Avec la présence de nouveaux variants, une troisième vague semblait inévitable dans la métropole, fortement touchée par les vagues qui ont précédé. Pourtant, les Montréalais s’en sont cette fois tirés à bon compte.

Pendant que des villes comme Toronto, Calgary et Québec étaient foudroyées par une troisième vague de COVID-19, Montréal parvenait à l’éviter. Une victoire due notamment à la forte adhésion des Montréalais aux mesures sanitaires et à la prudence assumée de la Santé publique régionale, qui a tout fait pour éviter une flambée.

Après avoir été frappée de plein fouet par les deux premières vagues de la pandémie, la métropole s’attendait à devoir en gérer une troisième. D’autant plus que des variants étaient de la partie. Même François Legault déclarait au début du mois d’avril que « tout le monde, et c’est unanime, dit que ça va arriver à Montréal ». Une prophétie qui ne s’est finalement pas concrétisée.

Directrice régionale de santé publique de Montréal, la Dre Mylène Drouin ose aujourd’hui le dire : « La vague de variant britannique, on l’a tout à fait réussie à Montréal. » La Dre Drouin a pourtant longtemps hésité à afficher un tel optimisme et se montrait plutôt très hésitante depuis des mois à relâcher trop rapidement les efforts. Au risque de paraître plus sévère que Québec.

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La Dre Mylène Drouin, directrice régionale de santé publique de Montréal

Directrice du Centre de recherche en santé publique (CReSP) de l’Université de Montréal, Louise Potvin estime que la prudence de la Dre Drouin s’explique parce qu’elle « regardait les courbes ». « Et elle savait qu’à Montréal, il y a une forte concentration de population et que ça pouvait repartir en vrille à tout moment, dit-elle. Comme ce qui s’est passé à Toronto ou en Inde. »

Le Collège Stanislas, élément déclencheur

C’est une éclosion au Collège Stanislas, début février, qui a mis les autorités de santé publique de Montréal en état d’alerte face à la troisième vague. Une quarantaine de cas s’y sont déclarés en peu de temps. « Ç’a été un petit peu notre déclencheur », relate la Dre Drouin.

La présence du variant dit britannique au Collège Stanislas a pu être détectée rapidement. Parce que dès la fin du mois de janvier, la Santé publique de Montréal avait travaillé de concert avec le laboratoire du CUSM qui avait trouvé une méthode pour détecter prestement la présence de variants par criblage.

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Le Collège Stanislas, où s’était déclarée une éclosion de COVID-19, en février.

Au Collège Stanislas, la Santé publique découvre un « évènement de superpropagation » lié au variant. « On s’est rendu compte à quel point les taux d’attaque dans des classes et à travers les professeurs étaient vraiment élevés par rapport à l’ancienne souche. […] Chez certaines familles, c’était des 100 % de taux d’attaque. […] À partir de ce cas, on a changé complètement notre approche d’enquête et d’intervention pour les cas qui étaient associés au variant britannique », explique la Dre Drouin.

Pour chaque cas de variant, les équipes d’enquête recherchent tous les contacts antérieurs (backward tracing), tentent d’identifier la source probable et enquêtent sur toutes ces personnes.

« On isolait beaucoup plus de gens. On les faisait tester plus souvent », indique la Dre Drouin, qui souligne que la population a très bien collaboré.

Avant même que Québec ne l’impose, Montréal isole toutes les familles dès qu’un enfant est en attente d’un résultat de test de dépistage. « On fermait plus rapidement les bulles-classes, les écoles et les entreprises qu’avec la souche ancestrale », ajoute la Dre Drouin.

Montréal décide aussi « d’utiliser le vaccin comme un moyen de protection ». La métropole obtient au départ plus de doses pour protéger ses aînés et sa population itinérante. Dans certains quartiers aux prises avec de nombreux cas, comme Côte-Saint-Luc et Plamondon, on vaccine des familles entières. « Le vaccin est devenu un outil de contrôle de la transmission dans un contexte de variant », dit la Dre Drouin qui souligne que cette stratégie est maintenant utilisée en Ontario.

