Depuis un an, les photographes de La Presse documentent la pandémie. Leurs clichés sont forts, souvent émouvants. Mais qui sont ces « inconnus » dont l’image a été captée sur le vif pour illustrer la crise ? Notre journaliste Caroline Touzin en a retrouvé quelques-uns.

L’infirmière superhéroïne

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Sur l’image captée par David Boily, fin avril, Nadejda Curcan a des allures de superhéroïne.

« Nous sommes prêts à tout ! »

C’est ainsi que Nadejda Curcan résume avec fierté son travail aux urgences. Et son « année pandémique » vient de lui en apporter une preuve supplémentaire.

Le 25 février 2020 restera gravé dans sa mémoire. Ce jour-là, une femme, qui rentre d’un voyage en Iran, se présente aux urgences de l’hôpital de Verdun. La malade — qui porte masque et gants — arrive d’une clinique située non loin avec un billet sur lequel il est écrit : « Avec symptômes, possible cas COVID ».

Cette patiente deviendra la « patiente numéro un » au Québec. L’infirmière Curcan fait partie de l’équipe qui la soignera. À l’époque, personne n’aurait pu prédire qu’elle atterrirait ici, se souvient-elle, puisque l’Hôpital général juif était alors le seul établissement désigné pour recevoir les patients adultes infectés par le coronavirus à Montréal.

« J’étais sur l’adrénaline », raconte l’infirmière qui ne laissera toutefois rien paraître. La patiente avait besoin d’être « rassurée », se souvient-elle. Le diagnostic sera confirmé deux jours plus tard, le 27 février. Entre-temps, la femme obtient son congé.

L’infirmière vante la solidarité qui règne au sein du personnel des urgences depuis le début de la crise. Tous ses collègues, elle y compris, se rendent disponibles chaque fois qu’ils le peuvent pour faire davantage d’heures et ainsi éviter la mesure tant redoutée du temps supplémentaire obligatoire.

Sur l’image captée par David Boily, fin avril, l’infirmière a des allures de superhéroïne. Elle attend l’arrivée d’une ambulance devant une tente de triage installée de façon temporaire, les mains sur les hanches, le regard déterminé, la combinaison jaune soulevée par le vent.

La comparaison la fait rire, n’empêche, son parcours impressionne. Originaire de la Moldavie, arrivée au Québec à 20 ans sans parler un mot de français, la femme de 32 ans terminera ce printemps son baccalauréat en sciences infirmières après avoir obtenu son DEC. Elle jongle avec son rôle de mère — elle a deux jeunes enfants —, ses études à temps plein et son travail à temps partiel aux urgences.

Fin décembre, elle a contracté la COVID-19 à l’hôpital. Ça a été la plus grande épreuve de sa dernière année. « J’ai eu si peur de contaminer mes enfants », lâche-t-elle. Au bout de deux semaines, guérie, elle est retournée prêter main-forte aux urgences.

L’infirmière s’inquiète beaucoup pour la santé de ses nombreux collègues victimes d’épuisement professionnel. « On aspire à de meilleures conditions, mais on comprend que ce n’est pas possible pour le moment », dit-elle d’une voix douce, sans amertume.

L’ouvrier en quête de sens

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Philippe de Montigny

Philippe de Montigny cherchait un sens à sa vie.

Ce machiniste d’usine était venu vivre à Montréal pour « faire plus d’argent ». Sauf qu’ici, il se sentait loin de sa fille restée avec sa mère en région.

Puis, il a perdu son emploi. Il s’est mis à fréquenter la banque alimentaire du Réseau d’entraide Verdun (REV). Celui qui venait de recevoir un diagnostic de TDAH ne pouvait pas rester à « gamer » dans son petit logement toute la journée.

Tant qu’à aller chercher un panier de nourriture, pourquoi ne pas donner un coup de main ?, s’est-il dit. Il est devenu bénévole. Puis, un an et demi plus tard, la pandémie a frappé.

« Personne ne voulait le porter. On avait chaud là-dedans, surtout quand on déchargeait les caisses de nourriture dans le fond de la fourgonnette », se souvient le quadragénaire lorsqu’on lui parle du masque de plongée avec lequel il est photographié.

Début avril, le REV est l’une des rares banques alimentaires restées ouvertes. Elle croule sous la demande. Il n’y a pas de masques chirurgicaux ni de lunettes de protection disponibles. « Il fallait improviser sans grand soutien ni directives sanitaires », se souvient le directeur du REV, Rudi Svaldi. Avec sa copine, il achète alors un lot de masques de plongée et en modifie le tuba pour ajouter un filtre. Dès qu’il a pu mettre la main sur des masques mieux adaptés, il a laissé tomber le masque de plongée.

Philippe de Montigny, lui, a retrouvé du boulot comme couvreur. « J’aime ça faire des toitures, mais quand il pleut, je suis content parce que je peux retourner donner un coup de main au REV, lâche-t-il. Il n’y a rien qui m’apporte autant dans la vie que le bénévolat. »

La fille inquiète

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Alors que les visites sont interdites au CHSLD Yvon-Brunet où une éclosion de COVID-19 fait rage, Louise Laberge a préparé une pancarte sur laquelle elle souhaite « Joyeuse Pâque » à sa mère de 91 ans, résidante de l’établissement.

