En un an, Johanne Grenier a perdu son père, sa belle-mère, puis sa mère, tous contaminés par le coronavirus alors qu’ils recevaient des soins dans des établissements de santé.

« Ils allaient se faire soigner. À la place, ils sont morts », rage la femme.

« C’est atroce. C’est l’horreur. » Voilà les mots qui résument la pandémie de Mme Grenier.

Les failles du système de santé, elle les a vues sous la loupe. Son père est mort au début de la première vague, quand la COVID-19 s’est répandue dans les CHSLD notamment à cause des mouvements de personnel. Puis sa belle-mère et sa mère ont toutes les deux été infectées parce qu’elles ont eu la malchance d’être hospitalisées au moment où des éclosions frappaient les hôpitaux où elles ont été admises.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Johanne Grenier

Je n’ai plus confiance.

Johanne Grenier

Hospitalisée pour un cancer

C’est la mort de sa mère, Thérèse Francœur, 91 ans, il y a un mois à peine au Centre hospitalier de St. Mary à Montréal, qui a fait déborder un vase déjà plein.

Mme Francœur souffrait d’un cancer de l’intestin. Le matin du 1er avril, le lendemain de son anniversaire, elle s’est mise à saigner, seule dans son appartement. Sa fille s’est ruée chez elle. « Je suis arrivée comme elle embarquait dans l’ambulance. »

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Thérèse Francœur

Après deux jours aux urgences, l’aînée a été admise au cinquième étage. Johanne Grenier s’est inquiétée lorsqu’un employé lui a révélé qu’un patient avait été déclaré positif à la COVID-19 dans cette même unité la semaine précédente, mais on l’a vite rassurée. Le patient, lui a-t-on dit, avait été envoyé à un autre étage. Le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal a toutefois confirmé cette semaine à La Presse que le cinquième étage a été frappé par une éclosion au début du mois d’avril, à l’époque de l’hospitalisation de Thérèse Francœur. Sept patients et trois employés ont été touchés. Il y a eu deux morts.

« La cause [de l’éclosion] n’est pas encore connue. Soulignons que dès qu’une éclosion est suspectée, les mesures de contrôle des infections sont rehaussées et les procédures appropriées déclenchées », assure la porte-parole Annie Charbonneau, qui a offert ses condoléances à la famille.

À l’époque, Johanne Grenier n’a rien su de cette situation. Ce qui la préoccupait, c’était l’évolution du cancer de sa mère. Le pronostic était sombre. Mais si Mme Francœur n’en avait plus pour longtemps, a indiqué le médecin, il ne pouvait pas l’admettre aux soins palliatifs parce qu’elle vivrait probablement encore plus de trois mois.

Mme Grenier s’est donc mise à chercher une place en résidence. « Je voulais quelque chose de proche de chez moi pour aller la voir tous les jours. Je voulais passer le plus de temps possible avec elle avant qu’elle parte. » Ce scénario ne s’est pas réalisé.

Le 13 avril, le téléphone a sonné. « J’ai de mauvaises nouvelles », a dit le médecin au bout du fil. Thérèse Francœur avait attrapé la COVID-19. Le cœur de Mme Grenier s’est arrêté.

La nonagénaire a été transférée à l’étage réservé aux malades atteints de la COVID-19. Le 22 avril, un autre appel coup-de-poing : « Le médecin pense que ça serait bien que vous veniez voir votre mère tout de suite », a dit une infirmière. Traduction : Mme Francœur vivait ses dernières heures.

Sa fille, qui souffre d’une maladie qui attaque son système immunitaire, ne pouvait pas y aller. C’est par vidéo qu’elle a vu sa mère mourir.

C’est vraiment difficile de ne pas avoir été là. C’est le pire. Oui, elle était âgée, oui, elle était malade. On savait qu’elle allait partir bientôt. Mais c’est la manière. Elle était toute seule.

