Plus contagieux mais pas plus mortel, le variant sud-africain a fait son apparition en Abitibi-Témiscamingue, une région somme toute épargnée par la pandémie, aussi tôt qu’à la fin de décembre. Aujourd’hui maîtrisée, la situation suscite beaucoup d’inquiétudes pour la suite, tant dans le milieu politique que scientifique.

Les deux cas confirmés mardi faisaient l’objet d’une investigation depuis la mi-janvier. Le bilan pourrait être revu à la hausse, puisqu’au moins une trentaine de personnes sont liées à cette même éclosion, qui est maintenant terminée. En somme, l’ajout de ces deux cas porte à 11 le nombre de variants identifiés au Québec. En plus des huit cas du variant du Royaume-Uni, un autre fait toujours l’objet d’investigation.

La Santé publique de l’Abitibi a indiqué mardi que les deux personnes – qui sont rétablies – n’ont effectué aucun voyage à l’étranger ni à l’extérieur de la région, qui est passée du rouge à l’orange lundi. L’éclosion serait survenue à la suite de rassemblements pendant les Fêtes. La première personne a reçu un résultat positif à la COVID-19 « dans la première semaine » de janvier et la deuxième, la semaine suivante. « Dans un souci de vigilance accrue, on voulait savoir pourquoi ces cas étaient associés à une transmission importante dans la région », a expliqué la Dre Omobola Sobanjo, médecin-conseil à la Direction de santé publique de l’Abitibi. Des « indications » lors de l’analyse PCR leur avaient aussi mis la puce à l’oreille.

Du séquençage a été effectué sur ces deux échantillons, et ce n’est que mardi, soit environ « quatre semaines » plus tard, que les autorités ont obtenu les résultats. « Le séquençage, c’est plus long et ça prend plus de temps. La demande a été faite précisément pour ces deux échantillons, même si on savait que ces personnes avaient des gens autour d’elles qui avaient la COVID en même temps », a dit la Dre Sobanjo.

L’éclosion, qui a touché une trentaine de personnes, n’est plus active. Toutes les personnes malades sont rétablies. On doit s’affairer au cours des prochaines semaines à réaliser « un portrait plus juste » des personnes associées à cette éclosion pour avoir un meilleur état de la situation et déterminer la provenance du variant.

Une conjoncture « dangereuse »

Pour plusieurs spécialistes, l’apparition du variant en Abitibi-Témiscamingue illustre qu’aucune région ne peut baisser la garde. « Si ç’a été transmis dans la communauté, ça veut dire que d’autres personnes sont probablement porteuses et que le variant est présent depuis un bout. On sait qu’il se transmet plus facilement, donc ça soulève beaucoup de questions sur les allègements des mesures en zone orange », avance le virologue Benoit Barbeau.

Pour lui, il serait sage de « réévaluer », voire de « remettre en cause » la réouverture de certains commerces par mesure préventive. « La conjoncture est très dangereuse. Il faut protéger les régions plus éloignées de ces variants, sans quoi nous aurons des problèmes de transmission accélérée », dit-il.

Le variant sud-africain est possiblement moins neutralisable par les vaccins qui sont disponibles. Quand on met tout ça ensemble, ça donne un scénario qui pourrait tourner au désastre si on prend une mauvaise tangente.

Benoit Barbeau, virologue à l’UQAM

L’épidémiologiste Nimâ Machouf est du même avis. « En Abitibi, parce qu’on est dans une zone orange, les gens ont baissé un peu leur garde, ce qui n’est vraiment pas une bonne chose. Au final, la prochaine vague peut arriver très rapidement, s’inquiète-t-elle. Un virus qui se transmet plus rapidement, ça devrait en soi être un point de bascule pour le gouvernement de retomber dans le rouge. C’est déjà un indicateur qu’il faut agir. Plus tôt on s’en occupe, plus facile ça va être », ajoute-t-elle.

À l’abri nulle part

Le maire de Val-d’Or, Pierre Corbeil, se veut de son côté plus rassurant. « Ce ne sont plus des cas actifs, donc le risque immédiat est contrôlé. Maintenant, ce que ça traduit, c’est que ce virus ne reconnaît pas nos frontières et n’a pas l’air soucieux de la distance. Ça nous rappelle qu’il faut être extrêmement prudents, et ne pas minimiser les invitations à diminuer nos contacts », soutient-il, en rappelant que la virulence de la mutation pourrait fragiliser les ressources « limitées » du système de santé.

À Rouyn-Noranda, la mairesse Diane Dallaire avoue qu’elle conserve des inquiétudes, mais assure qu’un suivi « très serré » est fait avec la Santé publique. « La situation est sous contrôle, mais c’est sûr que ça amène beaucoup de questions. Les gens ne s’y attendaient pas. Ça nous a tous surpris », résume-t-elle.

La professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM) Roxane Borgès Da Silva est catégorique. « Ça illustre qu’on n’est à l’abri nulle part d’avoir des variants, et que ça peut aller plus vite qu’on pense », affirme-t-elle. L’experte soutient qu’il faut au moins « envisager » un resserrement des mesures sur le plan local, mais déplore que l’information manque.

« Est-ce qu’on est équipés au Québec pour évaluer les impacts des variants ? Je ne suis pas certaine, puisqu’on ne fait que 5 à 8 % de séquençage, et le criblage ne s’en vient que dans une ou deux semaines », déplore Mme Da Silva, qui rappelle que l’Ontario fait déjà du criblage sur 100 % de ses virus.

Capacité « très adéquate »

Pour la Dre Sobanjo, il reste que « la situation épidémiologique va en s’améliorant dans la région ». « Ça nous indique que les mesures que nous avons actuellement fonctionnent. Est-ce que c’est possible que les nouveaux cas confirmés [lundi] ou [mardi] soient associés à ces nouveaux variants ? Je ne le sais pas », a-t-elle dit. La région a enregistré mardi cinq cas supplémentaires de la COVID-19.

Le DHoracio Arruda, lui, a confirmé que le variant sud-africain est apparu dans le contexte de deux éclosions en Abitibi-Témiscamingue, dont l’une associée « à un restaurant rapide » et l’autre « à la suite d’un party ». La Dre Sobanjo n’a pas fourni de précisions sur ces informations, résumant que les deux cas étaient liés « à des activités ou des rassemblements qui ont eu lieu en fin et début d’année ».

M. Arruda estime que le Québec va se doter « d’une capacité très adéquate » pour séquencer et exécuter du criblage « d’ici une à deux semaines » afin de détecter la présence de variants dans la province. Environ 8 % des échantillons de tests positifs sont pour l’heure examinés, a précisé M. Arruda.

Cette capacité doit atteindre 15 %. Il est également prévu que des laboratoires régionaux puissent « cribler les souches » pour augmenter le dépistage.

Les différents variants

Le variant britannique (B.1.1.7)

D’abord apparu dans le Kent, dans le sud-est de l’Angleterre, il touche 86 pays, dont six s’étant ajoutés dans la dernière semaine. Il serait de 36 % à 75 % plus transmissible que le SARS CoV-2, la souche originale, selon les données de l’OMS. Sa première « apparition », soit le jour où il a été détecté pour la première fois, remonte au 20 septembre. Au Québec, il est apparu à la fin de décembre. Même s’il peut réduire « légèrement » les impacts des vaccins, le variant britannique ne remet pas en cause leur efficacité.

Le variant sud-africain (B.1351)

On a recensé pour la première fois cette mutation au début d’août. Elle serait largement plus transmissible que bien d’autres variants en circulation. Les données scientifiques suggèrent que la capacité de neutralisation de ce variant par les vaccins est « diminuée », ce qui augmenterait les risques de réinfection. « Ce variant est surveillé en raison de son nombre élevé de mutations. Il serait plus contagieux, mais pas nécessairement plus mortel. Le vaccin de Moderna pourrait être moins efficace contre ce variant », précise l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Au total, 44 pays ont enregistré au moins un cas de la souche sud-africaine, dont trois dans les sept derniers jours.

Le variant brésilien/japonais (B.1128 ou P.1)

Signalé par l’Institut national des maladies infectieuses du Japon (NIID) il y a quelques semaines, ce variant a été détecté sur quatre voyageurs en provenance du Brésil, lors d’un test de routine à l’aéroport international de Haneda, à Tokyo. Difficile de dire à quel point cette mutation pourrait être plus transmissible, mais chose certaine, elle se répand plus facilement. Les individus déclarés positifs à cette souche pourraient faire face à une « réduction potentielle » de l’efficacité des vaccins, mais le tout fait l’objet d’études cliniques. Une quinzaine de pays ont recensé cette mutation, dont cinq dans la dernière semaine. Au Canada, un premier cas a été recensé dimanche à Toronto, sur un résidant qui avait voyagé au Brésil.

Séquençage et criblage

Le séquençage des différents variants du coronavirus consiste, grosso modo, à lire les molécules organiques d’un patient positif, pour ensuite comparer cette « séquence génétique » aux autres souches en circulation. C’est ainsi qu’on détermine les particularités propres à chaque nouveau variant. Procédé similaire et complémentaire, le criblage permet aussi de déterminer si les cas de COVID-19 sont dus à l’un ou l’autre des variants, à la différence qu’il est plus rapide et moins coûteux, car il cible directement les zones du génome qui contiennent les mutations. Il permet de ne pas avoir à séquencer tous les échantillons, faisant épargner temps et ressources aux chercheurs. Ainsi, en Ontario, on souhaite cribler 100 % des tests positifs, mais n’en séquencer qu’un minimum de 10 % d’ici la semaine du 15 février.