Il y a un an, l’histoire de Manon Trudel et de son conjoint Julien Bergeron, deux Québécois retenus prisonniers sur le Diamond Princess, un navire de croisière immobilisé dans un port du Japon, et forcés à la quarantaine par une explosion de cas de COVID-19 a frappé notre imagination.

Au-delà du drame personnel des deux voyageurs, c’était le premier contact intime des Québécois avec le coronavirus, une maladie alors loin de nous, confinée à la Chine, et qui n’avait même pas encore été reconnue comme une pandémie.

Un an plus tard, comment se porte le couple montréalais ?

Manon Trudel et Julien Bergeron vont mieux, mais ils ont l’impression d’avoir vieilli de 10 ans, « des fois 15 ». Ils peinent à retrouver leur niveau d’énergie d’avant. Et surtout, ils sont inquiets. Inquiets de rattraper la maladie et de la propager, ne sachant pas combien de temps dure l’immunité acquise par les personnes infectées.

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Julien Bergeron et Manon Trudel ont été confinés dans une cabine sans hublot pendant 14 jours sur le Diamond Princess, il y a un an.

« Ça va le mieux qu’on peut », dit Mme Trudel, 62 ans, enseignante au cégep de Sorel-Tracy.

« Je ne sais pas si c’est parce qu’on s’est sentis emprisonnés dans la chambre du bateau et à l’hôpital, mais tous les jours, on va prendre des marches. Ce qu’on s’aperçoit, c’est que des personnes beaucoup plus âgées que nous marchent beaucoup plus rapidement que nous. Par exemple, juste avant d’être confinés sur le bateau, on avait fait une journée de 29 000 pas. Puis là, quand on en fait 6000, c’est une très, très bonne journée. »

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Le Diamond Princess immobilisé le 10 février 2020 dans le port de Yokohama, en banlieue de Tokyo

Une expérience traumatisante

On peut comprendre que Mme Trudel et M. Bergeron ne soient pas encore remis du choc. Ils ont vécu une expérience absolument traumatisante : cloîtrés pendant 14 jours dans une cabine exiguë sans hublot ni balcon, soumis à un régime sanitaire incohérent et privés d’information. Puis, ils ont passé autant de temps dans un hôpital japonais, séparés l’un de l’autre, sans comprendre un mot de ce qu’on leur disait.

Rétrospectivement, les Québécois, qui suivaient leurs mésaventures à travers les bulletins de nouvelles, savent maintenant que le traitement réservé à ces deux voyageurs a été confus et désordonné. Au lieu de protéger les passagers, la direction du navire, tout comme les autorités sanitaires japonaises, qui connaissaient mal le virus, ont transformé l’hôtel flottant en incubateur du virus.

Du 5 au 19 février, plus de 700 personnes ont été infectées et 8 sont mortes sur un total de 3711 passagers, 2666 croisiéristes et 1045 membres d’équipage.

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Les passagers ont été cloîtrés dans leur cabine et soumis à un régime sanitaire incohérent pendant 14 jours.

Mme Trudel et son conjoint, qui avaient prévu passer trois mois en Asie du Sud-Est, étaient montés à bord du Diamond Princess le 20 janvier pour une croisière de trois semaines.

À l’époque, il n’y avait aucun avertissement ou interdiction de voyage.

Sur le bateau, le coronavirus ne les inquiétait pas parce qu’ils n’ont fait aucune modification. Ils ne nous ont pas empêchés de fréquenter d’autres personnes. Ils ont même envoyé un communiqué qui disait qu’on avait très peu de chances de l’attraper, de ne pas s’en faire avec ça.

Manon Trudel

Message à l’interphone

Mais dans la soirée du 3 février, le capitaine a livré un message à l’interphone : un passager de 80 ans qui avait quitté le navire neuf jours plus tôt avait été déclaré positif à Hong Kong.

Dans la nuit du 3 au 4 février, des agents ont commencé à dépister les personnes qui présentaient des symptômes ou qui étaient entrées en contact avec l’homme infecté. Puis, le lendemain, les autorités japonaises ont mis le bateau en quarantaine pour 14 jours au port de Yokohama, en banlieue de Tokyo.

Les passagers, comme Mme Trudel et M. Bergeron, qui occupaient une cabine sans hublot pouvaient sortir pour de brèves promenades sur un pont du navire.

« C’était terrible, c’était une expérience terrible », lance M. Bergeron, 61 ans, comptable à la retraite.

Évidemment, il y avait des hauts et des bas, des pleurs, de la panique, parce qu’on ne voyait rien et qu’on était dans une petite chambre. Ils venaient cogner trois fois par jour pour nous porter les repas. Ils ne rentraient plus dans la chambre, ils ne venaient plus nettoyer. On ne savait rien. Et l’attitude du personnel a changé, aussi. Ils ouvraient la porte et il n’y avait pas de gros sourires. Ils nous donnaient notre nourriture et fermaient la porte vite.

Julien Bergeron

Les passagers devaient prendre leur température toutes les deux heures et prévenir le personnel du bateau s’ils faisaient de la fièvre. Pendant ce temps, les quelque 1000 membres d’équipage vivaient et travaillaient au coude à coude, préparant les plats des passagers et mangeant ensemble.

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Les passagers ont été transportés par autobus à leur sortie du bateau. « On n’avait pas le droit d’ouvrir les rideaux », dit Manon Trudel.

Entre 11 et 22 jours à l’hôpital

Le 18 février, M. Bergeron a su qu’il était infecté après avoir subi un test deux jours plus tôt. Il ressentait une petite douleur à la poitrine, « mais rien de vraiment très douloureux ». Sa conjointe était négative.

Empêchés de prendre l’avion nolisé par Ottawa, ils ont été conduits dans un hôpital, à Nagoya, à huit heures de route, dans deux autobus différents.

Mme Trudel a finalement contracté la maladie, sans développer de symptômes. Elle est restée 11 jours à l’hôpital. Son conjoint, transféré dans un autre hôpital, à Toyota, a été soigné pendant 22 jours pour une double pneumonie.

On ne savait pas si on allait mourir, si on allait sortir de l’hôpital. C’était affreux parce qu’on ne savait pas.

Manon Trudel

Leur cauchemar a pris fin après une quarantaine de jours, le 15 mars, quand ils ont pu prendre l’avion pour revenir au pays, après avoir subi deux tests négatifs consécutifs, espacés de 24 heures. Depuis, ils respectent scrupuleusement les consignes sanitaires. Pas de sorties non essentielles ni de réunions de famille ou d’amis.

« D’ailleurs, on a un petit-fils qui est né le 31 mars et on ne l’a pas encore pris dans nos bras, note Mme Trudel. Ça fait un an qu’on n’a pas touché à d’autres personnes qu’à nous. »

Cette croisière n’était pas leur première, mais leur 25e. Elle risque toutefois d’avoir été leur dernière. « Ce voyage-là, on ne s’y attendait pas. Maintenant, on sait que ça peut arriver. »