Des parents inquiets et des enseignants en réclament à grands cris. Pourtant, le comité tripartite mis sur pied par Québec pour examiner les demandes d’installation de purificateurs d’air dans les écoles n’a reçu aucune demande en ce sens depuis l’envoi de la directive aux centres de services scolaires (CSS), a appris La Presse.

Selon la procédure mise en place, ce sont les CSS – et non les écoles, les enseignants ou les parents – qui doivent faire la demande au comité tripartite avant toute installation desdits appareils.

Or, pendant ce temps, plaidant l’« urgence d’agir », la Fondation Jasmin Roy continue de faire don de purificateurs d’air à des enseignants d’écoles publiques sans suivre la directive édictée par Québec, jugée beaucoup trop « lourde ». Tous les enseignants d’une école primaire de Montréal – l’école Élan – viennent ainsi d’en recevoir et d’en installer sans l’accord du CSS ni du comité tripartite.

Au même moment, des parents – « découragés » par la « lenteur de la machine bureaucratique » – multiplient les démarches pour en faire installer dans l’école de leurs enfants sans qu’elles portent leurs fruits.

Nous sommes devant une grosse machine qui bloque alors qu’il y a urgence d’agir avec les nouveaux variants présents dans nos écoles.

Nadine Murtada, mère de jumeaux qui fréquentent une école secondaire du CSS Marie-Victorin (CSSMV) – l’école Saint-Edmond – sur la Rive-Sud de Montréal

Le 7 janvier dernier, Mme Murtada a offert de payer l’achat, l’installation et l’entretien d’un purificateur d’air HEPA destiné à la classe de ses jumeaux. Or, depuis deux mois, malgré de nombreux échanges « avec des gens de bonne volonté » à l’école, au CSS et au ministère de l’Éducation, précise-t-elle, rien ne bouge.

« J’ai vraiment le sentiment qu’on joue au ping-pong avec moi pour tuer l’initiative », décrit cette psychologue d’affaires, qui souligne que plusieurs écoles privées en ont installé sans problème dès la rentrée scolaire de janvier dernier.

Parmi les échanges qui ont usé la patience de la mère de famille, début février, le CSSMV lui a indiqué que le comité tripartite mis sur pied par Québec pour analyser les demandes des écoles publiques n’existait pas encore.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le 7 janvier dernier, Mme Murtada a offert de payer l’achat, l’installation et l’entretien d’un purificateur d’air HEPA destiné à la classe de ses jumeaux dans l’école Saint-Edmond sur la Rive-Sud de Montréal.

Or, au ministère de l’Éducation – auquel la maman a aussi écrit –, on lui a répondu que le CSSMV devait absolument faire la demande d’installation des purificateurs au… comité tripartite, en lui assurant qu’il existait bel et bien. La mère de famille ne pouvait pas en faire la demande elle-même.

Ce comité tripartite est formé de représentants du ministère de la Santé et des Services sociaux, de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail et du ministère de l’Éducation.

« Une première rencontre [du comité tripartite] s’est tenue le 28 janvier 2021 et bien que les mécanismes de fonctionnement seront officialisés lors d’une prochaine rencontre, les centres de services scolaires et les commissions scolaires peuvent toutefois dès maintenant déposer, par courriel, des demandes de traitement. Ils ont d’ailleurs reçu des informations à cet effet », a indiqué le Ministère à Mme Murtada dans un courriel que nous avons pu consulter.

Entre-temps, le CSSMV a chargé un expert externe – un ingénieur – de vérifier la faisabilité d’installer le purificateur dans la classe des fils de Mme Murtada. Toutefois, en date du 11 mars, la mère de famille ignore toujours les conclusions de cet expert.

Mardi, La Presse a demandé au ministère de l’Éducation combien de demandes le comité tripartite avait reçues après avoir envoyé sa directive aux CSS le 2 février dernier. Réponse : « aucune ».

Lorsque nous avons demandé des précisions à cette courte réponse, son porte-parole Bryan Saint-Louis nous a indiqué qu’il ne pouvait plus fournir d’informations sur le dossier puisqu’il est « judiciarisé ». Le jour de notre demande – le 9 mars –, la Fédération autonome de l’enseignement s’est adressée à la Cour supérieure pour qu’elle ordonne au gouvernement de refaire ses devoirs et de régler le problème de ventilation dans les écoles.

