La pandémie a aussi de bons côtés, doit parfois se dire le gouvernement Trudeau.

Elle éclipse au quotidien des dossiers embarrassants, comme celui des inconduites sexuelles dans les Forces armées canadiennes.

Justin Trudeau est fier de se dire « féministe ». Mais avec les Forces, ça ne paraît pas. Cette tache s’étend et noircit le reste de son bilan en la matière, qui n’était pas mauvais.

Jeudi, les libéraux ont organisé une conférence de presse gênante. Le ministre de la Défense nationale, Harjit Sajjan, a lancé un examen indépendant sur la gestion des plaintes d’inconduites sexuelles. Ça semble très bien. Sauf que cet exercice a déjà été mené.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Harjit Sajjan, ministre de la Défense nationale

En 2016, il avait reçu un rapport sur le sujet. Puis, cinq ans plus tard, il redemande un éclairage extérieur.

Pourtant, il n’avait qu’à ouvrir les yeux en recevant le rapport déposé à l’époque par l’ex-juge à la Cour suprême Marie Deschamps.

Elle recommandait de créer un centre pour accueillir les plaintes de harcèlement et d’agression sexuelle. L’organisme devrait être indépendant de la chaîne de commandement et faire de la prévention, soutenir les victimes et amasser des données, proposait Mme Deschamps.

Les libéraux ont refusé. Ils ont plutôt créé un centre d’intervention sans pouvoir de surveillance.

Vu de l’extérieur, tout cela est difficile à comprendre. On présume que le blocage venait des Forces. Si c’est le cas, les libéraux ne leur ont pas tenu tête.

Cela s’est passé durant leur premier mandat. Leur second mandat prendra bientôt fin. Et que proposent-ils ? Un autre examen ! Pour pouvoir agir lors d’un troisième mandat !

S’ils ont ignoré cette recommandation de Mme Deschamps, pourquoi devrait-on croire qu’ils suivront celles du prochain rapport ?

* * *

Le nouvel examen sera mené par Louise Arbour, unanimement réputée pour son intégrité et sa rigueur.

L’ancienne juge de la Cour suprême et haut-commissaire aux droits de la personne aux Nations unies accepte le mandat parce qu’elle croit pouvoir aider. Elle donnera sans doute de précieux conseils pour prévenir et sévir contre les inconduites sexuelles.

D’ailleurs, Mme Deschamps reconnaît que le mandat de cette enquête sera plus vaste que le sien, comme l’a rapporté ma collègue Mélanie Marquis vendredi.

Mme Arbour servira donc l’État, une fois de plus. Mais ce n’aurait pas dû être nécessaire.

Si elle est crédible, le gouvernement ne l’est pas.

Car il n’a pas seulement hésité à s’attaquer au problème. Il a aussi récompensé un homme accusé d’inconduite sexuelle. Et pas n’importe lequel.

L’ancien chef d’état-major de la Défense Jonathan Vance a été visé par deux allégations. Une plainte s’est rendue à l’ombudsman des Forces. Ce dernier en a fait part à M. Sajjan. Le ministre n’a rien voulu entendre. Allez voir les fonctionnaires du Bureau du Conseil privé, aurait-il dit à l’ombudsman.

M. Sajjan dit avoir voulu éviter toute ingérence politique. Il préférait que le traitement de la plainte se fasse par l’administratif.

Le hic, c’est que M. Vance était responsable de l’opération Honneur pour éradiquer les inconduites sexuelles. Et que ses fonctions ont ensuite été renouvelées. Au sommet de la pyramide.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’ancien chef d’état-major de la Défense Jonathan Vance et Justin Trudeau, en septembre dernier

Même si le chef d’état-major était présumé innocent, cela ne lui donnait pas un droit automatique à jouir de nouveau de la confiance du gouvernement. Cette nomination politique est à la discrétion du premier ministre. M. Trudeau aurait pu trouver assez facilement une personne plus crédible pour rétablir la confiance dans les Forces.

* * *

Depuis quelques semaines, les conservateurs, les néo-démocrates et les bloquistes s’agitent en comité parlementaire pour découvrir ce que savait M. Trudeau.

Le premier ministre prétend avoir découvert la controverse dans les médias. Peut-être. Mais sa chef de cabinet était au courant, a-t-on appris dans les derniers jours. Elle avance ne pas avoir été informée que les allégations étaient « de type #moiaussi ». Les courriels du Bureau du Conseil privé parlaient toutefois de « harcèlement sexuel ».

Les partis de l’opposition désespèrent en voyant que ces histoires n’écorchent pas trop M. Trudeau dans les sondages. Après tout, elles s’additionnent.

Il a fait l’objet de trois enquêtes du commissaire à l’éthique, à cause des pressions liées à SNC-Lavalin, de son voyage chez l’Aga Khan et du contrat coûteux aux amis de WE Charity (UNIS en français).

Pour le voyage, on pouvait dire qu’il s’agissait d’un évènement périphérique à son travail.

Pour SNC-Lavalin, on pouvait y voir une imprudence ou une ingérence, selon les versions, motivée par l’objectif de protéger l’économie canadienne.

Et pour WE Charity, on pouvait, avec naïveté, parler d’un dérapage facilité par l’urgence de créer des programmes en pleine pandémie.

Je ne dis pas que je suis d’accord avec ces justifications. Mais à la limite, elles se plaident.

Avec le dossier des Forces, par contre, même le plus inventif des libéraux peinera à trouver une bonne excuse.

La pandémie les sauve. Alors qu’on met la pression sur M. Sajjan et le reste du gouvernement, la campagne de vaccination massive est lancée. Un timide vent d’optimisme souffle sur le pays. À la fin de l’été, on devrait se rapprocher d’un retour à la normale.

Les controverses éthiques seront déjà dans le rétroviseur, espèrent les libéraux. Mais il y a tout de même un risque pour eux : que les gens s’en souviennent, et arrêtent de les croire.