Alors que de nombreux cas de fraude de la preuve vaccinale se confirment avant même l’instauration du passeport vaccinal, le 1er septembre, des experts préviennent qu’il faudra s’attendre à une multiplication des stratagèmes dans les prochaines semaines. Certains appellent à un renforcement des mesures et à une diffusion accrue des sanctions.

« Plus on va avancer, plus on va composer avec ces épisodes de fraude, c’est certain. Le stress augmente socialement, et les gens vont commencer à faire leurs recherches Google. Ça va mettre le feu aux poudres », explique à La Presse le coordonnateur au Laboratoire de recherche en médias socionumériques et ludification Jonathan Bonneau.

Il affirme qu’il faudra « avoir tous les outils » pour freiner le phénomène avant de potentielles hausses de la transmission au Québec. « D’un point de vue informatique, c’est en plein le temps d’augmenter les étapes à passer pour avoir sa preuve vaccinale, comme les identifications à deux facteurs qu’on voit de plus en plus », soutient l’expert.

« Légitimer le processus »

Lors d’un incident raconté par une employée du réseau de la santé qui souhaite conserver l’anonymat par crainte de représailles, un homme se serait récemment présenté à un centre de vaccination de l’est de Montréal et aurait demandé à utiliser un isoloir mis à la disposition des gens qui craignent de subir une faiblesse au moment de leur vaccination.

Protégé des regards, l’individu aurait offert à l’infirmière un sac contenant plusieurs centaines de dollars en liquide, à condition qu’elle jette le vaccin à la poubelle et lui remette une preuve de vaccination. Face au refus de l’employée de se laisser corrompre, l’homme a pris la fuite quand la sécurité a été appelée.

Le problème en ce moment est qu’il suffit d’une personne, au bout de la ligne, pour falsifier un document. Si on arrive à augmenter le nombre d’individus, mais aussi de moments et de façons dont on numérise le code QR, on va arriver à légitimer le processus. Mais c’est complexe.

Jonathan Bonneau, coordonnateur au Laboratoire de recherche en médias socionumériques et ludification

À l’Université du Québec à Montréal, le professeur Bernard Motulsky, spécialiste en communication et en gestion de crise, affirme que la communication gouvernementale doit être axée tant sur les éléments de sécurité que sur les sanctions appliquées aux fraudeurs. « On a vu plusieurs fraudes sur les tests déjà, et les pénalités très sévères ont été pas mal médiatisées. Pour le passeport, ça va être la même chose. Si ça coûte cher, ça montre quelque part qu’on prend le phénomène très au sérieux, et ça en décourage certains », soutient-il.

« La seule porte pour garder un niveau de confiance élevé, c’est la hauteur des mesures de sécurité et la sévérité des sanctions. C’est un peu comme les billets de banque. On sait aujourd’hui qu’il y a un filigrane et plusieurs éléments pour les protéger de la fraude », poursuit le professeur.

Jonathan Bonneau, lui, ne s’en cache pas : « Les outils et le système ne sont pas suffisants. » « Il faut considérer que le gouvernement et même la recherche n’étaient pas prêts à cette crise. Il faut normalement des années pour mettre en place des outils informatiques très aiguisés », souligne-t-il. « Si on n’apporte pas rapidement des améliorations, on s’aligne vers une inutilité du passeport vaccinal. Ça va devenir comme de se faire carter à 16 ans dans un bar. Il faut vraiment s’améliorer », ajoute l’expert.

Québec reste confiant

Le ministère de la Santé et des Services sociaux confirme par courriel être au courant de situations de fraude. Mais il reste impossible pour le moment de mesurer l’ampleur réelle du phénomène. Québec se dit « surtout préoccupé par le fait que certaines personnes tentent de contourner le système ». « Toutefois, nous avons bon espoir qu’en raison des mesures de sécurité mises en place, comme une vigie en continu assurée par l’ensemble des experts en cybersécurité de l’appareil gouvernemental, le nombre de personnes qui essaieront de contourner [le système] sera minime et qu’elles n’arriveront pas à leur fin », indique la porte-parole, Marie-Louise Harvey.

S’il survient une allégation de contrefaçon, « les établissements le signalent rapidement à leur service de police ». « Il y a un contrôle des accès serrés. À cela s’ajoute la robustesse de la sécurité du réseau informatique », poursuit Mme Harvey, qui rappelle que « la preuve vaccinale [code QR] comporte une signature du gouvernement du Québec, laquelle est inaltérable ». L’application mobile qui sera lancée fin août « sera en mesure de détecter si le code QR a bien été produit par le gouvernement », assure-t-elle.

D’après la Loi sur la santé publique, quiconque fait une fausse déclaration ou donne un renseignement ou un document incomplet ou comportant une mention fausse ou trompeuse est passible d’une amende de 1000 $ à 6000 $.

Au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, le porte-parole, Carl Thériault, a confirmé par courriel qu’il « y a eu récemment une tentative de corruption dans un de nos sites de vaccination ». Il a refusé d’en dire plus « afin de ne pas nuire à l’enquête policière en cours ». Une porte-parole du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a aussi indiqué qu’il « y a[vait] eu récemment quelques tentatives de fraudes dans [ses] sites de vaccination ». Elle ajoute que les « employés ont été sensibilisés à ce sujet et sont très vigilants ».

Avec La Presse Canadienne