Il y a un an, le coronavirus faisait sournoisement son entrée dans le maillon faible du réseau de la santé québécois, les CHSLD. En 12 mois, le virus y a frappé très fort, infectant plus de 15 000 aînés et en tuant plus de 5000 dans près de 300 établissements au Québec. Lesquels ont enregistré les pires taux de mortalité ? Le réseau public a-t-il mieux fait que le privé ? Les résultats de notre analyse.

Des taux de mortalité plus élevés au privé non conventionné

Un an après le début de la pandémie qui a tué près de 5000 aînés dans près de 300 centres d’hébergement et de soins de longue durée au Québec, le taux de mortalité est plus élevé dans le secteur privé non conventionné que dans les établissements publics et privés conventionnés, montre un décompte réalisé par La Presse à l’aide des chiffres du ministère de la Santé.

Les trois quarts des CHSLD du Québec (296 sur 412) ont été touchés par la COVID-19, c’est-à-dire qu’ils ont recensé au moins un cas, selon les données du ministère de la Santé. Au total, 15 155 aînés ont été infectés par le virus dans ces établissements et le coronavirus a tué 5307 bénéficiaires qui résidaient en CHSLD.

Dans l’ensemble des CHSLD où il y a eu au moins un cas de COVID-19, le taux de mortalité s’élève donc en moyenne à 15 %. Bref, quand le coronavirus pénétrait dans un CHSLD, en moyenne, près d’un aîné sur six finissait par en mourir.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Au total, 5307 aînés qui résidaient en CHSLD sont morts des suites de la COVID-19.

Cette moyenne générale masque cependant une disparité. Dans les CHSLD publics et privés conventionnés, le taux de mortalité est le même, à quelques décimales près, soit respectivement 14,2 et 14,6 %. Les CHSLD privés non conventionnés, eux, font nettement moins bien, avec un taux de décès de 18,5 %.

En considérant seulement la grande région de Montréal, où la pandémie a frappé le plus fort, le même scénario se répète : les taux de mortalité des CHSLD publics et privés conventionnés sont le même, à 17 %. Les CHSLD privés non conventionnés se démarquent encore, avec 21,6 % de taux de décès.

Vigi Santé, un groupe de CHSLD privés conventionnés, dont nous avons parlé mardi, se démarque de tous les groupes, avec un taux de mortalité de 21 % pour ses CHSLD de l’ensemble du Québec et de 22,5 % pour ses établissements de la grande région montréalaise.

Des résultats « décevants », estime Philippe Voyer, professeur titulaire à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval. « Ces centres sont privés conventionnés, c’est une grande organisation, ils ont des revenus stables… »

À l’Association des établissements privés conventionnés, la directrice Annick Lavoie refuse de commenter directement la situation de Vigi, parce qu’elle fait l’objet d’une action collective. Mais elle estime que dans l’ensemble, ses membres se sont bien tirés d’une situation difficile, qui a été compliquée par le ministère de la Santé.

Dans bien des cas, nos membres ont vu venir les problèmes et le Ministère a fait fi de nos avertissements. C’est regrettable. C’est sûr que certaines des décisions qui ont été prises ont été délétères.

Annick Lavoie, directrice de l’Association des établissements privés conventionnés

Un exemple ? Dès la mi-mars, Mme Lavoie dit avoir averti le gouvernement de cesser les transferts de patients des hôpitaux vers les CHSLD. « On n’a pas fait ça. Et on a mis le feu à la grange. »

De même, la gestion des équipements de protection s’est complexifiée à partir du moment où les CISSS et les CIUSSS ont pris le contrôle de leur distribution. « On a perdu notre autonomie à cet égard. Et ça a été problématique, c’est sûr. »

Car l’une des forces des centres privés conventionnés, souligne Mme Lavoie, c’est le fait qu’ils avaient tous un gestionnaire présent sur le terrain, souvent sept jours sur sept. « On avait une plus grande agilité que le réseau public et ça nous a bien servi. Le fait d’avoir un gestionnaire présent a été un atout. »

« Ça a complètement changé la donne »

Michel Nardella, président de l’Association des CHSLD privés non conventionnés, observe que la performance des centres qu’il représente a été nettement meilleure lors de la deuxième vague. Selon nos données, c’est exact : seuls quatre établissements ont vécu des éclosions importantes durant la deuxième vague, contre 23 lors de la première vague.

Pour lui, c’est la démonstration que lorsqu’on donne les moyens à ces CHSLD, ils performent tout autant que les autres.

Durant la première vague, on n’était pas financés de la même façon. En deuxième vague, on a eu accès à des ressources supplémentaires pour nos employés. Quand on a attaqué la deuxième vague, on était pas mal mieux armés. On nous a donné accès aux mêmes ressources, et ça a fait une énorme différence. Ça a complètement changé la donne.