Dons qui enchantent et… dérangent

La Presse a révélé en janvier que, invoquant une directive du centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), la direction de l’école Élan, à Montréal, avait sommé une enseignante de retirer deux appareils achetés par des parents d’élèves inquiets de la qualité de l’air en classe.

Le président et fondateur de la Fondation Jasmin Roy a également affirmé dans nos pages que le CSSDM lui avait mis « des bâtons dans les roues » lorsqu’il avait souhaité faire don de purificateurs d’air à des écoles de la métropole en décembre.

Après avoir lu l’histoire de l’enseignante Marie-Josée Latour, M. Roy a offert des purificateurs d’air aux autres enseignants de l’école. Ces derniers en ont pris possession mardi et les ont installés en suivant les consignes du fabricant montréalais – Sanuvox –, qui leur a livré le tout à l’école.

PHOTO FOURNIE PAR LA FONDATION JASMIN ROY

La Fondation Jasmin Roy a donné des purificateurs d’air à tous les enseignants de l’école primaire Élan à Montréal.

Toutefois, dans un courriel que nous avons pu consulter, la directrice de l’école Élan demande à ses employés de « remiser » lesdits appareils en rappelant que le rapport du groupe d’experts scientifiques et techniques mis en place par le ministère de la Santé, publié le 8 janvier dernier, ne recommandait pas l’utilisation de dispositifs de filtrations mobiles (ou purificateurs d’air) dans les bâtiments scolaires, notamment parce qu’ils pourraient créer un « faux sentiment de sécurité ».

Questionnés par La Presse, le CSSDM (école Élan) et le CSSMV (école Saint-Edmond) ont répété les conclusions de ce groupe d’experts mandaté par Québec pour expliquer leur refus d’en installer dans les classes.

Cependant, concernant l’école Saint-Edmond, le CSSMV parle d’une « installation exceptionnelle » puisque la demande qui a été lancée par un parent. Il s’attend à recevoir le rapport d’expert ce vendredi, rapport qui « nous permettra d’avoir un dossier complet à présenter à l’instance provinciale compétente et de faire les suivis nécessaires », explique son porte-parole, Alexandre Kozminski Martin.

La question de la prévention de la transmission de la COVID-19 par aérosols divise les experts au Québec. Rappelons que la conclusion de ce comité d’experts diffère de celle d’un groupe d’experts canadiens et internationaux qui, dans une lettre ouverte publiée le 4 janvier, recommandait, dans les lieux où la ventilation laisse à désirer, de « distribuer des unités portables de filtration de l’air (HEPA) dans le format requis ou des appareils artisanaux utilisant des filtres MERV-11/13 et des ventilateurs pour filtrer les bioaérosols ».

Jeudi, les enseignants de l’école Élan avaient l’intention de les garder branchées.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Josée Latour, enseignante à l’école Élan

Mes collègues ont accepté avec beaucoup de reconnaissance et de soulagement les appareils fournis par la Fondation. Avec l’arrivée des variants, chaque geste qu’on peut faire pour protéger davantage nos élèves, leurs familles et nous-mêmes nous fait gagner du terrain contre le virus.

Marie-Josée Latour, enseignante à l’école Élan

Le CSSDM n’a pas répondu à notre question à savoir si les enseignants de l’école Élan pouvaient continuer de faire fonctionner leurs appareils. Le CSSDM « ne considère pas leur installation et ne donnera pas suite à de nouvelles initiatives locales en ce sens, qu’il s’agisse de dons d’appareils ou de campagnes de financement/collecte de fonds », indique son porte-parole Alain Perron.

Pour sa part, Jasmin Roy s’explique mal la position de Québec concernant les purificateurs d’air. Sa fondation, plaide-t-il, ne s’est jamais fait mettre de bâton dans les roues pour distribuer « directement » aux écoles des tablettes électroniques ou des bourses d’études. On ne lui a jamais demandé non plus de passer par les commissions scolaires – devenues centres de services – pour faire des dons. « C’est politique, leur affaire, ce n’est pas scientifique », lâche-t-il.

Olivier Drouin, ce père de famille qui a créé un site internet qui répertorie les cas recensés de COVID-19 dans les écoles du Québec, constate que les écoles qui ont installé des purificateurs d’air ont moins d’éclosions que celles qui n’en ont pas. Sur un échantillon de 677 écoles avec des cas positifs depuis début janvier, M. Drouin a recensé 4223 cas, donc 6,77 cas en moyenne. Or, dans les 62 écoles dotées de purificateurs, M. Drouin a recensé 110 cas (moyenne de 1,77 par école).