Retour au calme, mais pas à la normale
Fiers, mais fatigués : les employés de l’Hôpital général juif savent qu’ils ne sont pas au bout de leur peine. Visite de l’unité des soins intensifs.
Au 22 juillet, on comptait 67 hospitalisations au total, contre 716 au plus haut de la troisième vague, le 20 avril dernier. Si c’est la fin de la médecine de guerre au Québec, ce n’est pas pour autant un retour à la normale.
Ce creux de vague ne signifie pas que les hôpitaux sont au bout de leurs peines. Il permet de donner congé à des employés épuisés qui avaient été privés de vacances l’an dernier. Il aide aussi les hôpitaux à panser leurs plaies et à réparer les ravages provoqués par la pandémie, comme les énormes listes d’attente en chirurgie.
« À l’heure actuelle, les choses vont bien au Canada du point de vue de la COVID. Mais qui sait ce qui nous attend ? », lance le Dr Paul Warshawsky, chef de l’unité des soins intensifs de Hôpital général juif. « Ce n’est pas fini, c’est juste une nouvelle normalité. Et ce qui est frustrant pour nous, dans le système de santé, c’est que pour une bonne partie de la population, c’est terminé. Et ce n’est pas le cas. »
La Presse a visité l’unité des soins intensifs de l’Hôpital général juif, le premier centre désigné pour soigner les malades de la COVID-19, pour prendre le pouls de cette nouvelle normalité.
Shamim Mohamed est l’un des trois malades de la COVID-19 encore aux soins intensifs. Infecté par le virus le 5 mars, il s’y trouve depuis quatre mois. Souvent, on a cru qu’il allait mourir. Mais jeudi, pour la première fois, il a pu respirer par lui-même.
« Ils ont enlevé le respirateur à 10 h 15, 10 h 15, répète sa femme, Zannatul Ferdush. Quand je suis arrivée et que je l’ai vu, j’ai pleuré. »
L’homme de 62 ans, qui a contracté la maladie avant d’avoir pu se faire vacciner, ne peut pas parler ; il n’en a pas la force. « Tous les médecins étaient convaincus qu’il allait mourir. Il a passé au moins trois mois dans le coma. Et maintenant, vous le voyez ! », s’exclame Mme Ferdush, avec un sourire dans la voix.
« Il va beaucoup mieux, confirme Sarah Logan, conseillère en soins infirmiers. Il est sur la voie du rétablissement. »
« Il va survivre. C’est fantastique. Il a fait beaucoup de progrès, mais je soupçonne que, pour le reste de sa vie, il aura des problèmes respiratoires chroniques. Ses poumons ne seront jamais les mêmes », nuance le Dr Warshawsky.
C’est un succès parce qu’il va vivre, mais s’il n’avait pas eu cette maladie, il serait en pleine forme.
Le Dr Paul Warshawsky, chef de l’unité des soins intensifs de Hôpital général juif
Au plus fort de la crise, l’Hôpital général juif a compté 35 patients infectés aux soins intensifs et 175 à l’unité pandémique. Aujourd’hui, c’est infiniment plus calme. Sur les 23 patients aux soins intensifs, seulement 3 sont atteints de la COVID-19, Shamim Mohamed et deux autres malades en rémission. Il y a aussi trois cas positifs au 10e étage.
« On a la satisfaction d’avoir été là »
Serge Cloutier, directeur adjoint des soins infirmiers, se souvient du premier patient. « C’était un mercredi. » Le 11 mars 2020.
Carla Jomaa, infirmière-chef de l’unité de neuroscience, devenue l’unité pandémique, était là. « On a appris très vite », dit-elle. Tout n’a pas été facile. « Ça a demandé beaucoup d’organisation et de protocoles pour assurer la sécurité de tout le monde. Mais on n’a pas eu d’éclosions dans l’hôpital. On est fiers. C’était dur, mais on n’avait pas le choix. »
C’est notre nouvelle réalité. On doit l’accepter.
Carla Jomaa, infirmière-chef de l’unité de neuroscience, devenue l’unité pandémique
La fierté est d’ailleurs un thème qui revient souvent.
« Les gens font ouf, dit Serge Cloutier. Un ouf qui est fatigué, mais un ouf de satisfaction. »
« L’Hôpital général juif a fait un travail fantastique », ajoute le Dr Warshawsky.
« Au début, le personnel ne savait pas avec quoi il avait affaire. Le niveau d’anxiété était très élevé », rappelle Nadira Remrup, cheffe d’équipe.
