On peut se faire vacciner contre la COVID-19. Mais comment se faire vacciner contre la solitude ?

Godelieve De Koninck, 83 ans, réfléchissait à cette question bien avant de se faire elle-même vacciner contre la COVID-19, vendredi matin.

C’était il y a 13 ans déjà. L’orthopédagogue à la retraite de Québec, à la recherche d’un endroit pour héberger sa mère, a visité des CHSLD et des résidences privées pour aînés (RPA).

« Je trouvais que les gens avaient tellement l’air de s’ennuyer et d’être tout seuls, chacun dans sa chaise berçante. Je me disais : “Il faut que je fasse quelque chose !” »

Le temps de le dire, Mme De Koninck, qui a un doctorat en enseignement du français, a proposé son remède préféré, connu et éprouvé : lire.

« La lecture, pour moi, cela a toujours été tellement important. On peut tout faire avec ça. Rêver, voyager, apprendre, s’informer… »

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

Godelieve De Koninck (à droite) et son jeune complice, Charles-David Duchesne

Elle a appelé un neveu organisateur communautaire. Il lui a donné quelques numéros de téléphone. Elle a commencé à offrir des séances de lecture à des gens qui n’étaient plus en mesure de lire par eux-mêmes. Des articles réconfortants. Un peu de poésie. Des extraits de romans…

« J’ai commencé chez les non-voyants. De bouche à oreille, le projet a commencé à grandir… »

C’est ainsi qu’est né l’organisme Liratoutâge. Au début, Mme De Koninck était seule à distribuer son vaccin auprès de gens fragilisés par la vieillesse, la maladie d’Alzheimer ou d’autres ennuis de santé. Une fois par semaine. Puis deux, trois, quatre…

Parfois, sa visite était la seule que recevaient des résidants.

Parfois, avant de commencer, elle disait : « Si c’est plate, dites-le-moi ! »

On lui répondait toujours : « Oh non, c’est parfait. »

Au son de sa voix, les regards s’illuminaient. Pendant une heure, les résidants pouvaient courir tout en demeurant assis, sortir tout en restant à l’intérieur, avoir 20 ans tout en en ayant 95. « Ça les sort de leur univers… »

Mme De Koninck a recruté des bénévoles pour lui prêter main-forte. « Ma condition, c’est qu’ils aiment la lecture et qu’ils aiment faire partager leur passion. Mais ce n’est pas un club de lecture pour intellectuels ! On lit à des gens qui sont fragilisés. Il faut choisir de courtes lectures. »

Avant que la COVID-19 frappe, le projet rassemblait 60 bénévoles qui se promenaient dans quelque 60 CHSLD et RPA de Québec et de Chaudière-Appalaches. Le rêve fou de Mme De Koninck, c’est que son vaccin contre la solitude soit offert partout dans la province.

Juste avant la pandémie, elle a reçu un appel de l’Association des retraitées et retraités de l’éducation et des autres services publics du Québec (AREQ-CSQ) qui l’a ravie.

« On m’a dit : “On aime votre projet. On va vous aider !” L’AREQ a pu obtenir une subvention de Québec dans le cadre du programme Québec ami des aînés pour pouvoir étendre le projet partout dans la province ! »

Depuis un an, avec la complicité de Charles-David Duchesne, un diplômé en travail social de 26 ans embauché par l’AREQ, Mme De Koninck y travaille d’arrache-pied. Le duo, qui compte déjà sur une centaine de lecteurs bénévoles en attente à cause de la pandémie, une entente avec la Fédération québécoise du loisir en institution et une autre avec la Grande Bibliothèque, est actuellement à la recherche d’ambassadeurs du projet dans différentes régions du Québec.

Malgré la distance imposée par la pandémie, un lien très fort s’est tissé entre Mme De Koninck et son complice, qui a l’âge d’être son petit-fils. « On s’entend à merveille ! On a du fun ! On rit ! »

Passionné de lecture, Charles-David se sent privilégié de pouvoir travailler avec Mme De Koninck à un si beau projet.

« C’est une femme qui fonce et qui a réalisé énormément de grandes choses. Malgré son âge, malgré toutes les connaissances qu’elle a, elle accepte mes idées. »

Depuis un an, ils se parlent presque tous les jours, déterminés à faire rayonner le projet. « On a pratiquement traversé le confinement et la pandémie ensemble ! »

Ils ont aussi aidé bien des gens seuls à passer au travers.

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La pandémie aurait bien pu freiner le projet. Du jour au lendemain, urgence sanitaire oblige, l’idée toute simple est devenue compliquée. Il n’était évidemment plus possible d’entrer dans un CHSLD, un livre sous le bras. Tout s’est arrêté. Les résidants étaient en confinement dans leur chambre. Sauf dans les rêves de Mme De Koninck. « Une nuit, j’ai rêvé que j’arrivais à tous les sortir dans le corridor et qu’ils s’y promenaient ! »

Alors que l’on envisageait de suspendre le projet en attendant la fin de la pandémie, Mme De Koninck n’avait aucune envie d’attendre. « J’ai dit : “On ne peut pas les laisser tout seuls dans leur chambre. Ça n’a pas de bon sens. On n’est pas plus niaiseux que les autres ! On pourrait peut-être essayer d’offrir des séances virtuelles ?” »

Même si rien ne remplace une rencontre en chair et en os, l’essai a été concluant. Une fois par semaine, Mme De Koninck et ses bénévoles enregistrent une séance de lecture de 30 minutes qui est envoyée aux responsables des loisirs de CHSLD et de RPA. Il y a parfois des invités spéciaux. Lors d’une séance particulièrement populaire, la comédienne Guylaine Tremblay a fait la lecture d’un chapitre du magnifique roman Les enfants de ma vie de Gabrielle Roy. Les séances se terminent par une prestation musicale gracieusement offerte par Les Violons du Roy.

Mme De Koninck ne peut plus voir les yeux des résidants qui s’illuminent en l’écoutant lire à voix haute. Mais les échos qu’elle reçoit la touchent beaucoup.

« On nous dit beaucoup à quel point ça calme les résidants. Combien ils ressortent de là contents… Avec la musique des Violons du Roy, ils fredonnent dans le corridor en retournant dans leur chambre. Ça me donne envie de pleurer. Je suis tellement contente… »

Hier encore, on se demandait comment son projet allait survivre à la COVID-19. Un an plus tard, elle réalise, fière, émue et vaccinée, que son rêve brise-solitude du début de la pandémie s’est réalisé.

> Consultez le site de Liratoutâge

> Une séance de lecture en ligne de Liratoutâge aura lieu le 18 mars sur le site de BAnQ.

> Écoutez une séance de Liratoutâge avec Guylaine Tremblay, sur YouTube