Québec a commandé 20 millions de masques N95 par an à l’entreprise québécoise Medicom. Mais ces masques, actuellement soumis à des tests d’étanchéité dans les hôpitaux, ne font qu’à seulement 50 % des travailleurs, déplorent des établissements de santé.

« C’est effectivement les données transmises par les établissements de santé jusqu’à maintenant. Les fit tests [tests d’étanchéité] sur les masques se poursuivent à travers les établissements », affirme la porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Marie-Hélène Émond.

PHOTO FOURNIE PAR MEDICOM

Le masque N95 de Medicom

L’entreprise Medicom dit être « au courant de la situation » et explique que ses masques N95, approuvés notamment par Santé Canada, sont faits en « bec de canard », une forme qui est moins familière, selon elle, aux travailleurs de la santé. Une rencontre avec l’ensemble des chefs de la santé et sécurité du travail des établissements de santé du Québec est prévue lundi.

« Nous allons mettre en place des webinaires et des formations en personne dans les hôpitaux et fournir des kits de test tant et aussi longtemps que les soignants en auront besoin pour mieux comprendre et adopter nos masques », a indiqué le gestionnaire senior des relations gouvernementales et de la communication chez Medicom, Gopinath Jeybalaratnam.

Un contrat important

Le 28 janvier, le ministre de la Santé, Christian Dubé, annonçait avoir accordé de gré à gré un contrat à l’entreprise québécoise AMD Medicom. L’entreprise s’engageait à livrer chaque année 20 millions de masques N95 et 66 millions de masques chirurgicaux de niveau 3. Le contrat, d’une durée de 10 ans, s’élevait à environ 330 millions de dollars.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Normand Gauthier, directeur de projets pour Medicom, qui porte le masque N95 en forme de « bec de canard », lors d'une visite de l'usine en janvier avec le maire de Saint-Laurent, Alan De Sousa.

Au MSSS, on affirme qu’« aucun masque ne peut assurer un taux de conformité à 100 % ». On dit être « en discussion avec le fournisseur et les établissements de santé afin de tenter d’améliorer le pourcentage de compatibilité ».

M. Jeybalaratnam explique que les masques N95 de Medicom « ne se portent pas comme un masque de 3M ou une autre marque à laquelle les soignants ont été habitués ces dernières années ». M. Jeybalaratnam précise que les masques N95 de Medicom « ont été testés et approuvés par Santé Canada et par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST) ».

Un des critères importants pour l’obtention de l’approbation de Santé Canada est que la combinaison de trois tailles d’un masque doit s’ajuster de manière étanche à plus de 90 % de la population. Santé Canada reconnaît donc que nos masques offrent une étanchéité parfaite à au moins 90 % de la population.

Gopinath Jeybalaratnam, gestionnaire senior des relations gouvernementales et de la communication chez Medicom

Medicom dit avoir aussi fait tester ses masques par une firme externe spécialisée dans les tests sur différentes morphologies de visages. « Seulement un participant sur 55 n’a pas réussi le fit test, mais avec un résultat très proche de la note de passage », affirme M. Jeybalaratnam.

Geneviève Marchand, microbiologiste, biochimiste et chercheuse en prévention des risques biochimiques, biologiques, mécaniques et physiques à l’IRSST, précise que pour son approbation, l’IRSST « évalue le média filtrant » et ne procède pas à des fit tests. Les résultats des tests d’étanchéité sont fournis par les entreprises. « C’est une des choses qui pourraient être améliorées dans l’approbation des appareils de protection respiratoire. Les tests devraient être faits par les organismes qui approuvent, et non fournis par les entreprises », dit-elle.

La réalité du terrain

Sur le terrain, on s’interroge devant les faibles résultats des masques de Medicom. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation, selon M. Jeybalaratnam, comme « la manière de porter le masque sur son visage, d’ajuster les élastiques, le port d’une barbe pour les hommes, le type de test utilisé pour évaluer l’étanchéité… »

Maximilien Debia, professeur d’hygiène du travail à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, explique que l’objectif d’un test d’étanchéité est de « choisir l’équipement qui va le mieux fonctionner avec le visage » d’une personne.

Deux sortes de tests d’étanchéité peuvent être effectués : des quantitatifs et des qualitatifs. Le test quantitatif mesure réellement la quantité de particules à l’intérieur du masque avec des appareils scientifiques. « Quand nous testons l’étanchéité de nos masques, nous utilisons le test quantitatif, et ce sont bien ces tests qui ont été reconnus lors de l’approbation de Santé Canada », affirme M. Jeybalaratnam.

Dans les hôpitaux, le test qualitatif est plus couramment utilisé. Il consiste essentiellement à placer une personne, munie de son masque N95, dans un scaphandre dans lequel on vaporise un produit amer. Si la personne goûte le produit, le masque échoue au test d’étanchéité.

Mme Marchand explique qu’une entreprise ou un organisme qui fournit des masques de protection comme les N95 « doit établir un programme de protection respiratoire » pour ses employés. Et le test d’étanchéité n’est qu’une partie de ce programme. « Il faut expliquer aux gens comment le porter », dit-elle.

On ne peut porter ces équipements n’importe comment. […] Il faut se raser tous les jours. Il faut que le masque ait la bonne position sur le visage. Le masque peut simplement être mal mis et faire échouer le fit test.

Maximilien Debia, professeur d’hygiène du travail à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Réussir le test d’étanchéité est important, affirme Mme Marchand : « Si tu portes le N95 et qu’il y a une fuite, ce n’est pas vraiment mieux que de porter un masque ordinaire. »

Pour elle, il est évident qu’actuellement, il y a « peu de formation » sur le port du N95 dans le réseau de la santé. Et certains travailleurs « ne sont pas habitués à le porter ». Le MSSS n’a recommandé que la semaine dernière le port de N95 ou de masques de protection supérieure pour les employés de la santé en zone rouge.

Pour Mme Marchand, les formations sont importantes, non seulement pour assurer l’étanchéité des masques, mais aussi pour montrer comment les retirer sans se contaminer. M. Jeybalaratnam dit que Medicom a « mis en place des vidéos de démonstration sur le port et le retrait sécuritaires des masques à l’attention des soignants ». « Mais nous allons faire plus », a-t-il assuré.