Une Québécoise qui tente de faire vacciner son père de 85 ans, hospitalisé dans l’unité de gériatrie de l’hôpital Anna-Laberge, à Châteauguay, dénonce le fait que la direction de l’établissement refuse d’autoriser une « sortie temporaire » à son père, l’empêchant ainsi de se rendre à son rendez-vous pour se faire vacciner.

« Quand il est rentré là en février, après s’être fracturé une côte, ma première question, c’était de savoir quand il serait vacciné. On m’a dit qu’il n’y avait pas de doses pour les usagers et qu’il fallait prendre rendez-vous, ce que j’ai fait. Puis, finalement, vendredi dernier, tout était prêt, et les gestionnaires m’ont dit qu’il était impossible de le faire sortir parce que ce serait trop dangereux. Alors on fait quoi ? », s’indigne Mélanie Simard.

Pour la résidante de Châteauguay, le cas de son père illustre un problème beaucoup plus large. « On oublie des aînés en milieu hospitalier dans les unités de soins de longue durée comme la gériatrie. Il y a peu de personnes vaccinées, alors que ce sont des gens fragiles et qu’il y a encore beaucoup de contamination », dit-elle.

Depuis janvier, une éclosion « non contrôlée » de COVID-19 sévit à l’hôpital Anna-Laberge. Une quinzaine de personnes y ont perdu la vie et une centaine d’autres ont déjà contracté le virus. Des infirmières de l’établissement ont d’ailleurs manifesté vendredi pour protester contre le manque de personnel, qui fragilise selon elles les soins prodigués.

Je trouve ça aberrant comme situation. Ce n’est pas la faute du personnel. C’est vraiment un enjeu administratif qu’on a tous du mal à comprendre.

Mélanie Simard, résidante de Châteauguay et proche aidante

Le plus dur, dit la Châteauguoise, a été d’annoncer à son fils que son grand-père ne recevrait pas de vaccin. « On reste dans une unité familiale intergénérationnelle et mon fils de 8 ans est très proche de mon père. Jusqu’à vendredi, il disait qu’enfin, grand-papa serait protégé. C’était notre lueur d’espoir. Lui expliquer les raisons de ce refus, ç’a donc été très dur », relate-t-elle.

« Pas de solution de rechange »

Pour le DQuoc Nguyen, gériatre au Centre hospitalier de l’Université de Montréal, le manque de couverture vaccinale dans les unités de gériatrie est préoccupant. « La situation doit être rectifiée, dans la mesure où on s’en va déjà vers une grande disponibilité de vaccins. Pour la grippe, on vaccine déjà les patients à l’hôpital », raisonne-t-il. « Il faut qu’on ait cette capacité de vacciner partout dans les établissements de santé, pour s’assurer que personne ne tombe entre les mailles du filet », ajoute le DNguyen, pour qui le vaccin d’AstraZeneca – plus facile à conserver – est tout désigné pour s’attaquer à ce défi.

L’enjeu central, selon le gériatre, est de se donner la capacité de vacciner au même rythme « dans les grands milieux hospitaliers ». La vaccination en milieu gériatrique « devrait toujours faire partie des possibilités » offertes, croit Quoc Nguyen. « Il faut entamer une réflexion sur ce qu’on peut faire de plus dans certains cas, dit-il. Sinon, le danger, c’est de noyer les plus vulnérables au fil de la campagne. »

Présidente du Syndicat des professionnelles en soins de la Montérégie-Ouest, Mélanie Gignac n’est « pas surprise » par la situation.

À cause de l’éclosion, la direction a peur d’envoyer les gens à l’extérieur. Elle craint qu’ils ramènent le virus. Sauf qu’il n’y a pas de solution de rechange pour faire vacciner quelqu’un, quand il se trouve à l’intérieur.

Mélanie Gignac, présidente du Syndicat des professionnelles en soins de la Montérégie-Ouest

Selon elle, les hôpitaux de la région « fonctionnent avec seulement 50 % des effectifs », notamment parce que des employées finissantes sont en congé pour décrocher un diplôme d’infirmière. « C’est inconcevable de rouler à la moitié du personnel pour une aussi grosse machine. On demande aux gens de faire des 16 heures de suite. Ça ne se peut plus. Il y a constamment des démissions », insiste-t-elle.

« Même si on pouvait vacciner dans nos milieux, on n’aurait même pas de personnel pour le faire. Le problème est large », dit Mme Gignac. « Et il n’y a jamais eu de mesures pour le personnel qui veut se faire vacciner sur place. On a dû prendre des journées de congé pour le faire », déplore-t-elle.

Le CISSS veut faciliter l’accès

Joint par La Presse, le CISSS de la Montérégie-Ouest affirme qu’il revient aux médecins traitants d’autoriser les sorties de patients. « Plusieurs raisons cliniques peuvent expliquer qu’un médecin refuse la sortie d’un patient », indique la conseillère aux communications, Jade St-Jean.

Cela dit, l’objectif du CISSS « est de faciliter l’accès de la vaccination à la population », assure Mme St-Jean. « Nous sommes en train d’organiser la vaccination dans les hôpitaux du CISSS de la Montérégie-Ouest pour certaines clientèles ciblées. Cette dernière va commencer au cours des prochains jours », dit-elle.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux, lui, affirme que les établissements « reçoivent les vaccins et ont la responsabilité de vacciner les groupes prioritaires ». « Plusieurs établissements vaccinent en milieu hospitalier, notamment avant le transfert d’usagers en CHSLD », dit la porte-parole, Noémie Vanheuverzwijn.