Les gens corpulents pourraient se trouver moins protégés que les autres par les vaccins contre la COVID-19 et avoir besoin de deux doses. C’est la mise en garde formulée par les auteurs d’études pour qui la vaccination des personnes obèses doit vite avoir lieu et dont l’efficacité doit être surveillée de très près.

L’obésité, « un facteur de risque majeur »

Les vaccins contre la COVID-19 pourraient s’avérer moins efficaces chez les personnes obèses, pourtant bien plus à risque de tomber gravement malades ou de mourir si elles sont infectées par le coronavirus.

De récentes études et des experts pressent le gouvernement de les vacciner rapidement et préviennent qu’il devra peut-être leur offrir des doses plus fortes ou plus rapprochées.

« D’après les recherches, l’obésité est un facteur majeur de risque de COVID sévère, surtout chez les moins de 50 ans. C’est incroyable que ce message ne soit pas mieux véhiculé. On ne parle pas d’un petit problème ou de la minorité de la population ! », déplore le professeur Richard Béliveau, directeur scientifique de la Chaire en prévention et traitement du cancer à l’UQAM.

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Le professeur Richard Béliveau, directeur scientifique de la Chaire en prévention et traitement du cancer à l’UQAM

Près d’un adulte québécois sur quatre souffre d’obésité, soit 1,7 million de personnes. « Mais on a peur de parler de surcharge de poids au Québec, d’être accusé de “ grossophobie ”. Il faut sortir de la rectitude politique », plaide le professeur de biochimie, qui s’intéresse à l’obésité en raison de son lien avec les cancers.

Les personnes très corpulentes doivent être vaccinées en même temps que les autres citoyens plus à risque, dès que l’immunisation des personnes âgées sera terminée, affirment des organismes importants.

Au début du mois, la Fédération mondiale de l’obésité (World Obesity) l’a réclamé en se basant sur les données de l’Organisation mondiale de la santé – dont elle est partenaire –, de l’Université Johns Hopkins et de centaines d’études1.

L’excès de poids entraîne « une augmentation spectaculaire » du risque de décès, c’est le facteur le plus important après l’âge, dit son rapport. Près de 90 % des morts causées par la COVID-19 sont survenues dans les pays qui comptent au moins un habitant sur deux en surpoids (mais pas forcément obèse), calcule l’organisme. Les États-Unis, le Canada et plusieurs pays européens font partie du lot.

59 % : Proportion des personnes qui sont en surpoids au Québec

Aux États-Unis, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention ou CDC) viennent aussi de sonner l’alarme et d’insister sur l’importance de vacciner en priorité les personnes en surpoids. Leur position s’appuie sur l’analyse des dossiers d’environ 150 000 patients soignés dans 238 hôpitaux américains2.

Avant l’âge de 65 ans, le danger augmente « nettement » en fonction de l’indice de masse corporelle (IMC) d’une personne, précise l’étude, publiée le 8 mars. Autrement dit, plus une personne atteinte de la COVID-19 a de kilos en trop, plus elle risque de mourir ou d’être hospitalisée, admise aux soins intensifs ou placée sous ventilation assistée.

Le phénomène est mondial, d’après une méta-analyse portant sur 75 études et quelque 400 000 patients, publiée dans Obesity Reviews en juillet3. Ses auteurs ont conclu que, en comparaison des personnes de poids santé, les personnes obèses infectées au coronavirus couraient 113 % plus de risque d’être hospitalisées, 74 % plus de risque d’avoir besoin de soins intensifs et 48 % plus de risque de mourir.

Nouvelles données de l’INSPQ

Les Québécois obèses seront-ils vaccinés tout de suite après les personnes âgées, avec les autres groupes à risque de complications ? Le ministère de la Santé et des Services sociaux n’a pas encore déterminé quels problèmes de santé ou maladies permettront d’avoir priorité, nous a répondu une porte-parole.

Les données de la deuxième vague sont toujours en cours d’analyse par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

A priori, les dernières statistiques semblent confirmer qu’être obèse rend vulnérable. Cela augmente la probabilité de mourir de la COVID-19 ou d’être admis à l’hôpital, comme on l’entrevoyait dès la première vague, indique Marc Simard, biostatisticien à l’INSPQ. Comme aux États-Unis, le risque accru d’hospitalisation était alors plus marqué chez les moins âgés, dans la quarantaine, la cinquantaine et la soixantaine4.

Hausse du risque d’hospitalisation chez les Québécois obèses infectés à la COVID-19 en comparaison des non-obèses du même âge

Avant la cinquantaine : 46 %

Dans la cinquantaine : 64 %

Dans la soixantaine : 31 %

Source : INSPQ

Moindre efficacité des vaccins ?

L’éventualité que les vaccins contre la COVID-19 soient moins efficaces chez les personnes obèses est « une préoccupation majeure », ont écrit l’été dernier les auteurs américains de la méta-analyse publiée dans Obesity Reviews5. Les CDC américains le soulignent aussi sur leur site web6.