Michel Nardella, président de l’Association des CHSLD privés non conventionnés

À cause de la subvention moindre que Québec leur versait avant la pandémie, ces centres souffraient particulièrement de la pénurie de personnel, puisque les salaires qu’ils offraient étaient moins alléchants. Après la première vague, le gouvernement a haussé les salaires des préposés qui œuvraient dans les centres privés non conventionnés après la première vague. Ils ont également eu accès aux services de gardiens de sécurité pour les poster aux entrées. Les équipements de protection individuelle étaient également distribués en quantité beaucoup plus importante par les CISSS et les CIUSSS.

« On n’a pas aimé ce qui s’est passé en première vague. Mais on s’est retroussé les manches. On a pris nos responsabilités. » Après la première vague, la ministre Marguerite Blais avait évoqué la possibilité de rehausser de façon permanente le financement du secteur privé non conventionné. « On travaille là-dessus », dit Michel Nardella.

La pandémie a montré hors de tout doute que ce modèle est à revoir, dit Philippe Voyer, professeur titulaire à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval, à qui nous avons soumis les grandes lignes de nos résultats.

« C’est sûr que les privés non conventionnés, qui fonctionnent par achat de place, c’est le prix le plus bas pour donner des services. C’est un modèle qui ne peut pas donner de la qualité. C’était vrai bien avant la pandémie. Ils sont menottés par un budget serré. Ces milieux ne sont pas incompétents, ils sont sous-financés. »

Les trois pires bilans au privé

Les trois pires bilans de la province en matière de COVID-19 appartiennent à des établissements privés. Le CHSLD Floralies LaSalle (privé non conventionné) a vu plus de la moitié (54 %) de ses bénéficiaires mourir. Le CHSLD Vigi Dollard-des-Ormeaux et le CHSLD de la Rive (privé conventionné et non conventionné) affichent eux aussi un taux de mortalité énorme, qui dépasse les 45 %.

Globalement, 39 CHSLD au Québec, tous statuts confondus, affichent un taux de mortalité qui dépasse les 30 %, ce qui signifie qu’un bénéficiaire sur trois a été emporté par la COVID-19.

Dans notre tableau, trois centres s’ajoutent à ce décompte, puisque les pourcentages qui dépassent 29,5 % sont arrondis à 30 %.

Sur cette liste des CHSLD où la crise a frappé le plus fort, on retrouve 14 centres privés, soit le tiers du total de la liste. Ces centres détiennent le quart des places d’hébergement dans le réseau.

Outre quatre centres qui appartiennent au groupe Vigi Santé, dont nous avons largement parlé mardi, seulement deux centres privés conventionnés se retrouvent dans ce triste palmarès. Le CHSLD St-Jude et le centre d’accueil Les Cèdres, qui ont tous deux vu mourir plus du tiers de leur clientèle.

Un exercice semblable réalisé dans nos pages en juin nous a permis de comparer l’évolution du nombre de cas et de morts de la première à la deuxième vague de la pandémie. Évidemment, la première vague a été infiniment plus meurtrière. Cependant, des éclosions majeures dans cinq de ces CHSLD, tous publics, sont survenues lors de la deuxième vague de la pandémie. Contrairement à la première vague, qui a davantage déferlé dans la région de Montréal, la deuxième vague a fait des ravages en région, touchant des établissements de la Capitale-Nationale, de Chaudière-Appalaches et de secteurs plus éloignés de la Montérégie et de l’Estrie. Des établissements de ces régions ont parfois été durement frappés, comme le CHSLD de Cap-Saint-Ignace, qui a vu 44 % de ses bénéficiaires emportés par la COVID-19.

Comment nous avons procédé

Le ministère de la Santé nous a fourni un bilan cumulatif des cas et des décès dans l’ensemble des CHSLD du Québec où était survenu au moins un cas de COVID-19. Nous les avons classés selon la catégorie, public, privé conventionné ou privé non conventionné, en vérifiant manuellement le statut de chaque établissement. Pour chaque CHSLD, nous avons validé le nombre de places au permis avec les registres du Ministère. Nous avons calculé le taux de mortalité en divisant le nombre total de décès survenus dans un centre par le nombre de places au permis. Ces taux pourraient donc en réalité être plus élevés, puisque dans certains établissements, le nombre de bénéficiaires hébergés était, dans les faits, plus bas. Un exercice semblable avait été fait dans nos pages en juin dernier, ce qui nous a permis de mesurer l’évolution des cas et des décès entre la première et la deuxième vague. Dans les cas des établissements où le nombre de cas ou de décès était de moins que cinq, le Ministère a évité de donner un chiffre précis, afin de préserver la confidentialité des bénéficiaires. Dans tous ces cas, nous avons donc opté pour le nombre minimal, soit zéro. Le ministère de la Santé et des Services sociaux estime qu’il manque certains éléments à nos calculs pour arriver à un portrait complet, qu’on devrait notamment tenir compte de la lourdeur des cas, des comorbidités, ainsi que des taux de létalité pour chaque établissement dans notre analyse.

Avec Francis Vailles, La Presse

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