On n’avait jamais eu des patients aussi malades. Mais c’est l’entraide qui a fait toute la différence.
Nadira Remrup, cheffe d’équipe
« On a la satisfaction d’avoir été là. On a fait le mieux qu’on a pu, mais on reste tous très, très fatigués », souligne Laure Cottereau, infirmière aux soins intensifs depuis 2018. Deux semaines de randonnée en Alberta, au début juillet, ne lui ont pas permis de recharger complètement ses batteries. « Après, on revient et on est encore dedans. On a quand même beaucoup de travail. »
Sa jeune collègue Alexandra Stephan est aussi épuisée.
« Ça prend beaucoup d’énergie sur le plan mental, émotionnel et physique », admet-elle. Après la première vague, cette infirmière des soins intensifs a demandé à travailler quatre jours par semaine pour souffler un peu. Mais quand la deuxième vague a frappé, elle a dû y renoncer.
A-t-elle songé à démissionner ? « Tous les jours. Mais à la fin, je peux dire que je suis contente d’être restée parce qu’on fait une différence dans la vie de ces patients. J’aime travailler aux soins intensifs. Est-ce que je me vois ici à long terme ? Je ne pense pas. C’est un endroit incroyable pour apprendre, pour développer ses aptitudes en tant qu’infirmière. Mais l’équilibre entre la vie privée et le travail est difficile à trouver. »
L’Hôpital général juif emploie 1500 infirmières. Il vient de recruter 144 candidates à l’exercice de la profession infirmière. « C’est à part de toutes les autres embauches », souligne Serge Cloutier.
« Je le dis et je le répète, ce qui nous a sauvés dans tout ça, c’est vraiment l’importance de l’expertise infirmière. »
Un manque de personnel qui fait mal
Les hôpitaux Maisonneuve-Rosemont et St. Mary doivent composer avec le « ravage » que la COVID-19 a fait au sein de leurs équipes.
À l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, la pénurie de personnel est le problème numéro 1. « Il n’y a rien de normal en post-pandémie », affirme le Dr François Marquis, chef de l’unité des soins intensifs de cet hôpital.
« L’impact des patients avec la COVID-19 à l’hôpital est actuellement minime. Là où ça fait mal et où on ne peut absolument pas dire que c’est un retour à la normale, c’est le ravage qu’a fait la COVID-19. » L’hôpital Maisonneuve-Rosemont « roule à peu près à 50 % » de sa capacité, dit-il. « Et moi, j’ai à peu près la moitié de mes lits de soins intensifs de fermés par manque de personnel. »
Les salles d’opération roulent à une vitesse de tortue et les urgences débordent, pas parce qu’il y a un nombre incalculable de patients, mais parce que les patients ne montent pas à l’étage parce qu’il n’y a pas de personnel.
Le Dr François Marquis, chef de l’unité des soins intensifs de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont
Combien d’infirmières sont parties depuis le début de la crise ? « Je ne peux même pas les compter. C’est à ce point-là ! Chez les inhalothérapeutes, il m’en reste 2 sur 10. »
De fait, beaucoup d’infirmières ont quitté la profession depuis le début de la crise. Certaines sont parties à la retraite, d’autres ont changé de profession ou sont allées dans des hôpitaux ou des centres offrant de meilleures conditions. Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, entre mai 2020 et mai 2021, il y a eu « un total d’embauches d’environ 8430 infirmières pour un total de départs d’environ 6130, soit une hausse nette de 2300 personnes ».
Une chambre au cas où
Au Centre hospitalier de St. Mary, appelé en renfort au début de la deuxième vague, l’unité COVID-19, également visitée par La Presse, est très calme. Il n’y a plus de cas actifs depuis au moins une semaine.
« On garde une chambre individuelle libre pour pouvoir admettre un patient assez rapidement, explique Byanca Jeune, cheffe de l’unité. Il y a ici un garde de sécurité, habituellement, et les portes sont fermées. »
Pour répondre aux besoins, « les chambres à quatre sont devenues des chambres individuelles », précise sa collègue Anne-Marie Nadeau, coordonnatrice des soins infirmiers. « Des murs ont été construits il y a huit mois. »
Cet hôpital est aussi touché par l’épuisement et le manque de personnel. « On vit tous la même situation, admet Byanca Jeune. C’est sûr que les infirmières sont plus fatiguées. Ce qu’on priorise, c’est de permettre les vacances pour que le monde puisse essayer de retrouver un semblant d’énergie. »