Les deux premières vagues avaient épargné ce village d’agriculteurs tricoté serré de Chaudière-Appalaches. Puis la troisième vague a frappé, aidée par des relâchements et des rassemblements. Des habitants de Saint-Narcisse-de-Beaurivage se trouvent aux soins intensifs, d’autres en sortent. La Presse a rencontré une communauté sur le qui-vive.

(Saint-Narcisse-de-Beaurivage) Le client vient de payer, mais au lieu de tourner les talons et de sortir, il s’arrête pour parler à la caissière de l’épicerie. Les deux énumèrent des noms. Untel est finalement sorti de l’hôpital, un autre a été intubé, un autre encore est mal en point…

La troisième vague frappe fort à Saint-Narcisse-de-Beaurivage, village de 1100 habitants. Nous sommes dans Chaudière-Appalaches, région du Québec qui compte le plus de cas actifs de COVID-19 par habitant.

« On se connaît tous, nous autres là. On a été à l’école ensemble, nos enfants ont été à l’école ensemble, nos grands-parents, nos petits-enfants. C’est un petit monde », lâche le maire, Denis Dion.

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Le village de Saint-Narcisse-de-Beaurivage, dans Chaudière-Appalaches

Ce producteur agricole est un ardent catholique. Depuis des jours, explique-t-il, ses pensées sont avec ceux de son village qui ont été hospitalisés. Ils seraient encore trois de Saint-Narcisse aux soins intensifs, dont au moins un homme dans la quarantaine.

« Ça nous fait de quoi. J’espère juste qu’on n’en perdra pas un avec cette maudite cochonnerie-là. Ceux encore intubés, j’espère juste qu’ils vont reprendre le dessus », lâche le maire.

De nombreux citoyens hospitalisés

L’histoire de ce petit village n’est pas unique au Québec. Mais elle illustre bien comment des milieux ruraux ont pu être durement frappés par le virus.

Il est impossible d’avoir un portrait exact de la situation à Saint-Narcisse-de-Beaurivage. La Santé publique de Chaudière-Appalaches n’a pas de chiffres par municipalité et n’a pas voulu nous accorder d’entrevue à ce sujet.

Mais ici, les gens parlent. Et le maire est capable d’énumérer une dizaine de ses concitoyens hospitalisés depuis Pâques, sans compter tous les autres qui ont aussi contracté le virus.

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Denis Dion, maire de Saint-Narcisse-de-Beaurivage

Ç’a frappé très, très fort. C’est une des petites paroisses agricoles les plus durement frappées, je pense.

Denis Dion, maire de Saint-Narcisse-de-Beaurivage

La première vague avait pourtant largement épargné le village. Durant la deuxième vague, « une gang de jeunes » a contracté le virus. Mais les symptômes « n’étaient pas si pires », note le maire.

Bien des habitants du village reconnaissent qu’un certain sentiment de sécurité s’était installé. Certains se sentaient peu concernés par les manchettes à propos de Montréal ou de Québec.

Puis, la troisième vague a déferlé avec ses variants. Personne ne sait comment le virus est entré à Saint-Narcisse. Mais tout le monde ici a une idée de la façon dont il s’est propagé.

Des gestes barrières ont été négligés. Et de petits rassemblements ont eu lieu pour Pâques. L’un d’eux, plus important, aurait réuni de 20 à 30 personnes sans masque dans des érablières voisines, selon nos informations.

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L’atelier de pièces agricoles Fermetech, à Saint-Narcisse-de-Beaurivage

« Oui, il y a des gens qui ont négligé un peu les consignes, dont moi. Je ne parle pas de complotistes, ou de pro-Maxime Bernier, ou de pro-Éric Duhaime. Il y en a très peu, de ça. Je parle de gens qui négligeaient un peu [les consignes] », explique Sébastien Duclos, 44 ans.

Ce propriétaire d’un atelier de pièces agricoles à Saint-Narcisse-de-Beaurivage se remet du virus, qui l’a laissé sur le carreau pendant des jours. Il raconte qu’il respectait les règles, mais qu’il a de temps à autre « baissé la garde ».

Parfois, par exemple, des clients entraient dans son magasin et piquaient une colère s’il leur demandait de porter le masque.

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Sébastien Duclos, propriétaire d’un atelier de pièces agricoles à Saint-Narcisse-de-Beaurivage

Moi, je n’aime pas la chicane, alors je les laissais parfois faire. Mais je n’aurais pas dû. C’est fini.

Sébastien Duclos, à propos de clients qui ne portaient pas le masque

À Pâques, il a accueilli sa sœur avec son conjoint et leurs enfants « pendant 45 minutes » pour échanger des chocolats. Puis, il a subi un test positif. Il soupçonne avoir transmis le virus à ses enfants et à des gens de son entourage.

« Quand j’ai appris que ma tante était rendue à l’hôpital, ça m’a fessé dans la face. Je me sentais comme un gars chaud qui a frappé quelqu’un aux quatre-chemins », dit-il.

« Je suis chef d’entreprise. Je dois montrer l’exemple, continue Sébastien Duclos. J’ai six enfants à la maison. Ça fait des années qu’on les protège et qu’on montre l’exemple. Je n’avais pas le droit à cette erreur-là. »

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Le village de Saint-Narcisse-de-Beaurivage, dans Chaudière-Appalaches

« Faites-vous vacciner »

Le producteur agricole Réal Gagné a quant à lui passé 10 jours à l’hôpital, dont trois 3 soins intensifs, peu de temps après Pâques. L’homme de 64 ans avance une autre piste pour expliquer les déboires du village : le caractère « physique » du métier d’agriculteur, qui aurait pu, selon lui, favoriser la propagation.

On travaille ici. C’est sept jours par semaine. On ne peut pas faire du télétravail. Tout est physique, c’est notre métier. L’agriculture n’a pas arrêté à cause du virus.

Réal Gagné, producteur agricole

La preuve que le travail ne s’arrête pas : des voisins devront venir l’aider à semer, le temps qu’il reprenne ses forces.

Le maire appelle maintenant ses concitoyens à se faire vacciner au plus vite. « Nos animaux sont vaccinés, nos porcs sont vaccinés, nos vaches sont vaccinées. Moi, je suis producteur agricole et on vaccine les animaux depuis 40 ans. Je crois aux vaccins », lance Denis Dion, qui a dans sa ferme 4000 cochons et 150 vaches à lait.

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Le maire de Saint-Narcisse-de-Beaurivage, Denis Dion, est aussi producteur agricole.

Sébastien Duclos a quant à lui décidé récemment de publier un statut Facebook pour réveiller son entourage, les gens de son village et des alentours : « Faites attention à vous autres et svp arrêtez de prendre ça à la légère ! », a-t-il écrit.

La publication, devenue virale, a attiré l’attention des médias. Il a passé la journée de mercredi à donner des entrevues.

Devant La Presse, l’homme sort son téléphone et commence à lire des messages qu’il a reçus. Un client lui a écrit que sa sortie l’avait ébranlé, qu’il s’était rendu compte qu’il pouvait faire mieux pour combattre le virus et protéger ses enfants. Il en a reçu d’autres comme ça.

« Ça, ça me fait chaud au cœur. C’est ça, ma paye. »