(Ottawa) La Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) conseille à ses fidèles de privilégier, si possible, les vaccins de Pfizer et de Moderna par rapport à ceux d’AstraZeneca et de Johnson & Johnson, ces derniers ayant été conçus à partir de « lignées cellulaires dérivées de l’avortement ». Un constat auquel les sociétés pharmaceutiques et des experts apportent un gros bémol.

Dans la foulée des approbations récentes par Santé Canada des vaccins fabriqués par les sociétés pharmaceutiques AstraZeneca et Johnson & Johnson, l’organisation a officiellement décidé de faire sienne cette position qui a été prise récemment par un regroupement similaire aux États-Unis.

Car contrairement aux vaccins conçus par Pfizer et Moderna, AstraZeneca et Johnson & Johnson « utilisent des lignées cellulaires dérivées de l’avortement dans leur développement, leur production et leurs essais cliniques », procédé qui « incite des catholiques à se demander s’il est moralement acceptable de recevoir des vaccins », signale la CECC.

Le regroupement en vient à la conclusion que « si l’on a le choix entre différents vaccins, il faut toujours préférer et choisir le vaccin le moins lié à des lignées cellulaires dérivées de l’avortement, lorsque c’est possible », et donc éviter ceux d’AstraZeneca et de Johnson & Johnson.

Dans le cas où l’option n’est pas offerte, ils peuvent cependant « être utilisés en toute bonne conscience en sachant que l’utilisation de ces vaccins ne constitue pas un geste de coopération formelle à l’avortement », indique la CECC dans un avis daté du 9 mars et publié sur son site web.

« Ces questions sont importantes, car elles concernent le caractère sacré de la vie humaine et sa dignité intrinsèque », lit-on dans la même note, où l’on prie par ailleurs le gouvernement de « faire en sorte que les vaccins contre la COVID-19 ne créent pas de dilemme éthique » pour la population.

Mentionnons au passage que les Canadiens ne peuvent décider du vaccin qu’ils se font injecter.

Fondée en 1943, la CECC rassemble les évêques catholiques latins et catholiques orientaux que le souverain pontife a nommés, ou dont il a accepté la nomination, est-il écrit sur le site internet du regroupement, dont des représentants sont chaque année du rassemblement antiavortement qui se tient devant le parlement.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a promptement sermonné l’organisation pour cette prise de position, mercredi après-midi.

Je dénonce vigoureusement cette déclaration de la Conférence des évêques catholiques du Canada. J’invite tous les Québécois à se fier à nos experts et à ceux de partout dans le monde : tous les vaccins que nous administrons sont efficaces.

Christian Dubé, ministre de la Santé, sur Twitter

Le sous-administrateur en chef de l’Agence de la santé publique du Canada, le DHoward Njoo, a quant à lui exprimé sa déception face à tout message décourageant la vaccination contre la COVID-19. Il a précisé que Santé Canada avait offert des séances d’information à divers groupes, dont les communautés religieuses.

L’Assemblée des évêques catholiques du Québec n’a quant à elle pas l’intention de s’en mêler.

« L’Assemblée n’a pas discuté de cet enjeu et n’a donc pas de déclaration à vous offrir. Lorsqu’un enjeu est discuté à une instance, les autres instances n’en discutent pas afin d’éviter les dédoublements », a-t-on écrit dans un courriel envoyé à La Presse.

Le théologien Gilles Routhier, de l’Université Laval, n’est « pas surpris » que le regroupement québécois n’ait pas voulu se prononcer.

« On ne réfléchit pas des choses de la même façon du côté du Québec et du côté de l’Ouest canadien. Ce que l’on trouve dans la société se retrouve également dans les assemblées d’évêques. Ce sont des cultures différentes », a-t-il exposé dans un entretien.

Procédé de fabrication

La façon dont la Conférence des évêques catholiques du Canada présente les choses est trompeuse, a plaidé la Dre Nathalie Grandvaux, professeure de biochimie à l’Université de Montréal, qui peinait à dissimuler un certain sentiment de découragement face à cette sortie.

« C’est une technique développée dans les années 1960 : on prélève un échantillon de quelques cellules, et on est capables, grâce à des techniques de biologie moléculaire, de faire en sorte que ces cellules deviennent immortelles, c’est-à-dire qu’on peut les cultiver pendant des années », a-t-elle expliqué.

Effectivement, des cellules ont été prélevées sur un échantillon de tissu de fœtus en 1973 […], mais il n’y a plus aucune trace de fœtus là-dedans. La façon dont eux le disent, c’est comme si on était obligés de produire des avortements volontaires pour pouvoir produire les vaccins.

La Dre Nathalie Grandvaux, professeure de biochimie à l’Université de Montréal

Les réactions d’AstraZeneca et de Johnson & Johnson vont dans ce sens. Aucune n’a voulu jeter la pierre à la Conférence des évêques catholiques, l’une comme l’autre préférant souligner que les cellules utilisées avaient été conçues et cultivées en laboratoire à partir d’une seule cellule il y a de cela plus de 30 ans.

Des centaines de milliers de doses du vaccin d’AstraZeneca ont commencé à arriver au pays cette semaine. Le calendrier de livraison de celui de Johnson & Johnson n’a pas encore été établi ; le premier ministre Justin Trudeau a signalé mardi qu’il avait été avisé de problèmes sur le plan de la production.

Un « devoir moral » non obligatoire

La Congrégation pour la doctrine de la foi du Vatican a publié en décembre dernier un avis sur les vaccins contre la COVID-19. La note stipule que « le devoir moral d’éviter une telle coopération matérielle passive n’est pas obligatoire lorsqu’il y a un grave danger » comme la pandémie de COVID-19.

« Il doit donc être considéré que, dans un tel cas, toute vaccination reconnue comme étant cliniquement sûre et efficace peut être prise en bonne conscience avec la certitude que l’utilisation de tels vaccins ne constitue pas une coopération formelle avec l’avortement », lit-on dans la note approuvée par le pape François.

PHOTO GUGLIELMO MANGIAPANE, ARCHIVES REUTERS

Le pape François

On y évoque tout de même un « impératif moral », pour l’industrie pharmaceutique, les gouvernements et les organisations internationales, de s’assurer que des vaccins soient « éthiquement acceptables », et qu’ils soient accessibles aux pays les plus pauvres, et ce, à faible coût.

Le souverain pontife, âgé de 84 ans, a été vacciné au Vatican à la mi-janvier. Avant de se faire piquer, il avait fustigé l’opposition à la vaccination contre le virus, comparant une telle attitude à une forme de « négationnisme suicidaire » dans un entretien avec la chaîne italienne de télévision Canale 5.

Avec l’Agence France-Presse