La réalité montréalaise

Depuis le mois de janvier, la Dre Drouin a refusé à plusieurs reprises de se réjouir trop vite de la diminution des cas à Montréal, martelant qu’une troisième vague était inévitable et n’hésitant pas à souligner son inconfort devant certains assouplissements aux mesures sanitaires.

Quand les cas ont baissé en février et que Québec a amorcé un léger déconfinement, la Dre Drouin rappelait que la métropole était toujours dans une zone « rouge très franc » et invitait les citoyens à la prudence.

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Rapidement, Montréal obtient plus de doses de vaccin pour protéger ses aînés et sa population itinérante.

Le 16 mars, Québec a annoncé différents assouplissements, dont le retour à temps plein à l’école pour tous les élèves du secondaire en zone orange qui allait ensuite s’élargir en zone rouge. Une mesure que la Dre Drouin n’appuyait pas pour Montréal. « On comprenait les enjeux de réussite scolaire, mais à ce stade-ci, juste avant le début potentiel d’une troisième vague, on jugeait que ce n’était peut-être pas la meilleure chose. Ce qui a été retiré par la suite. Nous, on était plus dans une perspective très prudente. […] Pour nous, c’est clair qu’en assouplissant avant une troisième vague, on s’enlevait une condition de succès. »

Spécialiste en immunologie rattaché à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Alain Lamarre croit que le fait que Montréal soit resté en zone rouge tout au long de la troisième vague (une décision prise par Québec en consultation avec la Santé publique) fait qu’il « n’y a pas eu de signaux pour dire “youhou, on est libres” » et donc que l’adhésion aux mesures sanitaires des Montréalais est parmi les meilleures au Québec. « Si on n’avait pas gardé les mesures telles qu’elles sont, on aurait sûrement vu la troisième vague », affirme la directrice du Laboratoire de recherche sur la réponse de l’hôte aux infections virales du CHUM, Nathalie Grandvaux.

Pour Louise Potvin, « en pandémie, le nerf de la guerre, c’est le traçage ». Et pour faire des enquêtes de santé publique de façon efficace, « il faut beaucoup de main-d’œuvre ». La Santé publique de Montréal avait substantiellement augmenté ses effectifs après la deuxième vague.

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Louise Potvin, directrice du Centre de recherche en santé publique de l’Université de Montréal

Montréal a toujours été l’endroit où il y a le plus de cas de COVID de manière absolue. Il faut être capable de faire ces enquêtes. Et la Dre Drouin connaît sa capacité. C’est elle qui le sait. Pas le politique.

Louise Potvin, directrice du Centre de recherche en santé publique de l’Université de Montréal

Professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Roxane Borgès Da Silva signale qu’il est normal qu’il y ait des différences entre « l’agenda politique et l’agenda de santé publique ». Elle souligne que les directeurs régionaux de santé publique « sont ceux qui connaissent le mieux leur région ». « Un message centralisé du gouvernement n’est pas applicable à toutes les régions pareillement, dit-elle. […] La Dre Drouin était au fait de ce qui pouvait arriver à Montréal. »

« Ça peut redécoller rapidement »

Est-ce que Montréal a pu être mieux immunisé pour la troisième vague, car plus de gens que l’on ne pense avaient contracté la maladie dans les premières vagues et étaient donc immunisés ? Les experts en doutent fortement. M. Lamarre explique que le taux de positivité cumulatif est de 6 % à Montréal contre 4 % pour le reste du Québec. « Ce n’est pas ça qui, selon moi, va faire une grosse différence », dit-il.

D’autres actions ont aussi pu aider Montréal dans sa lutte contre la troisième vague. Dont l’action terrain de groupes communautaires qui ont facilité le dépistage et l’isolement de familles à risque. Et plusieurs initiatives de vaccination.

Pour Mme Grandvaux, si Montréal a évité jusqu’à présent la troisième vague, « ça peut redécoller rapidement ». « Oui, la vaccination nous donne des atouts supplémentaires. Mais il faut être prudent dans cette avancée », dit-elle.

Un avis partagé par la Dre Drouin qui dit être « encore dans une approche prudente ». « Si on peut attendre encore un peu et baisser à des taux très bas avant de tout rouvrir, je pense que ça va être gagnant pour tout le monde », dit la Dre Drouin, qui souligne que Montréal « n’est pas à l’abri d’une quatrième vague ».