En fouillant dans les données publiées par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), Linda Craig est tombée sur la section détaillant les « manifestations cliniques inhabituelles » – ces effets secondaires des vaccins qui ont fait l’objet d’une déclaration à la Santé publique. Évidemment, ce printemps, les cas de thrombose causée par le vaccin AstraZeneca ont retenu l’attention. « Fait intéressant, des manifestations cliniques sont également rapportées pour les autres vaccins, note Mme Craig. Pourquoi les médias n’en parlent-ils jamais ? »

Parlons-en, alors. Parce qu’en effet, les deux autres vaccins, Pfizer et Moderna (le Janssen n’est pas encore administré), sont aussi la source de certains effets secondaires rares, heureusement, mais bien réels.

Et parlons-en d’autant plus que le sujet reviendra bientôt très à la mode. D’abord, parce que la deuxième dose des vaccins Pfizer et Moderna cause plus souvent des effets secondaires que la première dose. Ensuite, parce que les adolescents, dont la vaccination avec Pfizer débute cette semaine, sont plus nombreux à être embêtés par ces effets secondaires en raison de leur système immunitaire plus réactif, plus vigoureux (nous y reviendrons plus tard cette semaine).

Lorsqu’une personne souffre d’un malaise qui survient peu après l’administration d’un vaccin, cette « manifestation clinique inhabituelle » (MCI) est signalée à la Direction de santé publique par le clinicien (par exemple, un médecin à l’hôpital, une infirmière chez Info Santé, un vaccinateur sur les lieux d’un centre de vaccination…). La déclaration de la MCI détaille le type de malaise observé chez le vacciné, comme un mal de tête intense, une douleur au bras, une réaction allergique, de la fièvre. La Santé publique collige ces cas et enquête sur ceux-ci pour évaluer si, en effet, la MCI peut être liée au vaccin.

« Tous les évènements qui sont rapportés ne sont pas nécessairement causés par le vaccin », explique Marilou Kiely, conseillère scientifique à l’INSPQ. « Mais cette surveillance est justement en place pour détecter des signaux. Si, par exemple, on reçoit d’un coup 15 déclarations d’infarctus chez des gens vaccinés depuis moins de 10 jours, ça sonnera une alarme pour qu’on aille vérifier plus en profondeur. »

Les MCI qualifiées de « graves » sont celles qui ont nécessité une hospitalisation de 24 heures ou plus, menacé la vie, laissé des séquelles ou engendré un décès. Elles ont fait l’objet d’une déclaration, mais il faut rappeler que le lien de cause à effet avec le vaccin n’a pas nécessairement été établi par la Santé publique.

Nombre de MCI graves rapportées (taux pour 100 000 doses)

  • Tous les vaccins : 279 (5,9)
  • AstraZeneca : 51 (12,3)
  • Covishield (AstraZeneca) : 33 (29,1)
  • Moderna : 43 (4,7)
  • Pfizer : 152 (4,6)

Source : INSPQ, en date du 25 mai 2021

Le vaccin Pfizer est celui qui compte le plus de MCI pour une raison assez simple : c’est le vaccin qui a été, de loin, le plus administré au Québec. Mais proportionnellement, le vaccin Pfizer ne compte que 4,6 MCI graves par 100 000 doses.

Parmi ces MCI graves se trouvent les anaphylaxies – les réactions allergiques. « Elles sont comptées dans cette catégorie parce que si elles ne sont pas traitées, elles peuvent évoluer en choc anaphylactique et menacer la vie de la personne », dit Mme Kiely.

Le taux d’anaphylaxie observé après l’administration d’un des deux vaccins à ARNm (Pfizer ou Moderna) est de 2 cas pour 100 000 doses. Une fréquence qualifiée de « très rare », mais qui reste supérieure à celle observée pour d’autres vaccins. La cause de ces cas d’anaphylaxie (qui ont tous bien récupéré, précise l’INSPQ) n’est pas encore connue.

Lors d’une première évaluation, on avait observé qu’une proportion élevée des cas d’anaphylaxie étaient survenus chez des gens qui avaient déjà fait des réactions sévères à d’autres produits.

Marilou Kiely, conseillère scientifique à l’INSPQ

« On ne peut pas conclure pour l’instant que c’est un facteur de risque, mais ce sont des pistes qu’il faudra explorer. »

D’autres manifestations neurologiques « très rares » (soit 9 cas pour 100 000) ont été rapportées. Dans les cas de paralysie de Bell (une paralysie faciale temporaire dont les causes peuvent être multiples), les données ne permettent pas pour l’instant de conclure à un lien causal entre les vaccins contre la COVID-19 et ces cas signalés depuis le début de la vaccination.

Tendances décelées

Mais les manifestations les plus courantes restent – et de loin – sans gravité. Les douleurs au bras sont celles qui reviennent le plus souvent, tout comme les courbatures, les maux de tête, la fatigue et les frissons. Ces effets se font plus souvent sentir après la deuxième dose de Pfizer ou de Moderna, à l’inverse d’AstraZeneca.

La surveillance de ces symptômes a d’ailleurs permis de déterminer certaines tendances méconnues. Ainsi, le vaccin Moderna est celui qui cause le plus souvent des douleurs au bras qui a reçu l’injection (92 MCI pour 100 000 doses). Et ces douleurs n’apparaissent pas nécessairement dans les 24 à 48 heures comme pour les autres vaccins. « Il avait été un peu observé dans les essais cliniques de Moderna que des réactions pouvaient survenir tardivement », dit Marilou Kiely. Sur le terrain, ces réactions tardives ont été en effet signalées jusqu’à sept ou huit jours après la vaccination.