« Joyeuse Pâque, Claire Carrier » (sic)

Nous sommes le lundi 13 avril 2020. C’est le congé de Pâques. Louise Laberge vient d’apprendre que la moitié des résidants du CHSLD Yvon-Brunet où sa mère est hébergée sont infectés. Dix-sept personnes sont mortes.

Mme Laberge est sous le choc. C’est un journaliste qui lui apprend la nouvelle lorsqu’elle arrive sur les lieux.

Comme les visites sont interdites, cela fait un mois qu’elle n’a pas vu sa maman de 91 ans.

Louise Laberge a préparé une pancarte sur laquelle elle souhaite « Joyeuse Pâque » à sa mère. Comme elle souffre de la forme avancée d’alzheimer, elle ne la reconnaîtra probablement pas. Mais elle est encore capable de lire, d’où l’idée d’écrire son nom — Claire Carrier — en grosses lettres.

La fille inquiète demande à la réception d’envoyer un préposé chercher sa mère à sa chambre pour la déplacer de façon à ce qu’elle puisse la voir. Même si les employés sont débordés, l’un d’eux accepte de le faire.

À la fenêtre, la nonagénaire salue à la manière de la reine d’Angleterre sa fille restée à l’extérieur. « Je ne suis pas certaine qu’elle m’ait reconnue », raconte Mme Laberge, tout de même rassurée sur l’état de sa maman après le flot de mauvaises nouvelles.

Avant d’être hébergée au CHSLD Yvon-Brunet, Mme Carrier y a longtemps fait du bénévolat alors que sa propre mère y résidait. « Elle allait faire danser les messieurs âgés, raconte sa fille Louise. Elle a toujours dit qu’elle voulait y finir ses jours. »

Mme Carrier a contracté la COVID-19 quelques mois après la première éclosion. Elle a survécu et est aujourd’hui vaccinée.

« Ma mère, c’est une tough, mais il faudrait qu’elle arrête de manger autant de chocolat », dit Mme Laberge avant d’éclater de rire. Cette dernière tient d’ailleurs à ce qu’on publie deux choses : d’abord, elle s’excuse pour l’oubli du « s » à Pâques. Puis, elle insiste sur le fait que sa maman est bien traitée.

Avec des histoires d’horreur comme celle d’Herron, on a tendance à oublier qu’il y a des gens dévoués dans les CHSLD, souligne Mme Laberge.

Lumières dans la nuit

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Les ambulanciers Catherine Legault et Vincent Lapointe sont fiers de faire partie des services d’urgence et de « combattre la COVID-19 ».

La grande solitude des personnes âgées.

C’est ce qui a le plus frappé les jeunes ambulanciers Catherine Legault et Vincent Lapointe depuis le début de la crise sanitaire.

Lorsqu’ils répondent à un appel d’urgence, des malades leur confient n’avoir parlé à personne depuis des jours, dans certains cas, depuis des semaines. La plupart sont des aînés qui n’ont pas mis le pied dehors depuis des lustres.

Au confinement du printemps dernier, le duo d’Urgences-santé a eu une idée pour égayer leur vie : le soir, quand l’état des patients le permettait, il ralentissait devant les ponts illuminés. « Juste de voir autre chose que leur chambre dans leur résidence, ça faisait leur journée », raconte l’ambulancière de 27 ans.

La jeune femme prend toujours le temps de leur prêter une oreille attentive. « Je vois que ça leur fait du bien de parler même si parfois la ride dure seulement cinq minutes », dit-elle.

Le duo a rencontré des aînés qui ont tellement peur de la COVID-19 — ou qui sont si affaiblis — qu’ils ne prennent même pas l’air sur leur balcon. « Ça fait du bien de prendre de l’air frais. Ça faisait longtemps », confient-ils souvent avant de s’engouffrer dans l’ambulance.

Les deux ambulanciers se disent tellement « choyés de travailler », de « pouvoir aider », qu’ils sont toujours les premiers à lever la main pour faire des heures supplémentaires.

Tout n’est pas rose, bien sûr. Il y a les récalcitrants qui présentent des symptômes de COVID-19, mais qui refusent de porter un masque lors de leur transport. Il y a aussi ceux qui appellent le 911 pour des « petits bobos » qui ne nécessitent pas un transport d’urgence, faisant du même coup perdre un temps fou aux ambulanciers forcés de suivre un protocole strict pour s’habiller et se déshabiller sans se contaminer, en plus de devoir tout désinfecter entre chaque transport.

Mais, somme toute, la pandémie a exacerbé la fierté de Catherine Legault et de Vincent Lapointe de faire partie des services d’urgence. Pas un soir ne passe sans qu’ils soient appelés à porter secours à un sans-abri. Les itinérants aussi sont plus isolés que jamais depuis la pandémie, observe l’ambulancière. « Ils nous remercient tout le temps d’être là pour eux », raconte-t-elle.

Le duo donne souvent un coup de main au personnel quand il débarque avec un patient aux urgences. « Si la préposée est toute seule pour habiller le patient et le changer de civière, bien, on l’aide, lance l’ambulancier. Ce n’est pas dans nos tâches, mais en ce moment, on est tous unis par la même job : combattre la COVID-19. »

29 483 appels

Urgences-santé — qui dessert Montréal et Laval — a reçu 29 483 appels liés à la COVID-19 depuis le début de la pandémie*. Pendant la première vague — soit du 13 mars au 12 juillet —, 23 % des transports effectués étaient liés à la COVID-19.

* En date du 17 février