(Québec) Le Québec est devenu l’un des tout premiers États au monde à reporter l’administration de la deuxième dose du vaccin contre la COVID-19. Une décision difficile, prise en dépit du risque de se faire « couper des doses » de vaccin si la province « sortait du protocole » des pharmaceutiques, explique le DHoracio Arruda.

« On est allés beaucoup plus loin que le fabricant », résume le directeur national de santé publique, en entrevue avec La Presse.

Le 14 janvier dernier, le gouvernement Legault a tranché. Dans un contexte de pénurie de vaccins, on a administré la deuxième dose dans un délai pouvant aller jusqu’à 90 jours. Emboîtant le pas au Royaume-Uni, le Québec est devenu la première province du Canada à vouloir attendre aussi longtemps.

La question fait débat. C’est un délai qui va bien au-delà de la recommandation du Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) et de l’Organisation mondiale de la santé, qui fixent la limite à 42 jours (six semaines).

Mais c’est aussi beaucoup plus long que ce que recommandent à la fois Pfizer et Moderna — les créateurs des deux vaccins homologués à ce moment —, qui prescrivent respectivement un délai de 21 et de 28 jours entre les deux doses du vaccin.

« C’était courageux parce qu’il faut comprendre qu’on est la première province à le faire. À l’époque, il y avait encore beaucoup de pression [exercée] par les [sociétés pharmaceutiques] pour [ne pas dépasser] 21 ou 28 jours. Certaines nous disaient même que, si on sortait du protocole, elles allaient nous couper les doses », raconte le DArruda.

Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, Services publics et Approvisionnement Canada « craignait que les sociétés Pfizer et Moderna ne voient pas d’un bon œil la décision du Québec et que ça ait un effet sur l’approvisionnement », ce qui n’a finalement pas été le cas, confirme-t-on.

Selon une source gouvernementale, Pfizer était aussi préoccupée que le choix de Québec ait une incidence sur sa licence au Canada.

Le 18 décembre, donc, le Comité sur l’immunisation du Québec recommande d’opter pour une stratégie consistant à vacciner le plus de personnes possible avec une seule dose dans le contexte de rareté du vaccin et alors que la deuxième vague prend de la force. Québec accepte à la veille du jour de l’An.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le premier ministre François Legault lors d’une conférence de presse au centre de vaccination installé au Stade olympique de Montréal, le 23 février dernier

Décision calculée

En janvier, ce sont les équipes du DArruda qui proposeront au gouvernement Legault un délai de 90 jours, en s’appuyant sur les données du Royaume-Uni et leur expérience avec d’autres vaccins.

« On avait également suffisamment confiance en nos connaissances en immunologie pour dire qu’on pouvait retarder [la deuxième dose], même jusqu’à 90 jours. [Cette décision] ne s’est pas prise sur le coin d’une table », assure le DArruda.

« J’ai été convaincant », confie-t-il.

Le directeur de santé publique est catégorique : le Québec avait la marge de manœuvre nécessaire pour modifier sa stratégie si l’efficacité de la première dose avait été déficiente chez les personnes âgées. « J’aurais été le premier à remettre une date si on se rendait compte que la vaccination ne fonctionnait pas », lance-t-il.

On avait des données, elles n’étaient peut-être pas aussi solides que certains pouvaient penser, mais ce n’était pas un coup de dés. On était pas mal convaincus.

Le DHoracio Arruda, directeur national de santé publique

Les données préliminaires dévoilées à la mi-février par l’Institut national de santé publique du Québec ont conforté la Santé publique dans sa décision. On a révélé que la première dose de vaccin était efficace à 80 % après 14 jours, 21, chez les personnes plus âgées, et que l’efficacité ne semblait pas diminuer avec le temps.

Le nombre de cas confirmés de COVID-19 en CHSLD où la vaccination de la première dose est terminée depuis la fin de janvier a connu une chute considérable.

« J’avoue que je suis très content que l’avenir nous ait donné raison. Mais, très honnêtement, j’évaluais le risque qu’il y ait un problème comme assez faible », confie-t-il.

Au début du mois, le CCNI a donné le feu vert à l’administration de la deuxième dose dans un délai de 4 mois (16 semaines). Le Québec fait de même, ce qui lui permettra de vacciner 250 000 personnes plus rapidement.

« Personne n’a voté pour moi »

Un an après le début de la pandémie, le DArruda avoue encore carburer à l’adrénaline des premiers mois. « Est-ce que c’est usant ? Oui, je suis tanné, comme tout le monde. Mais ça ne sert à rien de me dire que je suis tanné quand il faut que je prenne des décisions. Je me reposerai quand ce sera fini », exprime-t-il.

Je vais vous le dire, bien honnêtement, ça va peut-être être plus difficile quand ça va s’arrêter.

Le DHoracio Arruda, directeur national de santé publique

Il affirme par ailleurs être en accord avec les décisions du gouvernement Legault en matière de consignes sanitaires. La publication récente d’avis écrits de la Santé publique a mis en lumière que le Québec allait parfois plus loin que ne le recommandait le DArruda.

« Que les gens disent : [le gouvernement] ne fait pas confiance à la Santé publique, moi, je ne vis pas, mais pas du tout ça comme ça », précise-t-il.

« Quand je fais des recommandations, le ministre écoute ou n’écoute pas, c’est son droit. Je ne me sens pas du tout attaqué, relativise-t-il. Les membres du gouvernement doivent prendre en considération plein d’autres choses […] ; ce sont eux, les élus. Moi, personne n’a voté pour moi. J’essaye d’être un bon conseiller. »