Le Québec a été frappé par une « tempête parfaite » et aurait difficilement pu faire mieux pour se procurer tous les équipements de protection individuelle (ÉPI) dont il avait besoin pour affronter la pandémie de coronavirus, conclut un nouveau rapport rédigé par deux chercheurs de HÉC Montréal.

« C’est pas mal ce qui se dégage de nos observations », lance d’emblée un des auteurs, le professeur Jacques Roy.

Certaines composantes de cette tempête – comme le fait que la production d’ÉPI soit concentrée en Asie ; le long congé du Nouvel An chinois au début de l’année ; et le fait que Wuhan, l’épicentre de la crise, soit aussi la principale zone industrielle de production des ÉPI — signifiaient que « la fenêtre d’opportunité » pour mettre la main sur des ÉPI « était très étroite ».

« Même en la saisissant, il aurait été impossible de sécuriser des stocks pour tous les établissements de santé du Québec », peut-on ainsi lire dès les premières pages du document.

Évidemment, ajoute M. Roy, il aurait été possible de faire mieux si les plans de contingence nécessaires avaient été prêts et si les stocks requis avaient été disponibles – en d’autres mots, si on avait su à l’époque tout ce qu’on sait aujourd’hui.

Ultimement, le Québec s’est retrouvé en compétition avec pratiquement toutes les autres juridictions de la planète, et tout le monde se disputait les mêmes équipements.

« Même si les producteurs ont doublé leur production, c’était pratiquement impossible qu’il y en ait assez pour tout le monde, a dit M. Roy. La demande a explosé par dix. À la source, il y avait un nombre limité de fabricants et on ne pouvait pas en inventer. »

Et même si sa performance n’a certainement pas été parfaite, le gouvernement du Québec semble avoir fait partie de la solution bien davantage que du problème quand est venu le temps de s’assurer que les établissements de la province disposeraient des ÉPI dont ils avaient besoin.

Le rapport souligne à ce titre le rôle joué par la Direction du génie biomédical, de la logistique et de l’approvisionnement (DGBLA), une agence du ministère de la Santé et des Services sociaux qui « se chargeait de redistribuer les articles acquis par l’entremise des groupes d’achat ».

Une structure qui ne comptait au départ qu’une dizaine de personnes s’est élargie pour englober une centaine de cadres et de spécialistes « qui se sont structurés, qui se sont organisés pour faire face à la musique du mieux qu’ils le pouvaient », a dit M. Roy.

Pratiquement unique au Canada, la stratégie québécoise de centralisation a simplifié « les canaux de communication entre les établissements de la santé et les différents fournisseurs en ayant un seul point de communication pour ces derniers », peut-on lire dans le rapport.

« Imaginez si comme fournisseur vous êtes obligé de faire affaire avec cinquante hôpitaux différents, des établissements, etc., ça devient infernal, a illustré M. Roy. En centralisant comme ça, ça facilitait la tâche globalement de coordonner tous ces approvisionnements. »

En guise de comparaison, les hôpitaux ontariens ont essentiellement été laissés à eux-mêmes, chacun faisant tout ce qu’il pouvait pour obtenir l’équipement nécessaire, souvent au détriment de son voisin.

Système de surveillance

Le rapport formule six recommandations pour permettre au Québec d’affronter encore plus efficacement une éventuelle prochaine crise.

On retrouve au premier plan de celles-ci l’identification de « prédicteurs » pour anticiper l’émergence d’une pandémie.

« Il y avait des signes avant-coureurs, a dit M. Roy. On aurait pu avoir une meilleure veille. Est-ce que ça devrait être la responsabilité du gouvernement fédéral ? Est-ce que ça devrait être chaque province ? Finalement, ce qui s’est produit, c’est que c’était un peu au hasard. »

Ainsi, un fournisseur ayant de bonnes antennes sur le terrain avait entendu dire que la réalité était bien pire que ce que laissait entendre le gouvernement chinois.

De grandes multinationales comme L’Oréal et Danone avaient interdit à leurs employés de voyager par avion dès les premières semaines de 2020, puisque leurs gens à travers le monde les avaient informées de ce qui s’en venait.

Les signes avant-coureurs étaient donc disponibles ; ce qui a fait défaut, c’est le système nécessaire pour les détecter.

« Si on avait une communication plus étroite avec nos fournisseurs, et à haut niveau, disons au niveau du ministère, […] à ce moment-là on aurait pu voir venir plus rapidement la crise, a dit M. Roy. Ces gens-là le savaient. Les multinationales de ce monde le savaient.

« Il faut se connecter un peu sur ces réseaux-là. […] Ça fait partie des bonnes pratiques et on n’a pas besoin d’attendre la prochaine crise pour les mettre en place. »

Cela aurait pu éviter que le directeur logistique d’un établissement de santé, ayant lui aussi détecté la tempête qui arrivait et qui s’était constitué des réserves d’ÉPI qui auraient normalement été suffisantes pour six mois, voie ses stocks être pillés par le reste du réseau quand la crise a éclaté.

Des pistes de solutions

Ce rapport s’inscrit dans le cadre d’une étude pancanadienne et les travaux se poursuivent. Un deuxième rapport, qui évoquera notamment certaines solutions, est attendu dans quelques semaines.

Mais déjà, des pistes intéressantes se dessinent.

« Est-ce qu’on fait appel aux industries locales ? Est-ce qu’on fait appel aux fournisseurs habituels, mais on leur demande de garder des stocks et de faire la rotation ? Il y a plusieurs solutions et il faut vraiment réfléchir », a dit M. Roy.

Plusieurs entreprises québécoises, petites et grandes, ont répondu à l’appel en acceptant de diversifier leur production pour répondre aux besoins les plus criants pendant la pandémie, a-t-il rappelé.

Il serait maintenant judicieux, croit M. Roy, de formaliser tout ça, pour minimiser le recours à l’improvisation la prochaine fois.

« Est-ce qu’on peut à l’avenir avoir des ententes avec ces entreprises-là pour que la prochaine fois ce ne soit pas une question de chance ou de bonne volonté, mais qu’on ait déjà planifié d’utiliser des sources alternatives de production pour nous dépanner en cas de crise ?, a-t-il demandé. Et ça, ça s’organise. On peut leur donner des contrats, on peut avoir des ententes pour que ce soit encore plus rapide la prochaine fois. Mais on a quand même une amorce de cette bonne collaboration-là. »

La capacité historique de réaction de la chaîne logistique du secteur de la santé se compte en semaines et non en jours, rappelle le rapport. Un tel système est clairement mal adapté pour répondre à une crise qui réclame l’achat de millions de dollars en équipements en seulement quelques jours.

La pandémie a maintenant permis à la DGBLA et au ministère de la Santé et des Services sociaux de jeter les bases d’un système qui minimiserait l’impact d’une prochaine crise.

La pandémie a aussi accentué des failles historiques du système logistique qui ne sont toutefois pas uniques au réseau québécois de la santé, comme des pratiques rudimentaires de gestion des stocks, un système d’information présentant de nombreuses limitations restreignant les analyses régulières des données de consommation et un faible partage d’information auprès des fournisseurs.

La déconnexion qui existait entre les décideurs et la réalité sur le terrain a souvent été exposée au grand jour par les questions auxquelles les responsables ont dû répondre.

« Si on peut améliorer nos systèmes d’information pour avoir des informations sur l’état des stocks, sur la consommation, etc., pour être plus en contrôle de ces informations-là, je pense que ce sont de bonnes pratiques qu’on peut mettre en place pour l’avenir, a conclu M. Roy. Qu’on soit ou non en période de pandémie, on a toujours besoin de ces données-là. »