Si des experts saluent de nouvelles mesures « courageuses » annoncées par Québec mercredi, enseignants, commerçants et autres observateurs dénoncent toutefois l’incohérence du discours gouvernemental depuis quelques jours, qui contribue selon eux à « déstabiliser » la population.

« C’est triste et désolant d’en être là, mais la sécurité des gens demeure la priorité. C’est juste qu’on sent qu’il y a des enseignants exaspérés par l’incohérence des décisions des dernières semaines », résume la présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement, Josée Scalabrini. À Québec, à Gatineau et à Lévis, les écoles fermeront jusqu’au 12 avril, dans le but de freiner la croissance des variants. « La semaine dernière, quand on avait appris qu’en zone rouge, les élèves de la troisième à la cinquième secondaire retourneraient à l’école à temps plein, on s’était demandé pourquoi ne pas attendre de voir venir les variants. Mais non, ç’a été du mur-à-mur, puis là on recule encore », déplore-t-elle.

À la Fédération autonome de l’enseignement, le président, Sylvain Mallette, est du même avis. « Il faut que le gouvernement arrête de jouer à deux pas en avant, deux en arrière. La situation n’est pas facile, mais ça fait depuis janvier qu’on demande un plan de match sur les variants », martèle-t-il. « On déstabilise le réseau. Il y a des élèves qui seront revenus à l’école pour un seul jour à temps plein », insiste-t-il.

« Ça va demander tout un travail de réorganisation », convient aussi le président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement, Nicolas Prévost. « Quand on a 48 heures pour réagir, ça laisse une marge de manœuvre, mais là, 24 heures, c’est plus difficile. Demain, notamment à Québec, on a des écoles qui sont en journée pédagogique. Elles ne se sont pas organisées pour basculer en virtuel », dit-il.

Un maire préoccupé

À Lévis, le maire Gilles Lehouillier se dit surtout inquiet pour les commerces non essentiels, qui devront aussi fermer dans les trois régions visées. « Le gouvernement n’avait pas d’autre choix que d’agir. S’il avait eu une marge de manœuvre, il n’aurait pas fermé. Par contre, là, ça devient de plus en plus difficile à appliquer », soutient-il. Tous les deux mois, c’est 1 milliard de dollars que perdent au total les commerces de Lévis, selon la Ville. « C’est énorme », insiste M. Lehouillier. Malgré l’aide financière qu’a promise Québec aux commerçants touchés, la plupart d’entre eux « nous disent que ça ne leur donne plus rien, qu’ils n’ont juste plus de business », affirme l’élu.

J’espère qu’après le 12 avril, on va être capables de rouvrir nos commerces. Entre-temps, il faut qu’on accélère la vaccination. Dans Chaudière-Appalaches, on est à environ 1000 doses par jour. Il faut tripler ça pour arriver à la cible du 24 juin.

Gilles Lehouillier, maire de Lévis

Au cabinet du maire de Québec, Régis Labeaume, on indique qu’on ne réagira pas aux annonces pour le moment. Une conférence de presse pourrait avoir lieu ce jeudi. « La cellule de crise analyse les annonces et discute des mesures », signale l’attaché de presse du maire, François Moisan. Le maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, devrait aussi s’exprimer devant les médias ce jeudi, après une rencontre avec les préfets de la MRC.

Geste « courageux »

Pour le virologue Benoit Barbeau, de l’UQAM, la décision de « mettre sur pause » Lévis, Québec et Gatineau est « courageuse ». « Je suis surpris qu’ils soient allés aussi loin. Je salue cette décision. Il fallait agir extrêmement fortement », soutient-il.

Mais selon M. Barbeau, le gouvernement aurait dû appliquer les mêmes règles aux zones rouges. « On comprend que les gyms et les spas vont demeurer ouverts. Je ne comprends pas cet entre-deux. On aurait pu être plus sévère, pour avoir la même chose partout et envoyer un message plus clair », indique-t-il.

À l’École de santé publique de l’Université de Montréal, la spécialiste Roxane Borgès Da Silva salue aussi ces nouvelles restrictions. « On ne pouvait pas se permettre de relâcher. Maintenant, j’espère que ça va avoir un effet. Avec les fêtes de Pâques, c’est prévisible que les gens ne respecteront pas les mesures. Ce laisser-aller risque d’entraîner un reconfinement dans d’autres régions », prévient-elle.

Commerçants déçus et vulnérables

« Ce gouvernement-là improvise. Il a créé ce problème-là par son incompétence », fulmine Jean-François Transon, propriétaire des magasins Club Chaussures. Selon lui, les commerçants sont pénalisés à cause d’une réouverture trop rapide des gyms et des restaurants dans les régions touchées. « On se retrouve dans le jour de la marmotte, sauf que la situation est plus difficile chaque fois que les commerces doivent refermer, commente François Vincent, vice-président pour le Québec de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). C’est dur pour le moral. »

La FCEI et les chambres de commerce de Québec et de Lévis demandent au gouvernement de faire parvenir rapidement de l’aide aux commerçants qui doivent fermer leurs portes, à un jour d’avis. Elles réclament que de l’aide soit directement envoyée aux entreprises et qu’elles n’aient pas à passer par un système gouvernemental compliqué.

« L’aide doit arriver dès [jeudi]. Il faut comprendre que les restaurateurs étaient pleins pour Pâques », dit Marie-Josée Morency, vice-présidente exécutive et directrice générale de la Chambre de commerce de Lévis.

Ce qu’ils ont dit…

La décision prise par le premier ministre Legault était sans aucun doute difficile, mais c’est la bonne. Ça va aider à assurer la sécurité des Québécois, et je vous encourage tous à suivre les mesures en place dans votre région.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada, sur Twitter

François Legault se devait de poser des gestes forts. Cela dit, son gouvernement se doit d’intensifier les efforts de dépistage et de vaccination.

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

Les scientifiques et le personnel de la santé avertissent le gouvernement depuis le mois de février. Comment se fait-il que François Legault ait pu, dans la même semaine, défendre le retour des élèves du secondaire à temps plein et annoncer la fermeture des écoles ?

Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire

Le gouvernement se devait d’agir, après avoir refusé de voir la tendance et nié l’évidence encore [mardi]. Le nerf de la guerre, pour susciter l’adhésion, c’est la cohérence des messages.

Joël Arseneau, porte-parole du Parti québécois en matière de santé