Les communautés autochtones déjouent les pronostics. En fait, elles remettent les pendules à l’heure : oui, dans le passé, le système de santé s’est servi d’elles pour mener des expériences médicales, mais non, cela ne s’est pas traduit par une hésitation vaccinale depuis le début de la campagne d’immunisation contre la COVID-19.

« Il y avait beaucoup d’incertitude concernant le vaccin. Les antécédents vraiment horribles d’expériences médicales sont bien documentés. Le scepticisme envers le système de santé était surmontable, mais il fallait le faire avec les communautés et les aînés en appui », souligne en entrevue le ministre fédéral des Services aux autochtones, Marc Miller.

Dans les années 1930, l’État a utilisé des autochtones comme cobayes pour tester des vaccins contre la tuberculose. Dans les années 1940 et 1950, il a utilisé des enfants de pensionnats autochtones souffrant de malnutrition pour mener des expériences sur l’alimentation. En 2009, Ottawa a envoyé des sacs mortuaires à des communautés du Manitoba aux prises avec une éclosion de grippe A (H1N1).

Au début de la campagne de vaccination, l’ancien chef du Grand Conseil des Cris (GCC) Matthew Coon Come a fait référence aux horreurs du passé. « [Les gens de] Mistissini sont les rats [de laboratoire] de ce vaccin expérimental », a-t-il dénoncé sur les réseaux sociaux, rapportait en janvier dernier le média Aboriginal Peoples Television Network.

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Une infirmière fait une prise de sang à un jeune autochtone au cours d’un examen médical et dentaire dans un pensionnat de Port Alberni, en Colombie-Britannique, en octobre 1948.

Le chef de la communauté en question, Thomas Neeposh, l’a désavoué en professant sa confiance en la science. « Je préfère me fier à des avis scientifiques et médicaux », a-t-il dit au réseau spécialisé en affaires autochtones. Il a d’ailleurs été parmi les premiers à se faire vacciner à Mistissini une fois les premières cargaisons de Moderna reçues.

Chez les autochtones, on avait priorité lors de la première phase du déploiement du vaccin.

L’approche a été bonne : ça a donné des résultats tangibles. Je n’aime pas parler du taux de mortalité dans les réserves, parce que c’est très pénible, mais la réalité, c’est que le taux a été de 50 % à 60 % inférieur à celui de la population générale à ce jour.

Marc Miller, ministre fédéral des Services aux Autochtones

« Ça a marché, mais ce n’est pas fini, loin de là », prend soin d’ajouter le ministre Marc Miller à l’autre bout du fil.

L’éclosion survenue à la mi-juin au sein de la Première Nation de Kashechewan, dans le nord de l’Ontario, témoigne que le ministre a raison de se montrer prudent. Il a toutefois de quoi se réjouir lorsqu’il consulte les statistiques pancanadiennes : en date du 29 juin, dans quelque 680 communautés disséminées à travers le pays, environ 79 % des personnes de 12 ans et plus avaient reçu une première dose. De ce groupe, 52 % avaient reçu les deux.

« Généralisation raciste »

Alors que la campagne de vaccination prenait véritablement son envol, en mars dernier, les chercheurs Ian Mosby et Jaris Swidrovich publiaient dans le Journal de l’Association médicale canadienne un article coiffé du titre « Les expériences médicales et les causes de la réticence au vaccin contre la COVID-19 chez les peuples autochtones ».

« Comme l’a expliqué Sheila North, ancienne grande cheffe du regroupement Manitoba Keewatinowi Okimakanak : “Ceux qui sont maintenant nos aînés se souviennent d’avoir été utilisés comme des rats de laboratoire […] dans les pensionnats, alors qu’ils étaient enfants, sans leur permission ou celle de leur famille” », lit-on dans le texte du numéro du 15 mars dernier.

À peu près au même moment, le professeur adjoint à l’Institut de recherche et d’études autochtones de l’Université d’Ottawa Veldon Coburn dénonçait dans une lettre ouverte le « sensationnalisme » médiatique au sujet de l’hésitation vaccinale chez les autochtones.

C’est une généralisation raciste de dire qu’on va se sauver face aux vaccins. Nous ne sommes pas des hommes des cavernes.

Veldon Coburn, professeur adjoint à l’Institut de recherche et d’études autochtones de l’Université d’Ottawa, en entrevue

Le professeur, qui est algonquin, ne détecte pas de traumatisme intergénérationnel dans le cas spécifique de la vaccination, car ces expériences n’ont pas été menées « à large échelle ». Et, histoire de déboulonner le « mythe » de l’hésitation, il souligne que le taux de vaccination enregistré chez les autochtones lors de la dernière pandémie – celle de la grippe A (H1N1) – était semblable à celui des allochtones.

L’opération d’immunisation contre la COVID-19 n’étant pas achevée, il faudra attendre avant de trancher. En revanche, jusqu’à présent, elle connaît « du succès » ; ainsi, « avancer qu’il y a une hésitation vaccinale chez les autochtones me semble problématique », estime elle aussi la professeure d’histoire Maureen Lux, de l’Université Brock, en Ontario.

Il y a eu du colonialisme médical dans le passé. Mais les choses changent, et les vaccins changent.

Maureen Lux, professeure d’histoire et auteure

« Utiliser l’histoire, le fait que ces gens ont été maltraités, pour laisser entendre qu’il y a hésitation vaccinale en ce moment n’est pas une utilisation correcte de l’histoire », dit en entrevue l’auteure du livre Separate Beds : A History of Indian Hospitals in Canada, qui porte sur la ségrégation médicale des années 1920 à 1980.

D’autant que dans un passé pas si lointain, soit il y a quelques mois, ce sont des provinces « surtout dans l’Ouest » qui hésitaient à suivre l’avis du Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI), qui recommandait de livrer les vaccins en priorité aux communautés autochtones, relève le ministre Marc Miller.

Une fois que les provinces récalcitrantes ont « réalisé l’impact que les éclosions avaient sur leur système de santé, parce qu’il faut évacuer par avion les gens des communautés qui sont infectés vers des centres urbains qui ont les ressources adéquates », elles se sont ralliées, explique-t-il.