Le phénomène a déjà été documenté pour plusieurs autres vaccins, explique Alain Lamarre, expert en immunologie et virologie à l’Institut national de recherche scientifique (INRS). Même après avoir reçu celui contre la grippe – et avoir produit autant d’anticorps que les autres adultes vaccinés –, les personnes obèses tombaient, malgré tout, deux fois plus souvent malades7.

L’efficacité n’est pas nulle, seulement réduite, nuance le scientifique : « Mais c’est un sujet d’investigation important compte tenu de l’ampleur de l’épidémie d’obésité. »

Fin février, des chercheurs italiens ont prépublié une petite bombe sur le serveur de medRxiv.org 8. Après avoir mesuré les niveaux d’anticorps de 248 travailleurs de la santé – qui avaient reçu la deuxième dose du vaccin de Pfizer-BioNTech –, ils en ont retrouvé environ deux fois moins chez les sujets obèses.

« Il faut planifier un programme de vaccination efficace pour ce sous-groupe » et effectuer « une surveillance étroite », ont-ils conclu.

Si nos données devaient être confirmées par des études plus importantes, donner aux personnes obèses une dose supplémentaire ou une dose plus élevée pourrait être des options à évaluer.

Extrait d’une étude italienne publiée sur le serveur de medRxiv.org

L’enjeu concerne le Québec en entier, souligne Richard Béliveau : « Avec 60 % de la population en surcharge de poids, si les vaccins se révélaient moins efficaces contre le coronavirus, cela pourrait permettre l’apparition de mutants plus résistants [et d’autres vagues]. C’est une épée de Damoclès. »

Doit-on agir ainsi sur-le-champ ? Il est encore trop tôt puisqu’on ignore encore si les craintes sont fondées, répond-il, mais il faut rester à l’affût.

Plusieurs mois s’écouleront avant qu’on soit fixés, prévoit pour sa part le DGaston De Serres, médecin immunologiste à l’INSPQ. « On peut être protégé, même avec de faibles niveaux d’anticorps, parce qu’ils représentent seulement une partie de la réponse immunitaire », expose-t-il.

À McGill, le directeur du département de microbiologie et d’immunologie abonde dans le même sens. Pfizer a pris soin de recruter de nombreuses personnes en surpoids ou obèses lors de ses essais cliniques, rappelle le DDonald Sheppard. « Les résultats fabuleux obtenus alors, puis en Israël et en Écosse, montrent que le vaccin fonctionne comme prévu. »

Les participants aux essais ont toutefois reçu deux doses plutôt qu’une seule.

Pour Richard Béliveau, les personnes corpulentes devraient donc redoubler de prudence : « Faites encore plus attention que la moyenne des gens ! »

Éviter des millions d’autres morts

« Des centaines de milliers de décès et d’innombrables millions d’hospitalisations liés à COVID-19 n’auraient pas eu lieu si l’épidémie d’obésité avait été combattue. »

C’est ce qu’a déclaré la Fédération mondiale de l’obésité, un organisme partenaire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en déposant son rapport choc du 4 mars dernier1. Il fait état d’un taux de mortalité 10 fois plus faible dans les pays où moins de 50 % de la population est trop grasse.

À moins de prévenir et de traiter l’excès de poids, les futures épidémies pourraient s’avérer dévastatrices, prédit l’organisme.

L’inverse semble plutôt se produire depuis un an. Stressés et confinés, les gens bougent moins et beaucoup mangent mal, d’après les sondages menés par l’Institut national de santé publique (INSPQ). Une personne sur trois, parfois une sur deux, s’est dite dans cette situation (les résultats évoluent d’un sondage à l’autre et dépendent de l’âge) 2.

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Corinne Voyer, directrice de la Coalition poids

« La diminution de l’activité physique demeure assez drastique », observe Corinne Voyer, directrice de la Coalition poids, un organisme qui milite pour la mise en place d’environnements propices aux saines habitudes.

Certains Québécois cuisinent plus qu’avant. « Mais les jeunes adultes consomment plus de malbouffe », rapporte Mme Voyer.

Des scientifiques s’en inquiètent. Les maladies associées à l’excès de poids pourraient s’aggraver ou se répandre, écrivent les auteurs américains d’une vaste analyse sur les ravages de la COVID-19 chez les personnes obèses3.

L’obésité « exacerbe la menace pour la santé de tous », écrivent-ils, la qualifiant de « risque sanitaire majeur ». Prévenir les mauvaises habitudes alimentaires est donc urgent et « crucial », concluent-ils.

La Coalition poids espère que nos gouvernements agiront en conséquence. « L’obésité est une crise de santé publique qu’on vit depuis des années, affirme Mme Voyer. On constate aujourd’hui qu’on a probablement dormi au gaz. »

Qui est obèse ?