Johanne Grenier

Un an, trois morts

D’autant qu’un an plus tôt presque jour pour jour, Johanne Grenier perdait son père dans des circonstances semblables. Comme 5000 aînés québécois, Pierre Gagnon, 93 ans, ferrailleur de métier, est mort de la COVID-19 au CHSLD.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Pierre Gagnon

Le diagnostic redouté est tombé le 20 avril 2020. Huit jours plus tard, le vieil homme rendait son dernier souffle. Là encore, sa fille n’a pu lui dire adieu que virtuellement. Le choc a été rude. Quelques semaines plus tôt, le nonagénaire faisait danser ses colocataires du CHSLD Auclair à Montréal au son de son harmonica et de son accordéon.

Puis, en septembre, une autre mauvaise nouvelle. La belle-mère de Johanne Grenier, Marguerite Picard, 92 ans, entrait d’urgence à l’hôpital de Saint-Jérôme. Diagnostic : infection urinaire et pneumonie. Pas de COVID-19.

Quelques semaines après son admission à l’hôpital, Mme Picard était remise et prête à retourner dans son logement d’une résidence pour aînés de la couronne nord. « C’est là que l’enfer a commencé », dit sa belle-fille.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Marguerite Picard

Avant d’être réadmise chez elle, la dame devait passer, comme le veut la procédure établie au Québec pour la pandémie, 14 jours dans une zone tampon. Selon la famille, l’hôpital a mis des semaines avant d’organiser son transfert vers ce lieu.

Ça n’arrêtait pas de changer. Ils nous disaient qu’ils l’enverraient à tel endroit, puis à tel autre. Et ça ne bougeait jamais.

Johanne Grenier

Résultat, Marguerite Picard est demeurée hospitalisée à Saint-Jérôme durant plus de cinq semaines.

À l’époque, ses proches se sont inquiétés qu’elle change plusieurs fois de chambre et d’étage. Ce qu’ils ignoraient, c’est que l’établissement était aux prises avec une importante éclosion qui a touché sept unités. « Plusieurs déplacements d’usagers ont effectivement eu lieu dans ce contexte, afin de protéger les personnes ne présentant aucun symptôme », explique Dominique Gauthier, porte-parole du CISSS des Laurentides. Un dépistage massif a aussi eu lieu.

Le 21 octobre, toujours hospitalisée, Mme Picard a eu un résultat négatif. Le 31, elle faisait de la fièvre. Un autre test s’est révélé positif. Elle a été transférée le 3 novembre dans une zone tampon rouge au CHSLD Drapeau Deschambault, à Sainte-Thérèse, le temps de se remettre du virus. Elle y est morte le 9.

« Malgré les efforts considérables et soutenus pour éviter la circulation du virus en nos murs, ce ne fut pas toujours possible, dit Dominique Gauthier. Les mesures additionnelles de prévention, de surveillance et de désinfection massive ont été mises en place afin d’éradiquer la présence du virus de ces unités, le plus rapidement possible. » L’établissement n’a pas pu déterminer la source de la contamination. En date du 13 novembre, 67 usagers et 23 membres du personnel avaient été infectés.

« Si ma belle-mère était sortie de l’hôpital dès qu’elle a été guérie au lieu de rester là des semaines, elle ne l’aurait pas attrapée », croit Mme Grenier. À cause de son état de santé fragile, ni elle ni son mari n’ont pu rendre visite à la mourante. « C’est ça que mon mari a trouvé le plus difficile », souffle la femme.

Cette accumulation de malheurs laisse dans son sillage de profondes cicatrices. « Pour mon père, c’est différent. C’était le début, on ne connaissait pas ça. Ç’a été très difficile, mais je ne leur en veux pas. Mais pour ma mère, je suis enragée. Même chose pour ma belle-mère. »

15 %

Selon des chiffres obtenus par La Presse en janvier 2021, environ 15 % des patients hospitalisés avec la COVID-19 ont reçu leur premier test positif plus de sept jours après leur admission à l’hôpital. L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux estime que ces personnes ayant eu la COVID-19 ont probablement contracté la maladie à l’hôpital.

473

En tout, 473 patients sont morts après avoir contracté la COVID-19 dans des hôpitaux du Québec entre août 2020 et février 2021, selon des chiffres obtenus cette semaine par Radio-Canada.