue porte-parole pour les aînés, Monique Sauvé, le rapport n’apporte « aucune réponse de plus » aux familles qui ont perdu un proche en CHSLD.

Selon la porte-parole du Parti québécois pour les aînés, Lorraine Richard, « la commissaire Castonguay blâme la gouvernance déficiente créée par les réformes libérales et l’inaction de la CAQ, qui ont donné l’hécatombe dans les CHSLD lors de la première vague ». Elle réitère la demande du PQ, reprise par les autres partis de l’opposition, qui réclame une enquête publique en bonne et due forme.

Le rapport définitif de Joanne Castonguay est attendu en décembre. Le gouvernement Legault lui a confié en août 2020 le mandat de faire enquête sur la performance du système de santé dans le contexte de la gestion de la pandémie de COVID-19.

Jeudi, Québec a déclaré 699 nouveaux cas de COVID-19, soit 9 cas de plus qu’au bilan de la veille, ainsi qu’un décès supplémentaire. Le nombre des hospitalisations demeure stable. Il y a une tendance à la hausse de 17 % sur une semaine au chapitre des nouvelles infections, alors que la moyenne quotidienne calculée sur sept jours atteint maintenant 570 cas. On compte 138 patients hospitalisés, dont 42 aux soins intensifs, soit 2 de plus que mercredi.

Le nombre de prélèvements effectués mardi s’est élevé à 22 128, en hausse par rapport au bilan précédent (20 854). Par ailleurs, 20 952 nouvelles doses de vaccin ont été administrées en 24 heures.

Avec la collaboration d’Ariane Krol, La Presse