1,7 million d’adultes québécois, soit 23 % de la population

4 millions d’adultes québécois sont en surpoids, soit 59 % de la population

Une personne est en surpoids lorsque son indice de masse corporelle excède 25 kg/m2, ou obèse lorsque cet indice dépasse 30 kg/m2.

Une femme de 5 pi 4 po est en surpoids à partir de 146 lb ; obèse à partir de 175 lb. Un homme de 5 pi 10 po est en surpoids à partir de 175 lb ; obèse à partir de 210 lb.

Sources : Coalition poids et Statistique Canada

Les gens savent déjà quoi faire et ne sont pas à blâmer, dit-elle. « C’est injuste de tout mettre sur leurs épaules. On exerce bien moins de contrôle sur notre poids qu’on le croit. On vit dans des environnements “ obésogènes ” qui nous conditionnent. Les portions sont toujours plus grandes ; les produits ultratransformés sont toujours en promotion et ultra-accessibles. »

La solution ? Métamorphoser les milieux de vie pour faciliter les choix santé, souvent trop compliqués, répond-elle.

Chose certaine, le temps presse, confirme Richard Béliveau, professeur de biochimie à l’UQAM.

L’obésité pédiatrique est une catastrophe. Et on voit maintenant des diabètes de type 2 chez des gens en bas de 50 ans, ce qui n’arrivait pas avant.

Richard Béliveau, professeur de biochimie à l’UQAM

Depuis le début de la pandémie, près de 2,7 millions de personnes ont été tuées par la COVID-19, dont une grande proportion étaient trop grasses.

Avant même l’apparition du coronavirus, l’excès de poids tuait déjà – chaque année – au moins 2,8 millions de personnes, selon les données de l’OMS.

Elles mouraient par exemple d’un infarctus ou d’un cancer.

« Aujourd’hui, 16 % de la population fume, alors que 60 % sont en surpoids, souligne le DBéliveau. C’est le problème de santé publique à l’échelle mondiale. La COVID-19 est venue nous le rappeler. »

Notes

1. COVID-19 and Obesity : The 2021 Atlas. World Obesity, mars 2021.

2. Pandémie, habitudes de vie, qualité du sommeil et préoccupation à l’égard du poids – 23 février 2021, Institut national de santé publique du Québec.

3. Pandémie et habitudes alimentaires – 9 mars 2021, Institut national de santé publique du Québec.

4. « Individuals with obesity and COVID-19: A global perspective on the epidemiology and biological relationships », Obesity Reviews, 26 août 2020.

Cinq vulnérabilités des personnes obèses

Même jeunes, les personnes obèses risquent davantage d’être férocement attaquées par le coronavirus, comme si elles étaient plus âgées. Les scientifiques entrevoient plusieurs explications possibles. Voici cinq pistes.

Cocktail de maladies

La graisse n’est pas un tissu « neutre ». Elle provoque un déséquilibre métabolique néfaste, qui favorise l’apparition de maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension ainsi que des problèmes cardiaques ou respiratoires, souligne Richard Béliveau, professeur de biochimie à l’UQAM. Or, ces maladies augmentent elles aussi le risque de succomber au coronavirus. Cela dit, même lorsque les personnes obèses ne les développent pas, elles demeurent plus en danger.

Système immunitaire affaibli

Les cellules adipeuses produisent des molécules inflammatoires mesurables dans le sang, indique M. Béliveau. Elles peuvent aider l’organisme à se défendre contre les intrus. Mais chez les personnes obèses, leur niveau est souvent trop élevé et l’inflammation devient chronique. Cela épuise le système immunitaire, qui réagit alors moins fort ou moins vite. Autre danger : un système immunitaire moins performant peut faire preuve d’une moins bonne « mémoire » et moins répondre aux vaccins censés l’activer.

Tempête inflammatoire

La fameuse tempête inflammatoire – qui expliquerait l’hospitalisation ou la mort de nombreuses victimes de la COVID-19 – tue des cellules saines et risque davantage de survenir quand une personne est déjà aux prises avec l’inflammation chronique. C’est un terrain fertile, explique M. Béliveau. « Vous vous trouvez déjà sur un lac secoué par de hautes vagues, sans chaudière pour écoper, alors ça ne prend pas une grosse tempête pour vous faire couler. »

Problème de coagulation

La COVID-19 cause aussi des problèmes de coagulation et de micro-embolies, qui expliqueraient toutes sortes d’atteintes dans différents tissus des malades, comme les reins, expose M. Béliveau. Les personnes obèses deviennent plus sujettes aux caillots sanguins. Encore une fois, parce que leur métabolisme est déréglé, ce qui détériore toutes sortes de fonctions biologiques.

Microbiome altéré

L’obésité est associée à une altération des bactéries et autres micro-organismes vivant dans l’intestin, appelé microbiote intestinal. « Celui-ci joue un rôle majeur dans notre capacité de répondre aux infections. C’est bien établi et son impact sur la réponse à la COVID-19 sera sûrement étudié », prédit M. Béliveau.